par energy_isere » 11 nov. 2023, 15:10
Flygskam : reportage en Suède, berceau de la honte de prendre l’avion
Article de Claire Bouleau challenges.fr
REPORTAGE - Alors que le débat sur l’impact climatique de l’avion, et la honte qu’il faut ressentir (ou pas) à l’utiliser, monte en France, Challenges s’est rendu dans le pays où le flygskam est né : en Suède. C’est là qu’en 2018 Greta Thunberg a lancé les premières grèves scolaires pour le climat, et rendu publique sa décision de ne plus utiliser le transport aérien. Cinq ans plus tard, le bilan y est surprenant.
Flygskam. C’est un nom un peu étrange qui, de prime abord, pourrait faire penser à l’une de ces références imprononçables d’armoires ou commodes Ikea. Logique, c’est du même pays, la Suède, que viennent le géant de l’ameublement et ce terme qui signifie "avoir honte de prendre l’avion" ("Flyg" pour voler et "skam" pour honte).
En 2018, il a soudainement fait irruption dans les débats suédois quand une adolescente écolo a lancé les premières grèves scolaires pour le climat et exposé sur le devant de la scène sa décision personnelle de ne plus voler : Greta Thunberg. Alors cinq ans plus tard et alors que le débat monte à présent en France, où en est-on ? Les Suédois ont-ils massivement décidé de boycotter ce moyen de transport ?
Des effets indéniables…
Pour le savoir, direction Stockholm, en plein mois d’octobre glacial. Assise dans l’un de ces salons de thé réconfortants typiques de la capitale scandinave, les mains autour d’une tasse fumante, Nina Cyrén Wormbs, historienne au KTH Royal Institute of Technology, prévient : "Il y a un débat pour savoir si le terme flygskam signifie avoir honte de prendre l’avion, ou pointer du doigt ceux qui le font."
Avec sa collègue Maria Wolrath-Söderberg, la chercheuse a étudié les raisons qui ont mené certains de leurs compatriotes à tirer un trait sur l’avion et force est de constater qu’elles n’ont eu aucun mal à récolter des centaines de témoignages. Comme elles, de nombreux scientifiques et experts se sont penchés sur ce mouvement sociologique, preuve qu’il ne s’est pas agi d’un épiphénomène.
… mais un coup d’arrêt post-covid
Pour autant, avec une demi-décennie de recul, son bilan s’avère très paradoxal. D’un côté, la polémique a eu des effets indéniables. "Entre 2018 et 2019, alors que le reste de l’Europe était en croissance, il y a eu un tassement très fort de la progression du trafic en Scandinavie", souligne Mathieu Blondel, associé chez Arthur D. Little. Aujourd’hui encore, "l’activité aérienne n’a pas retrouvé le niveau qu’elle avait avant le flygskam", révèle Nina Cyrén Wormbs. John Nilsson, responsable stratégique au sein du gestionnaire aéroportuaire Swedavia confirme : "Ces aéroports, qui sont les dix principaux du pays, ont retrouvé 80 % de leur trafic de 2019." En France, c’est bien plus, 97 % en septembre dernier.
De l’autre côté, tous les acteurs s’accordent à dire que le Covid-19 a mis un coup d’arrêt à la montée en puissance du phénomène. "Avant la pandémie, il y avait davantage de discussions à propos du flygskam", raconte Fredrik Kämpfe, directeur des affaires industrielles de SAIG, la fédération suédoise du transport aérien. "A cette époque, vous en entendiez parler partout. Aujourd’hui, ce n’est plus tellement évoqué. Cela semble avoir diminué."
La preuve le lendemain, devant le parlement suédois, le Riksdag, dans le centre historique de Stockholm. Nous sommes le vendredi 20 octobre, et les militants de Fridays for Future, le mouvement de Greta Thunberg, se sont donné rendez-vous comme chaque fin de semaine pour leur manifestation hebdomadaire. Mais en se rendant sur place, l’on découvre avec surprise qu’ils ne sont qu’une vingtaine de jeunes emmitouflés ce jour-là.
Et ces écolos qui fuient l’avion ne cachent pas leur amertume. "En 2019, les grèves étaient très fortes, nous étions 50 000 dans les rues de Stockholm en septembre, raconte Anton, 21 ans. Mais ensuite la crise sanitaire a frappé et nous n’avons jamais retrouvé ce niveau de mobilisation."
Même déception à 500 kilomètres à l’ouest, dans la région de Göteborg, où nous accueille la fondatrice de l’association Vi håller oss på jorden ("Nous restons sur terre"), Maja Rosén. En 2018 et en 2019, cette quadragénaire a lancé successivement deux pétitions sur les réseaux sociaux invitant à se passer d’avion pendant un an. Un défi pour ce pays où "historiquement, les habitants réalisent trois vols par an, contre un peu moins de deux en France", pointe Mathieu Blondel. Mais l’arrivée soudaine du Covid a stoppé net la dynamique de son association, qui vivote depuis. Surtout, les jeunes se sont peu emparés du sujet : "La majorité de nos sympathisants sont des femmes de plus de 35 ans, plus sensibles à la cause environnementale", soupire cette mère de trois enfants. "Beaucoup de gens de mon âge sont prêts à sauter dans un avion", confirme Falk, 22 ans, un des militants de Fridays for Future.
Fierté de prendre le train
Une chose est sûre, le flygskam, tout comme son icône Greta Thunberg, a réussi à sortir des frontières du petit pays aux 10 millions d’habitants. Et à trouver une résonance dans d’autres contrées européennes. Les mots "flight shaming" ou "avionte" ont pris le relais en Grande Bretagne ou en France.
Dans l’Hexagone, la stigmatisation de la voie céleste s’invite même de plus en plus dans les dîners en famille, les apéros entre amis, les déjeuners entre collègues. La preuve avec le sondage réalisé par Odoxa pour Challenges, qui montre qu’entre janvier et novembre 2023, la part de Français prenant l’avion au moins une fois par an pour des loisirs ou des vacances a chuté de 4 points, pour s’établir à 26 %. Et parmi les Français qui prennent encore l’avion tous les ans, 59 % envisagent de réduire la fréquence de leurs vols "afin que la France fasse des économies d’énergie".
Quant à la Suède, si la honte de l’avion marque un peu le pas, un autre sujet, lui, prend de l’ampleur : la fierté de prendre le train. Influenceurs, militants, blogueurs se vantent sur les réseaux sociaux de leurs périples sur les rails, à l’image du chroniqueur Mattias Goldman qui a relié la Suède à la Thaïlande par le train. Le nom de ce nouveau phénomène ? "Tågskryt" ("Tag" pour train et "skryt" pour vantardise). Un mot suédois de plus à inscrire dans son répertoire.
https://www.msn.com/fr-fr/finance/entre ... 9855&ei=77
[quote][b][size=120] Flygskam : reportage en Suède, berceau de la honte de prendre l’avion[/size][/b]
Article de Claire Bouleau challenges.fr
REPORTAGE - Alors que le débat sur l’impact climatique de l’avion, et la honte qu’il faut ressentir (ou pas) à l’utiliser, monte en France, Challenges s’est rendu dans le pays où le flygskam est né : en Suède. C’est là qu’en 2018 Greta Thunberg a lancé les premières grèves scolaires pour le climat, et rendu publique sa décision de ne plus utiliser le transport aérien. Cinq ans plus tard, le bilan y est surprenant.
Flygskam. C’est un nom un peu étrange qui, de prime abord, pourrait faire penser à l’une de ces références imprononçables d’armoires ou commodes Ikea. Logique, c’est du même pays, la Suède, que viennent le géant de l’ameublement et ce terme qui signifie "avoir honte de prendre l’avion" ("Flyg" pour voler et "skam" pour honte).
En 2018, il a soudainement fait irruption dans les débats suédois quand une adolescente écolo a lancé les premières grèves scolaires pour le climat et exposé sur le devant de la scène sa décision personnelle de ne plus voler : Greta Thunberg. Alors cinq ans plus tard et alors que le débat monte à présent en France, où en est-on ? Les Suédois ont-ils massivement décidé de boycotter ce moyen de transport ?
Des effets indéniables…
Pour le savoir, direction Stockholm, en plein mois d’octobre glacial. Assise dans l’un de ces salons de thé réconfortants typiques de la capitale scandinave, les mains autour d’une tasse fumante, Nina Cyrén Wormbs, historienne au KTH Royal Institute of Technology, prévient : "Il y a un débat pour savoir si le terme flygskam signifie avoir honte de prendre l’avion, ou pointer du doigt ceux qui le font."
Avec sa collègue Maria Wolrath-Söderberg, la chercheuse a étudié les raisons qui ont mené certains de leurs compatriotes à tirer un trait sur l’avion et force est de constater qu’elles n’ont eu aucun mal à récolter des centaines de témoignages. Comme elles, de nombreux scientifiques et experts se sont penchés sur ce mouvement sociologique, preuve qu’il ne s’est pas agi d’un épiphénomène.
… mais un coup d’arrêt post-covid
Pour autant, avec une demi-décennie de recul, son bilan s’avère très paradoxal. D’un côté, la polémique a eu des effets indéniables. "Entre 2018 et 2019, alors que le reste de l’Europe était en croissance, il y a eu un tassement très fort de la progression du trafic en Scandinavie", souligne Mathieu Blondel, associé chez Arthur D. Little. Aujourd’hui encore, "l’activité aérienne n’a pas retrouvé le niveau qu’elle avait avant le flygskam", révèle Nina Cyrén Wormbs. John Nilsson, responsable stratégique au sein du gestionnaire aéroportuaire Swedavia confirme : "Ces aéroports, qui sont les dix principaux du pays, ont retrouvé 80 % de leur trafic de 2019." En France, c’est bien plus, 97 % en septembre dernier.
De l’autre côté, tous les acteurs s’accordent à dire que le Covid-19 a mis un coup d’arrêt à la montée en puissance du phénomène. "Avant la pandémie, il y avait davantage de discussions à propos du flygskam", raconte Fredrik Kämpfe, directeur des affaires industrielles de SAIG, la fédération suédoise du transport aérien. "A cette époque, vous en entendiez parler partout. Aujourd’hui, ce n’est plus tellement évoqué. Cela semble avoir diminué."
La preuve le lendemain, devant le parlement suédois, le Riksdag, dans le centre historique de Stockholm. Nous sommes le vendredi 20 octobre, et les militants de Fridays for Future, le mouvement de Greta Thunberg, se sont donné rendez-vous comme chaque fin de semaine pour leur manifestation hebdomadaire. Mais en se rendant sur place, l’on découvre avec surprise qu’ils ne sont qu’une vingtaine de jeunes emmitouflés ce jour-là.
Et ces écolos qui fuient l’avion ne cachent pas leur amertume. "En 2019, les grèves étaient très fortes, nous étions 50 000 dans les rues de Stockholm en septembre, raconte Anton, 21 ans. Mais ensuite la crise sanitaire a frappé et nous n’avons jamais retrouvé ce niveau de mobilisation."
Même déception à 500 kilomètres à l’ouest, dans la région de Göteborg, où nous accueille la fondatrice de l’association Vi håller oss på jorden ("Nous restons sur terre"), Maja Rosén. En 2018 et en 2019, cette quadragénaire a lancé successivement deux pétitions sur les réseaux sociaux invitant à se passer d’avion pendant un an. Un défi pour ce pays où "historiquement, les habitants réalisent trois vols par an, contre un peu moins de deux en France", pointe Mathieu Blondel. Mais l’arrivée soudaine du Covid a stoppé net la dynamique de son association, qui vivote depuis. Surtout, les jeunes se sont peu emparés du sujet : "La majorité de nos sympathisants sont des femmes de plus de 35 ans, plus sensibles à la cause environnementale", soupire cette mère de trois enfants. "Beaucoup de gens de mon âge sont prêts à sauter dans un avion", confirme Falk, 22 ans, un des militants de Fridays for Future.
Fierté de prendre le train
Une chose est sûre, le flygskam, tout comme son icône Greta Thunberg, a réussi à sortir des frontières du petit pays aux 10 millions d’habitants. Et à trouver une résonance dans d’autres contrées européennes. Les mots "flight shaming" ou "avionte" ont pris le relais en Grande Bretagne ou en France.
Dans l’Hexagone, la stigmatisation de la voie céleste s’invite même de plus en plus dans les dîners en famille, les apéros entre amis, les déjeuners entre collègues. La preuve avec le sondage réalisé par Odoxa pour Challenges, qui montre qu’entre janvier et novembre 2023, la part de Français prenant l’avion au moins une fois par an pour des loisirs ou des vacances a chuté de 4 points, pour s’établir à 26 %. Et parmi les Français qui prennent encore l’avion tous les ans, 59 % envisagent de réduire la fréquence de leurs vols "afin que la France fasse des économies d’énergie".
Quant à la Suède, si la honte de l’avion marque un peu le pas, un autre sujet, lui, prend de l’ampleur : la fierté de prendre le train. Influenceurs, militants, blogueurs se vantent sur les réseaux sociaux de leurs périples sur les rails, à l’image du chroniqueur Mattias Goldman qui a relié la Suède à la Thaïlande par le train. Le nom de ce nouveau phénomène ? "Tågskryt" ("Tag" pour train et "skryt" pour vantardise). Un mot suédois de plus à inscrire dans son répertoire.
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https://www.msn.com/fr-fr/finance/entreprises/flygskam-reportage-en-su%C3%A8de-berceau-de-la-honte-de-prendre-l-avion/ar-AA1jKwXx?ocid=msedgntp&pc=DCTS&cvid=441fabba48374645b4a89d02f9eb9855&ei=77