par energy_isere » 28 nov. 2025, 11:19
Les barrages en Iran: une gestion à la dérive, un désastre écologique
L’Iran compterait 523 grands barrages en exploitation, selon le Comité national iranien des grands barrages. Alors que le pays est en proie à une sécheresse sans précédent et qu’une partie de l’eau de ces barrages s’évapore, la question de leur construction et de leur gestion par le régime se pose.
RFI le : 28/11/2025 Par :Sara Saidi
Les pluies historiquement faibles et la hausse des températures ne sont pas les seules causes de la crise de l’eau en Iran. Alors que les nappes phréatiques se vident, que le sol de Téhéran s’affaisse et que les forêts au nord du pays sont dévorées par un gigantesque incendie… la gestion de l’eau par le régime, le forage illégal de puits, la construction excessive de barrages et les projets de transferts d’eau sont dénoncés par les ONG et certains experts. Une étude conjointe de l’université de Malaya en Malaisie et de l’université de Mashhad en Iran conclut ainsi : « Les effets environnementaux ne sont pas pleinement et complètement pris en compte pour la plupart des barrages construits en Iran. »
Mauvaise gestion
Considérée par le régime islamique comme un axe de développement stratégique et une source d’énergie verte, la construction de certains barrages sans prise en compte des études d’impacts a eu des conséquences désastreuses pour la faune, mais aussi pour la population et en particulier pour les agriculteurs : « Les impacts négatifs et variables des grands barrages en Iran se manifestent par des conséquences socio-économiques, des problèmes de précipitations, de salinité des sols, une mauvaise gestion de leur utilisation, des pertes d’eau, des déplacements de population et […] des difficultés à fournir de l'eau potable en raison de sa mauvaise qualité », estime l’étude des universités de Malaisie et de Mashhad. À titre d’exemple, à l'ouest du pays, dans la province d'Azerbaïdjan-Occidental, la construction du barrage de Sardasht a entraîné le déplacement des populations alentour et a engendré la perte de terres et de forêt. Le méga-barrage de Gotvand sur la rivière Karun dans le Khuzestan a, elle, provoqué une salinisation excessive des sols, affectant ainsi les cultures.
Pourtant, au départ, le rôle de ces barrages était justement de pourvoir en eau les industries et les terres agricoles, notamment par le biais de tunnels et de canaux de transferts interbassins. L’objectif affiché du régime : atteindre l’auto-suffisance et réduire la dépendance de l’Iran envers les pays étrangers. Ainsi, 90% de l’eau est consommé par le secteur agricole. Selon Issa Kalantari, ancien ministre de l’Agriculture, en 2017 « le taux d'extraction des ressources en eau renouvelables dans le pays a atteint 110% ». La consommation annuelle d’eau s’élevait ainsi 97 milliards de mètres cubes alors que le pays produit annuellement 88 milliards de mètres cubes d’eau.
« Dans le cadre d'une bonne gouvernance de l'eau, les barrages, notamment dans les zones arides, peuvent optimiser la consommation en gérant et en régulant les crues lorsque le débit du cours d'eau est important, et ainsi soutenir l'économie nationale et locale. En revanche, dans le cadre d'une mauvaise gouvernance économique, ils peuvent devenir un facteur destructeur et aggraver la situation », explique ainsi, à RFI, Hamidreza Khodabakhshi, président de l'association des ingénieurs des eaux du Khouzestan.
Racisme environnemental et corruption généralisée
Certains activistes environnementaux et experts dénoncent également une politique de l’eau asymétrique, voire discriminatoire et raciste qui privilégierait certaines régions d’Iran aux dépens de zones plus pauvres, peuplées par des minorités : « Ces régions, dites "bassins donneurs", souffrent d'une autre forme de crise de l'eau, du fait des transferts d'eau interbassins intensifs et disproportionnés et des autres interventions d'ingénierie mises en œuvre par le gouvernement pour pallier la pénurie dans les régions centrales », analyse Allan Hassaniyan, maître de conférences à l’Institut d'études arabes et islamiques à l’université d'Exeter en Angleterre, dans une étude publiée en 2024.
Les « bassins donneurs » se situent en effet dans les régions du Khouzestan (sud-ouest), du Kurdistan (ouest) et dans le Mazandaran (nord), là où un terrible incendie ravage depuis près d’un mois les forêts hyrcaniennes d’Iran, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. Les bassins receveurs, eux, se situent dans les zones sèches et désertiques du pays – Ispahan, Kerman, Qom, Semnan, Yazd et Golpayegan –, dans le centre du pays, là où se concentrent les principales industries iraniennes. « Cette situation constitue un racisme environnemental, caractérisé par un appauvrissement à plusieurs niveaux et un développement non durable parmi les communautés des régions donneuses », analyse ainsi Allan Hassaniyan.
La construction des barrages en Iran est sous la responsabilité de la société d'ingénierie Khatam al-Anbiya, contrôlée par le corps des Gardiens de la révolution (IRGC). Celle-ci a le monopole des contrats de construction des barrages et reçoit pour cela de nombreuses subventions publiques. Une corruption généralisée que dénonce Nik Kowsar, journaliste irano-canadien spécialiste des questions de l’eau. Khatam al-Anbiya s’est par ailleurs associé à Mahab Ghodss, un cabinet de conseil proche du régime, pour faire du lobbying auprès du gouvernement afin de le convaincre de construire encore davantage de barrages. « Progressivement, ces deux puissants organismes sont devenus le noyau de ce que l’on appelle aujourd’hui la "mafia de l’eau" iranienne, une entité qui défend et obtient des projets, répartit les richesses entre un petit et ne tolère aucune tentative de contrôle ou d’audit de ses activités », explique ainsi Nik Kowsar dans un article publié en 2021 dans The Middle East Institute.
Disparition des zones humides
En attendant, le pays voit ses rivières et ses lacs s’assécher et la population subit régulièrement des coupures d’eau. C’est par exemple le cas du célèbre lac d'Orumiyeh dans le nord-ouest, devenu un des symboles de la crise de l’eau en Iran. Sur les 31 provinces iraniennes, 19 sont actuellement en situation de grave sécheresse. En octobre, les autorités affirmaient également dans les médias iraniens que 19 des grands barrages du pays étaient à sec. La capitale, Téhéran, normalement alimentée par cinq barrages, a vu leur niveau diminué de manière drastique. Les zones humides du pays, comme celles de Bahtegan et Tashk près de Chiraz dans le sud, disparaissent.
Et au sein même du gouvernement, des voix s’élèvent. En 2017 déjà, Issa Kalantari, alors ministre de l’Agriculture, alertait ainsi : « Aujourd'hui, nous n'avons plus une seule zone humide ou un seul lac vivant dans le pays, et nous sommes surpris de constater l'augmentation du volume de poussières fines dans le pays. Nous sommes la génération la plus égoïste qui ait vécu sur cette terre depuis sept mille ans. » La même année, le militant écologiste iranien Esmail Kahrom dénonçait déjà la mise en péril et la destruction des arbres millénaires du parc national d’Hirkan dans le nord du pays, là où a lieu aujourd’hui l’incendie. En effet, en 2015 déjà, il avait été convenu de détruire 93 hectares de forêts hyrcaniennes pour construire le barrage de Shafarud dans la province de Gilan (nord). Plus récemment, le barrage de Zarem Rud dans la région de Mazdaran, prévu en 2021 pour approvisionner en eau potable les habitants de Sari, est également critiqué, notamment parce qu'il pourrait faire perdre entre 300 et 400 hectares de forêt et de terres cultivables. Esmail Kahrom affirme que ces 40 dernières années, 50% des forêts hyrcaniennes iraniennes ont déjà disparu.
https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/2025 ... 9cologique
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L’Iran compterait 523 grands barrages en exploitation, selon le Comité national iranien des grands barrages. Alors que le pays est en proie à une sécheresse sans précédent et qu’une partie de l’eau de ces barrages s’évapore, la question de leur construction et de leur gestion par le régime se pose.
RFI le : 28/11/2025 Par :Sara Saidi
Les pluies historiquement faibles et la hausse des températures ne sont pas les seules causes de la crise de l’eau en Iran. Alors que les nappes phréatiques se vident, que le sol de Téhéran s’affaisse et que les forêts au nord du pays sont dévorées par un gigantesque incendie… la gestion de l’eau par le régime, le forage illégal de puits, la construction excessive de barrages et les projets de transferts d’eau sont dénoncés par les ONG et certains experts. Une étude conjointe de l’université de Malaya en Malaisie et de l’université de Mashhad en Iran conclut ainsi : « Les effets environnementaux ne sont pas pleinement et complètement pris en compte pour la plupart des barrages construits en Iran. »
Mauvaise gestion
Considérée par le régime islamique comme un axe de développement stratégique et une source d’énergie verte, la construction de certains barrages sans prise en compte des études d’impacts a eu des conséquences désastreuses pour la faune, mais aussi pour la population et en particulier pour les agriculteurs : « Les impacts négatifs et variables des grands barrages en Iran se manifestent par des conséquences socio-économiques, des problèmes de précipitations, de salinité des sols, une mauvaise gestion de leur utilisation, des pertes d’eau, des déplacements de population et […] des difficultés à fournir de l'eau potable en raison de sa mauvaise qualité », estime l’étude des universités de Malaisie et de Mashhad. À titre d’exemple, à l'ouest du pays, dans la province d'Azerbaïdjan-Occidental, la construction du barrage de Sardasht a entraîné le déplacement des populations alentour et a engendré la perte de terres et de forêt. Le méga-barrage de Gotvand sur la rivière Karun dans le Khuzestan a, elle, provoqué une salinisation excessive des sols, affectant ainsi les cultures.
Pourtant, au départ, le rôle de ces barrages était justement de pourvoir en eau les industries et les terres agricoles, notamment par le biais de tunnels et de canaux de transferts interbassins. L’objectif affiché du régime : atteindre l’auto-suffisance et réduire la dépendance de l’Iran envers les pays étrangers. Ainsi, 90% de l’eau est consommé par le secteur agricole. Selon Issa Kalantari, ancien ministre de l’Agriculture, en 2017 « le taux d'extraction des ressources en eau renouvelables dans le pays a atteint 110% ». La consommation annuelle d’eau s’élevait ainsi 97 milliards de mètres cubes alors que le pays produit annuellement 88 milliards de mètres cubes d’eau.
« Dans le cadre d'une bonne gouvernance de l'eau, les barrages, notamment dans les zones arides, peuvent optimiser la consommation en gérant et en régulant les crues lorsque le débit du cours d'eau est important, et ainsi soutenir l'économie nationale et locale. En revanche, dans le cadre d'une mauvaise gouvernance économique, ils peuvent devenir un facteur destructeur et aggraver la situation », explique ainsi, à RFI, Hamidreza Khodabakhshi, président de l'association des ingénieurs des eaux du Khouzestan.
Racisme environnemental et corruption généralisée
Certains activistes environnementaux et experts dénoncent également une politique de l’eau asymétrique, voire discriminatoire et raciste qui privilégierait certaines régions d’Iran aux dépens de zones plus pauvres, peuplées par des minorités : « Ces régions, dites "bassins donneurs", souffrent d'une autre forme de crise de l'eau, du fait des transferts d'eau interbassins intensifs et disproportionnés et des autres interventions d'ingénierie mises en œuvre par le gouvernement pour pallier la pénurie dans les régions centrales », analyse Allan Hassaniyan, maître de conférences à l’Institut d'études arabes et islamiques à l’université d'Exeter en Angleterre, dans une étude publiée en 2024.
Les « bassins donneurs » se situent en effet dans les régions du Khouzestan (sud-ouest), du Kurdistan (ouest) et dans le Mazandaran (nord), là où un terrible incendie ravage depuis près d’un mois les forêts hyrcaniennes d’Iran, inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. Les bassins receveurs, eux, se situent dans les zones sèches et désertiques du pays – Ispahan, Kerman, Qom, Semnan, Yazd et Golpayegan –, dans le centre du pays, là où se concentrent les principales industries iraniennes. « Cette situation constitue un racisme environnemental, caractérisé par un appauvrissement à plusieurs niveaux et un développement non durable parmi les communautés des régions donneuses », analyse ainsi Allan Hassaniyan.
La construction des barrages en Iran est sous la responsabilité de la société d'ingénierie Khatam al-Anbiya, contrôlée par le corps des Gardiens de la révolution (IRGC). Celle-ci a le monopole des contrats de construction des barrages et reçoit pour cela de nombreuses subventions publiques. Une corruption généralisée que dénonce Nik Kowsar, journaliste irano-canadien spécialiste des questions de l’eau. Khatam al-Anbiya s’est par ailleurs associé à Mahab Ghodss, un cabinet de conseil proche du régime, pour faire du lobbying auprès du gouvernement afin de le convaincre de construire encore davantage de barrages. « Progressivement, ces deux puissants organismes sont devenus le noyau de ce que l’on appelle aujourd’hui la "mafia de l’eau" iranienne, une entité qui défend et obtient des projets, répartit les richesses entre un petit et ne tolère aucune tentative de contrôle ou d’audit de ses activités », explique ainsi Nik Kowsar dans un article publié en 2021 dans The Middle East Institute.
Disparition des zones humides
En attendant, le pays voit ses rivières et ses lacs s’assécher et la population subit régulièrement des coupures d’eau. C’est par exemple le cas du célèbre lac d'Orumiyeh dans le nord-ouest, devenu un des symboles de la crise de l’eau en Iran. Sur les 31 provinces iraniennes, 19 sont actuellement en situation de grave sécheresse. En octobre, les autorités affirmaient également dans les médias iraniens que 19 des grands barrages du pays étaient à sec. La capitale, Téhéran, normalement alimentée par cinq barrages, a vu leur niveau diminué de manière drastique. Les zones humides du pays, comme celles de Bahtegan et Tashk près de Chiraz dans le sud, disparaissent.
Et au sein même du gouvernement, des voix s’élèvent. En 2017 déjà, Issa Kalantari, alors ministre de l’Agriculture, alertait ainsi : « Aujourd'hui, nous n'avons plus une seule zone humide ou un seul lac vivant dans le pays, et nous sommes surpris de constater l'augmentation du volume de poussières fines dans le pays. Nous sommes la génération la plus égoïste qui ait vécu sur cette terre depuis sept mille ans. » La même année, le militant écologiste iranien Esmail Kahrom dénonçait déjà la mise en péril et la destruction des arbres millénaires du parc national d’Hirkan dans le nord du pays, là où a lieu aujourd’hui l’incendie. En effet, en 2015 déjà, il avait été convenu de détruire 93 hectares de forêts hyrcaniennes pour construire le barrage de Shafarud dans la province de Gilan (nord). Plus récemment, le barrage de Zarem Rud dans la région de Mazdaran, prévu en 2021 pour approvisionner en eau potable les habitants de Sari, est également critiqué, notamment parce qu'il pourrait faire perdre entre 300 et 400 hectares de forêt et de terres cultivables. Esmail Kahrom affirme que ces 40 dernières années, 50% des forêts hyrcaniennes iraniennes ont déjà disparu.
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https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20251128-les-barrages-en-iran-une-gestion-%C3%A0-la-d%C3%A9rive-un-d%C3%A9sastre-%C3%A9cologique