par energy_isere » 04 janv. 2022, 19:30
Pour une informatique moins gourmande en énergie, formons les ingénieurs
Enseignant-chercheur à IMT Atlantique, Thomas Ledoux soulève l'urgence de se préoccuper de la sobriété numérique des entreprises. Il soutient qu'une informatique frugale est possible à conditions de former les experts de la fonction dans les organisations. Les ressources pédagogiques existent. Et les initiatives se multiplient.
04 Janvier 2022 Usine Nouvelle
A lui seul, le numérique représente environ 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Et ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2025, ordinateurs, smartphones, objets connectés et autres data centers se montrant particulièrement gourmands en électricité. Pourtant, alors que les préoccupations environnementales et les questions énergétiques occupent une place croissante dans le débat public, l’impact du numérique passe largement inaperçu. Certains acteurs, cependant, ont pris conscience de l’ampleur du problème. Depuis quelques années, diverses initiatives sont apparues pour tenter de limiter l’empreinte carbone du numérique. C’est le cas du Shift Project de Jean-Marc Jancovici, ou de l’Institut du Numérique Responsable (INR), qui délivre un label.
Les entreprises, de leur côté, sont demandeuses, surtout à un moment où le coût de l’énergie s’envole, et alors qu’elles sont questionnées sur leurs engagements concrets en faveur de l’environnement. Elles sont conscientes que leurs activités numériques, souvent, sont inutilement voraces. Elles sont à la recherche de solutions pour en limiter l’impact. Bref, elles sont prêtes à participer à l’émergence d’un numérique plus sobre et plus responsable.
Des économies d’énergie considérables en perspective
Certes, il est difficile d’évaluer avec précision quel gain peut procurer une informatique « frugale ». Tout dépend du compromis que l’on accepte. Mais une chose est sûre : des économies significatives sont possibles. En utilisant des services « dégradés » (site Web plus sobre, calculs d’itinéraires moins sophistiqués, images 3D moins soignées…), on peut réduire l’empreinte carbone d’environ 20% - voire de 50% si l’on recourt à une énergie renouvelable.
Dans le cas de la blockchain Ethereum, 70% des scripts déployés ne sont jamais appelés : il suffirait de modifier ce mode de fonctionnement pour diminuer de 60% l'espace de stockage minimal pour chaque participant. Par effet domino, cela conduirait à une réduction importante de la consommation d’énergie de l’ensemble de la blockchain, celle-ci étant répliquée par tous ses participants !
Mais tout cela ne s’improvise pas. Mettre en place une informatique frugale nécessite un véritable changement de paradigme - depuis les achats jusqu’à la conception de logiciels, l’hébergement des données ou l’utilisation de l’intelligence artificielle. Il y faut des compétences spécifiques. C’est pourquoi les entreprises sont désireuses de recruter des profils capables de prendre en charge ce sujet.
Il faut donc attaquer le problème à la racine : dès la formation des ingénieurs. Les écoles d’ingénieurs ont en effet un rôle décisif à jouer, en apportant à leurs étudiants les outils et les compétences qui leur permettront de faire baisser l’empreinte carbone dans l’exercice de leur métier. La Commission des titres d’ingénieur (CTI) s’est emparée de la question : elle pousse à l’organisation de cours dès la rentrée prochaine. Déjà, quelques écoles se lancent. De son côté, le Sénat a adopté, en novembre, un projet de loi portant sur la sobriété numérique et la formation des ingénieurs. L’heure est donc à la mobilisation.
Des experts bénévoles pour des formations open source
Miser sur la formation des ingénieurs : c’est également l’ambition d’Ecolog, fruit de l’association de l’institut du numérique responsable et de la filière informatique nantaise, laquelle regroupe l’université de Nantes, IMT Atlantique et Centrale Nantes. Pour répondre au défi de la sobriété numérique, Ecolog vise à élaborer un corpus de formations disponibles en open source et dédiées à l’informatique responsable. Une quarantaine d’experts de toute la France, tous bénévoles, planchent sur ce projet.
Celui-ci comprend une dizaine de ressources pédagogiques correspondant chacun à une vingtaine d’heures de cours - l’équivalent de trois journées de formation continue. Parmi ceux-ci, un tronc commun « généraliste », destiné à des ingénieurs de tous profils, et traitant de la problématique du numérique responsable, des achats responsables, de stratégie numérique… D’autres modules, plus ciblés, seront dédiés à des métiers spécifiques de l’ingénieur informaticien : développeurs, chefs de projet, data scientists, spécialistes IA, ingénieurs fullstack, designers UX/UI, ingénieurs IoT... Les écoles et les entreprises auront accès librement à ces ressources. L’objectif étant d’aboutir à un corpus complet, assorti d’un site web, en septembre 2022.
D’ores et déjà, Ecolog suscite un réel intérêt. De nombreux partenaires soutiennent l’initiative : des institutions académiques (Télécom Paris, universités de Grenoble, Lille, Toulouse, Nantes, Pau, Rennes…), des entreprises de services numériques (CapGemini, Sopra-Steria, CGI), des start-ups, des banques ou des assurances (Crédit Agricole ,MAIF). Des institutionnels comme la Direction interministérielle du numérique, Ademe, et la région Bretagne, quant à elles, contribuent à son financement.
Par Thomas Ledoux, Enseignant-chercheur au département automatique, productique et informatique d’IMT Atlantique
https://www.usinenouvelle.com/article/t ... s.N1169847
[quote] [b][size=120]Pour une informatique moins gourmande en énergie, formons les ingénieurs[/size][/b]
Enseignant-chercheur à IMT Atlantique, Thomas Ledoux soulève l'urgence de se préoccuper de la sobriété numérique des entreprises. Il soutient qu'une informatique frugale est possible à conditions de former les experts de la fonction dans les organisations. Les ressources pédagogiques existent. Et les initiatives se multiplient.
04 Janvier 2022 Usine Nouvelle
A lui seul, le numérique représente environ 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Et ce chiffre pourrait doubler d’ici à 2025, ordinateurs, smartphones, objets connectés et autres data centers se montrant particulièrement gourmands en électricité. Pourtant, alors que les préoccupations environnementales et les questions énergétiques occupent une place croissante dans le débat public, l’impact du numérique passe largement inaperçu. Certains acteurs, cependant, ont pris conscience de l’ampleur du problème. Depuis quelques années, diverses initiatives sont apparues pour tenter de limiter l’empreinte carbone du numérique. C’est le cas du Shift Project de Jean-Marc Jancovici, ou de l’Institut du Numérique Responsable (INR), qui délivre un label.
Les entreprises, de leur côté, sont demandeuses, surtout à un moment où le coût de l’énergie s’envole, et alors qu’elles sont questionnées sur leurs engagements concrets en faveur de l’environnement. Elles sont conscientes que leurs activités numériques, souvent, sont inutilement voraces. Elles sont à la recherche de solutions pour en limiter l’impact. Bref, elles sont prêtes à participer à l’émergence d’un numérique plus sobre et plus responsable.
[b]Des économies d’énergie considérables en perspective[/b]
Certes, il est difficile d’évaluer avec précision quel gain peut procurer une informatique « frugale ». Tout dépend du compromis que l’on accepte. Mais une chose est sûre : des économies significatives sont possibles. En utilisant des services « dégradés » (site Web plus sobre, calculs d’itinéraires moins sophistiqués, images 3D moins soignées…), on peut réduire l’empreinte carbone d’environ 20% - voire de 50% si l’on recourt à une énergie renouvelable.
Dans le cas de la blockchain Ethereum, 70% des scripts déployés ne sont jamais appelés : il suffirait de modifier ce mode de fonctionnement pour diminuer de 60% l'espace de stockage minimal pour chaque participant. Par effet domino, cela conduirait à une réduction importante de la consommation d’énergie de l’ensemble de la blockchain, celle-ci étant répliquée par tous ses participants !
Mais tout cela ne s’improvise pas. Mettre en place une informatique frugale nécessite un véritable changement de paradigme - depuis les achats jusqu’à la conception de logiciels, l’hébergement des données ou l’utilisation de l’intelligence artificielle. Il y faut des compétences spécifiques. C’est pourquoi les entreprises sont désireuses de recruter des profils capables de prendre en charge ce sujet.
Il faut donc attaquer le problème à la racine : dès la formation des ingénieurs. Les écoles d’ingénieurs ont en effet un rôle décisif à jouer, en apportant à leurs étudiants les outils et les compétences qui leur permettront de faire baisser l’empreinte carbone dans l’exercice de leur métier. La Commission des titres d’ingénieur (CTI) s’est emparée de la question : elle pousse à l’organisation de cours dès la rentrée prochaine. Déjà, quelques écoles se lancent. De son côté, le Sénat a adopté, en novembre, un projet de loi portant sur la sobriété numérique et la formation des ingénieurs. L’heure est donc à la mobilisation.
[b]Des experts bénévoles pour des formations open source[/b]
Miser sur la formation des ingénieurs : c’est également l’ambition d’Ecolog, fruit de l’association de l’institut du numérique responsable et de la filière informatique nantaise, laquelle regroupe l’université de Nantes, IMT Atlantique et Centrale Nantes. Pour répondre au défi de la sobriété numérique, Ecolog vise à élaborer un corpus de formations disponibles en open source et dédiées à l’informatique responsable. Une quarantaine d’experts de toute la France, tous bénévoles, planchent sur ce projet.
Celui-ci comprend une dizaine de ressources pédagogiques correspondant chacun à une vingtaine d’heures de cours - l’équivalent de trois journées de formation continue. Parmi ceux-ci, un tronc commun « généraliste », destiné à des ingénieurs de tous profils, et traitant de la problématique du numérique responsable, des achats responsables, de stratégie numérique… D’autres modules, plus ciblés, seront dédiés à des métiers spécifiques de l’ingénieur informaticien : développeurs, chefs de projet, data scientists, spécialistes IA, ingénieurs fullstack, designers UX/UI, ingénieurs IoT... Les écoles et les entreprises auront accès librement à ces ressources. L’objectif étant d’aboutir à un corpus complet, assorti d’un site web, en septembre 2022.
D’ores et déjà, Ecolog suscite un réel intérêt. De nombreux partenaires soutiennent l’initiative : des institutions académiques (Télécom Paris, universités de Grenoble, Lille, Toulouse, Nantes, Pau, Rennes…), des entreprises de services numériques (CapGemini, Sopra-Steria, CGI), des start-ups, des banques ou des assurances (Crédit Agricole ,MAIF). Des institutionnels comme la Direction interministérielle du numérique, Ademe, et la région Bretagne, quant à elles, contribuent à son financement.
Par Thomas Ledoux, Enseignant-chercheur au département automatique, productique et informatique d’IMT Atlantique
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https://www.usinenouvelle.com/article/tribune-pour-une-informatique-moins-gourmande-en-energie-formons-les-ingenieurs.N1169847