L’UE salue la découverte d’un énorme gisement de phosphate en Norvège
Par : Frédéric Simon | EURACTIV.com | translated by Alexis Debroux et Nicolas Thomsin 29 juin 2023
Un énorme gisement souterrain de phosphorite de haute qualité vient d’être découvert en Norvège. Il est considéré comme le plus important au monde et suffirait à satisfaire la demande mondiale d’engrais, de panneaux solaires et de batteries de voitures électriques au cours des 100 prochaines années, selon l’entreprise qui exploite la ressource.
La phosphorite est un élément essentiel utilisé dans la production de phosphore pour l’industrie des engrais et a été intégrée dans la proposition de réglementation européenne sur les matières premières critiques présentée en mars par la Commission européenne.
Le gisement norvégien est estimé à 70 milliards de tonnes au moins, soit un peu moins que les 71 milliards de tonnes de réserves mondiales prouvées tel qu’évalué par l’Institut d’études géologiques des États-Unis en 2021.
Les gisements de phosphorite les plus importants au monde (environ 50 milliards de tonnes) sont situés dans la région du Sahara occidental, au Maroc. Viennent ensuite ceux de la Chine (3,2 milliards de tonnes), de l’Égypte (2,8 milliards de tonnes) et de l’Algérie (2,2 milliards de tonnes), selon les estimations américaines.
« Lorsque vous trouvez quelque chose de cette ampleur en Europe, qui dépasse toutes les autres sources que nous connaissons, c’est considérable », a déclaré Michael Wurmser, fondateur de Norge Mining, la société minière à l’origine de la découverte.
Dans une déclaration envoyée par courriel à EURACTIV, la Commission européenne a salué la confirmation de l’existence de l’énorme gisement norvégien de phosphorite.
« Cette découverte est en effet une excellente nouvelle, qui contribuerait aux objectifs de la proposition de la Commission concernant la réglementation sur les matières premières critiques », a déclaré un porte-parole de l’exécutif européen.
Voitures électriques et panneaux solaires
Environ 90 % des phosphorites extraites dans le monde sont utilisées dans l’agriculture pour la production de phosphore destiné à l’industrie des engrais, pour lequel il n’existe pas de substitut à l’heure actuelle.
Néanmoins, le phosphore est également utilisé dans la production de panneaux solaires et de batteries lithium-fer-phosphate (LFP) pour les voitures électriques ainsi que de semi-conducteurs et de puces électroniques, bien qu’en faibles quantités.
Tous ces produits relèvent, selon la Commission européenne, d’une « importance stratégique » pour le maintien du statut de l’Europe en tant que puissance mondiale dans la fabrication de technologies clés pour la transition écologique et numérique.
« C’est pourquoi nous pensons que le phosphore que nous pouvons produire sera important pour l’Occident — il apporte de l’autonomie », a indiqué M. Wurmser à EURACTIV lors d’un entretien.
Les quantités de phosphore nécessaires à la production de batteries sont actuellement infimes et devraient représenter seulement environ 5 % de la demande mondiale d’ici 2050, selon un article de la revue scientifique Nature.
Toutefois, les principaux pays producteurs, comme la Chine et les États-Unis, « pourraient chercher à protéger leur approvisionnement national en limitant les exportations, comme on l’a vu en 2008 avec la mise en place de droits de douane à l’exportation par la Chine », peut-on lire dans l’article. De futures ruptures d’approvisionnement sont donc « susceptibles d’être de nature géopolitique et économique, bien avant que les réserves mondiales ne soient épuisées », est-il précisé.
Selon la Critical Raw Materials Alliance, une coalition d’organisations industrielles, les réserves connues de phosphorites de haute qualité s’épuisent peu à peu et sont détenues par quatre ou cinq grands fournisseurs non européens.
« Une faible offre combinée à une forte demande entraîne une augmentation des prix », selon l’Alliance.
Le raffinage du phosphore se fonde sur un processus à forte intensité de carbone, de sorte que la majeure partie de l’industrie est actuellement concentrée en Chine, au Viêt Nam et au Kazakhstan, a précisé M. Wurmser.
« C’est en partie la raison pour laquelle il n’y a plus de production de cette matière première critique en Europe. Il y a eu une certaine production aux Pays-Bas il y a de nombreuses années, mais elle a été arrêtée en raison de la forte pollution », a-t-il poursuivi.
Toutefois, selon M. Wurmser, la Norvège sera en mesure de respecter des normes environnementales plus strictes que ses concurrents asiatiques lors de l’extraction et du raffinage de ces minéraux en utilisant des technologies de piégeage et de stockage du dioxyde de carbone
« Le phosphore provenant de Chine, du Viêt Nam ou du Kazakhstan ne fait pas nécessairement d’un panneau solaire un produit écologique. Voilà qui souligne notre idée selon laquelle le développement durable commence dans le sol, lors de l’extraction », a-t-il fait remarquer.
Découverte en 2018
Norge Mining a initialement fait la découverte en 2018 sur la base d’informations fournies par le Service géologique norvégien. Le corps minéralisé dans le sol, dont la profondeur avait été estimée à 300 mètres, se trouvait en fait à 4 500 mètres sous la surface de la Terre.
« Lorsque nous l’avons découvert, nous avons réalisé deux programmes de forage dans deux zones. Et sur ces deux zones, jusqu’à 400 mètres, nous avons établi deux ressources de classe mondiale, ce qui permet à chacune des zones de fournir des matières premières pendant au moins 50 ans », a déclaré M. Wurmser.
Comme il est actuellement impossible de forer à des profondeurs de 4 500 mètres, les géologues travaillant sur le projet n’ont évalué qu’un tiers du volume, à maximum 1 500 mètres de profondeur.
Au total, « cela représente au moins 70 milliards de tonnes de phosphate minéralisé », a expliqué M. Wurmser à EURACTIV.
Outre le phosphate, les gisements norvégiens contiennent également du vanadium et du titane, qui sont également considérés par l’UE comme des matières premières critiques et sont utilisés dans les industries de l’aérospatiale et de la défense. M. Wurmser n’a pas précisé l’importance de ces gisements.
Permis
Maintenant que la phase d’exploration est terminée, Norge Mining cherche à faire passer le projet à l’étape suivante de la production minière.
Selon M. Wurmser, le gouvernement norvégien s’est montré « très favorable » au projet, proclamant en décembre que tous les projets de matières premières critiques en Norvège feraient l’objet d’une approbation accélérée. Les conditions préalables à l’obtention des licences d’exploitation minière sont remplies, y compris les études de viabilité économique, a affirmé la société.
Toutefois, on ne peut pas en dire autant de l’Union européenne.
Dans sa proposition de mars pour une réglementation européenne sur les matières premières critiques, la Commission a classé le phosphore et le phosphate comme des minéraux « critiques », mais pas comme des minéraux « stratégiques », lesquels sont soumis à un critère de production domestique de 40 % et bénéficient de règles d’autorisation accélérées.
« Ce qui est fondamental, c’est que l’importance stratégique de ces matières premières soit comprise par les responsables à Bruxelles », a expliqué M. Wurmser à EURACTIV.
Norge Mining n’a pas besoin de financement — la société a déjà fait part de l’intérêt d’entreprises en Europe, aux États-Unis et au Japon, y compris de deux importants fabricants d’avions qui sont intéressés par l’approvisionnement en titane.
Cependant, l’obtention d’un permis peut faire toute la différence dans le secteur minier, où il s’écoule généralement entre 10 et 15 ans entre l’exploration et la première extraction commerciale des minerais.
« C’est bien plus important que les liquidités. En effet, si vous avez de l’argent et que vous n’obtenez pas d’autorisation, cela ne vous aide pas. En revanche, si vous obtenez l’autorisation d’exploiter une mine, vous pouvez facilement mobiliser des capitaux », a expliqué M. Wurmser.
La Commission européenne reconnaît que le phosphore est « un matériau très important pour la composition chimique des batteries et la numérisation ». Cependant, elle affirme que les réserves de phosphorite sont « abondantes » et qu’il n’est donc pas nécessaire de les classer comme stratégiques.
La proposition de réglementation européenne sur les matières premières critiques contient des dispositions qui devraient renforcer la sécurité de l’approvisionnement pour ce type de minéraux, « telles qu’un suivi rigoureux des risques d’approvisionnement, l’accès au financement et, pour les projets situés dans l’UE, l’accès à un guichet unique pour l’octroi de permis ».
La proposition de réglementation est actuellement examinée par le Parlement européen et les États membres de l’UE en vue d’une adoption finale, qui pourrait intervenir plus tard dans l’année.