par dysgraphik » 20 oct. 2024, 13:24
Parmi les questions environnementales, la biodiversité se trouve souvent reléguée au second plan. Pourtant, comme le souligne Tatiana Giraud, la crise de la biodiversité est plus alarmante que jamais. Les populations d'espèces sauvages s'effondrent à un rythme sans précédent, menaçant non seulement l'équilibre de nos écosystèmes, mais aussi la sécurité alimentaire, la santé publique et le climat lui-même. La directrice de recherche au CNRS et membre de l'Académie des sciences souligne l'importance cruciale d'agir dès maintenant.
Pourquoi la perte de la biodiversité doit-elle nous inquiéter ?
On communique beaucoup sur le climat, beaucoup moins sur la biodiversité, dont le déclin amplifie pourtant le dérèglement climatique. Les inondations par exemple sont causées par des pluies extrêmes mais aussi par la disparition des zones humides qui servent de zones tampon pour récupérer l'eau et la relarguer en période de sécheresse.
Les espaces naturels comme les forêts, les océans, les tourbières, sont aussi des régulateurs du climat car ils absorbent le CO2. Or ces puits de carbone ne fonctionnent plus correctement aujourd'hui du fait de la perte de biodiversité.
La biodiversité, c'est-à-dire les espaces naturels, les plantes, les animaux, rendent des services écosystémiques pas toujours bien connus. La pollinisation par exemple permet le développement de 75 à 80 % des aliments cultivés, c'est un service totalement gratuit. La baisse observée des insectes pollinisateurs a un impact direct sur le rendement des cultures.
Elle offre aussi des ressources que nous consommons, ce sont les services d'approvisionnement comme la pêche, l'utilisation du bois des forêts. Autre exemple, la diversité des espèces permet aussi souvent de freiner les épidémies.
On pourrait se dire que 2 % des espèces qui ont disparu, ce n'est pas si catastrophique. Mais cette disparition est irréversible. Et un quart des espèces sont concrètement aujourd'hui en danger.
Malgré l'étendue de ces services écosystémiques, il est difficile de mesurer avec précision leur valeur ou leur impact car il y a beaucoup d'interactions entre les espèces et les plantes. Si les sols sont fertiles, c'est grâce aux micro-organismes qu'ils contiennent. Si les arbres poussent, c'est grâce aux champignons présents dans les forêts.
Où en est-on dans le déclin de la biodiversité ?
Ce n'est pas seulement un déclin, mais un véritable effondrement. On pourrait se dire que 2 % des espèces qui ont disparu, ce n'est pas si catastrophique. Mais cette disparition est irréversible. Et un quart des espèces sont concrètement aujourd'hui en danger.
Si l'on raisonne en taille de population des espèces, qu'elles soient ou non en danger, on voit qu'elle est en chute libre. La quantité d'insectes a baissé des trois quarts en 30 ans. Même chose pour les oiseaux.
Toutes les populations s'effondrent et cela s'accélère à un rythme jamais observé. Par rapport à la dernière extinction, la rapidité de l'effondrement des populations est 10 à 100 fois plus élevée, selon les espèces. Or la reformation des espèces peut prendre des millions d'années. Pour les mammifères qui vont disparaître dans les 50 prochaines années, il faudra par exemple 5 millions d'années pour qu'elles se reconstituent. On n'est pas du tout sur une échelle de temps humain.
Est-il trop tard ?
Pour inverser la tendance, il faut s'attaquer aux cinq grandes causes de l'effondrement de la biodiversité. Le changement climatique n'est pas le plus important aujourd'hui, mais son impact augmente très vite. Pas tant du fait de l'augmentation moyenne des températures que la multiplication des événements extrêmes, comme les sécheresses, les tempêtes ou les épisodes de gel tardifs. Le réchauffement affecte aussi les interactions au sein des écosystèmes, une espèce d'arbre peut se déplacer plus au nord par exemple, mais le champignon qui lui permet de grandir suivra-t-il ?
Pour l'instant, la première cause de l'effondrement, c'est la destruction des habitats, la déforestation notamment. Vient ensuite la surexploitation de la nature avec la récolte de bois, la pêche. On est en train de vider les mers, les systèmes de chalutage aujourd'hui utilisés pour racler les fonds marins détruisent tout ! Puis, les pollutions. C'est flagrant pour les insectes qui subissent l'afflux de pesticides.
Enfin, dernière grande cause du déclin, les espèces envahissantes, ces plantes, ces animaux ou ces pathogènes qui se déplacent dans le monde, au détriment des espèces natives. Un pathogène est par exemple en train de tuer tous les batraciens, il se répand à une vitesse effroyable, il a déjà provoqué l'extinction de 120 espèces et 500 autres sont menacées. Tout est interconnecté, une étude récente a montré qu'un champignon envahissant a attaqué des chauves-souris aux Etats-Unis, qui par conséquent ont moins mangé d'insectes ravageurs, provoquant une recrudescence de l'utilisation des pesticides - et en bout de course, une flambée de cancers chez les enfants.
Que peut-on faire ?
Il faut traiter ces cinq grandes causes en même temps. En se focalisant sur le CO2, on risque de tomber dans ce qu'on appelle l'« effet Rubik's Cube », on se concentre sur une face, en aggravant potentiellement le reste. Par exemple, produire des biocarburants peut se faire au détriment de la biodiversité si cela passe par de la déforestation.
Il ne faut pas attendre non plus de solution technologique miracle, d'autant que le temps est compté. La biodiversité est sujette à certains points de bascule, au-delà desquels le déclin est irréversible. Un peu comme les rivets de la carlingue d'un avion qui se détacheraient un à un. Au début, ça tient encore, et soudain, on ne peut plus rien faire.
les echos
https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-in ... ve-2126477
[quote]Parmi les questions environnementales, la biodiversité se trouve souvent reléguée au second plan. Pourtant, comme le souligne Tatiana Giraud, la crise de la biodiversité est plus alarmante que jamais. Les populations d'espèces sauvages s'effondrent à un rythme sans précédent, menaçant non seulement l'équilibre de nos écosystèmes, mais aussi la sécurité alimentaire, la santé publique et le climat lui-même. La directrice de recherche au CNRS et membre de l'Académie des sciences souligne l'importance cruciale d'agir dès maintenant.
Pourquoi la perte de la biodiversité doit-elle nous inquiéter ?
On communique beaucoup sur le climat, beaucoup moins sur la biodiversité, dont le déclin amplifie pourtant le dérèglement climatique. Les inondations par exemple sont causées par des pluies extrêmes mais aussi par la disparition des zones humides qui servent de zones tampon pour récupérer l'eau et la relarguer en période de sécheresse.
Les espaces naturels comme les forêts, les océans, les tourbières, sont aussi des régulateurs du climat car ils absorbent le CO2. Or ces puits de carbone ne fonctionnent plus correctement aujourd'hui du fait de la perte de biodiversité.
La biodiversité, c'est-à-dire les espaces naturels, les plantes, les animaux, rendent des services écosystémiques pas toujours bien connus. La pollinisation par exemple permet le développement de 75 à 80 % des aliments cultivés, c'est un service totalement gratuit. La baisse observée des insectes pollinisateurs a un impact direct sur le rendement des cultures.
Elle offre aussi des ressources que nous consommons, ce sont les services d'approvisionnement comme la pêche, l'utilisation du bois des forêts. Autre exemple, la diversité des espèces permet aussi souvent de freiner les épidémies.
On pourrait se dire que 2 % des espèces qui ont disparu, ce n'est pas si catastrophique. Mais cette disparition est irréversible. Et un quart des espèces sont concrètement aujourd'hui en danger.
Malgré l'étendue de ces services écosystémiques, il est difficile de mesurer avec précision leur valeur ou leur impact car il y a beaucoup d'interactions entre les espèces et les plantes. Si les sols sont fertiles, c'est grâce aux micro-organismes qu'ils contiennent. Si les arbres poussent, c'est grâce aux champignons présents dans les forêts.
Où en est-on dans le déclin de la biodiversité ?
Ce n'est pas seulement un déclin, mais un véritable effondrement. On pourrait se dire que 2 % des espèces qui ont disparu, ce n'est pas si catastrophique. Mais cette disparition est irréversible. Et un quart des espèces sont concrètement aujourd'hui en danger.
Si l'on raisonne en taille de population des espèces, qu'elles soient ou non en danger, on voit qu'elle est en chute libre. La quantité d'insectes a baissé des trois quarts en 30 ans. Même chose pour les oiseaux.
Toutes les populations s'effondrent et cela s'accélère à un rythme jamais observé. Par rapport à la dernière extinction, la rapidité de l'effondrement des populations est 10 à 100 fois plus élevée, selon les espèces. Or la reformation des espèces peut prendre des millions d'années. Pour les mammifères qui vont disparaître dans les 50 prochaines années, il faudra par exemple 5 millions d'années pour qu'elles se reconstituent. On n'est pas du tout sur une échelle de temps humain.
Est-il trop tard ?
Pour inverser la tendance, il faut s'attaquer aux cinq grandes causes de l'effondrement de la biodiversité. Le changement climatique n'est pas le plus important aujourd'hui, mais son impact augmente très vite. Pas tant du fait de l'augmentation moyenne des températures que la multiplication des événements extrêmes, comme les sécheresses, les tempêtes ou les épisodes de gel tardifs. Le réchauffement affecte aussi les interactions au sein des écosystèmes, une espèce d'arbre peut se déplacer plus au nord par exemple, mais le champignon qui lui permet de grandir suivra-t-il ?
Pour l'instant, la première cause de l'effondrement, c'est la destruction des habitats, la déforestation notamment. Vient ensuite la surexploitation de la nature avec la récolte de bois, la pêche. On est en train de vider les mers, les systèmes de chalutage aujourd'hui utilisés pour racler les fonds marins détruisent tout ! Puis, les pollutions. C'est flagrant pour les insectes qui subissent l'afflux de pesticides.
Enfin, dernière grande cause du déclin, les espèces envahissantes, ces plantes, ces animaux ou ces pathogènes qui se déplacent dans le monde, au détriment des espèces natives. Un pathogène est par exemple en train de tuer tous les batraciens, il se répand à une vitesse effroyable, il a déjà provoqué l'extinction de 120 espèces et 500 autres sont menacées. Tout est interconnecté, une étude récente a montré qu'un champignon envahissant a attaqué des chauves-souris aux Etats-Unis, qui par conséquent ont moins mangé d'insectes ravageurs, provoquant une recrudescence de l'utilisation des pesticides - et en bout de course, une flambée de cancers chez les enfants.
Que peut-on faire ?
Il faut traiter ces cinq grandes causes en même temps. En se focalisant sur le CO2, on risque de tomber dans ce qu'on appelle l'« effet Rubik's Cube », on se concentre sur une face, en aggravant potentiellement le reste. Par exemple, produire des biocarburants peut se faire au détriment de la biodiversité si cela passe par de la déforestation.
Il ne faut pas attendre non plus de solution technologique miracle, d'autant que le temps est compté. La biodiversité est sujette à certains points de bascule, au-delà desquels le déclin est irréversible. Un peu comme les rivets de la carlingue d'un avion qui se détacheraient un à un. Au début, ça tient encore, et soudain, on ne peut plus rien faire.[/quote]
les echos
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