Canada : le pari risqué du gaz naturel liquéfié face aux Etats-Unis
Le Canada veut se faire une place dans le club très fermé des exportateurs mondiaux de GNL. Ottawa mise sur plusieurs projets colossaux pour concurrencer Washington et séduire les importateurs en Asie. Mais le pari s'annonce périlleux, entre surcapacité mondiale et critiques écologiques.
Le chantier de Cedar LNG à Kitimat, en Colombie-Britannique, le 19 août 2025. Ce projet inédit, impliquant une communauté autochtone, incarne l'ambition canadienne sur le marché du GNL. (Jesse Winter/Reuters)
Par Timothé Boudet Publié le 25 sept. 2025
Mark Carney l'avait promis : le Canada va construire. « Build, baby, build », a lancé le Premier ministre libéral dès son arrivée au pouvoir au printemps, reprenant avec ironie un slogan de Donald Trump. Sélectionné comme projet majeur pour le Canada, le gaz naturel liquéfié (GNL) est devenu l'axe central de cette stratégie.
Pourtant, le Canada part de loin : aucune usine de liquéfaction et aucun port spécialisé ne sont encore en activité. Ce retard nourrit aujourd'hui l'offensive d'Ottawa : bâtir rapidement de nouveaux terminaux pour rivaliser avec les 90 millions de tonnes exportées chaque année par les Etats-Unis, et espérer rejoindre le cercle restreint des grands exportateurs mondiaux, qui compte aussi le Qatar, la Russie ou encore l'Australie.
Vers plus de 10 % de l'offre mondiale actuelle
Pour combler ce retard, Ottawa mise sur la côte pacifique. Le projet LNG Canada, en Colombie-Britannique, opéré par Shell, doit démarrer avant la fin de l'année. Avec ses extensions et d'autres terminaux comme Ksi Lisims ou Woodfibre, la capacité canadienne pourrait atteindre 50 millions de tonnes par an d'ici à la fin de la décennie, soit plus de 10 % de l'offre mondiale actuelle.
« Nous voulons montrer que le Canada est un partenaire fiable pour le Japon, la Corée ou encore la Pologne, souligne Shannon Joseph, présidente d'Energy for Secure Future. Notre pays doit se présenter comme un fournisseur crédible à long terme, capable de livrer du gaz sans interruption et avec des standards élevés. » Le Japon, qui importe plus de 90 % de son énergie, pourrait voir dans le Canada une option plus stable que la Russie ou le Moyen-Orient.
Les retombées économiques espérées sont considérables : plusieurs milliards investis, des milliers d'emplois et une implication inédite des Premières Nations amérindiennes. Cedar LNG, premier terminal majoritairement détenu par une communauté autochtone, symbolise cette évolution.
« Relancer l'économie canadienne »
Pour Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal, ces mégaprojets visent aussi à « relancer l'économie canadienne et à prouver que Mark Carney peut faire avancer des dossiers là où ses prédécesseurs ont échoué ». Mais l'équation reste incertaine.
Le coût de production canadien est plus élevé qu'aux Etats-Unis ou au Qatar, et Ottawa doit subventionner largement le secteur. Les économistes redoutent un effet inflationniste : la multiplication des grands chantiers, du GNL aux infrastructures électriques, pourrait tendre le marché de la construction et alourdir les coûts.
À l'international, la concurrence s'annonce féroce : entre 2024 et 2028, la capacité mondiale de GNL doit croître de 40 %, avec un risque de surabondance et de chute des prix.
Une énergie de transition contestée
Le gouvernement canadien présente le GNL comme une énergie de transition capable de remplacer le charbon. Un discours rejeté par les écologistes. « Tout nouveau projet de GNL est incompatible avec l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C », tranche Louis Couillard, responsable climat-énergie chez Greenpeace Canada.
« Le gaz naturel liquéfié, quand on regarde l'ensemble de son cycle de vie, peut être aussi polluant, voire pire que le charbon », insiste-t-il. Il pointe notamment les fuites de méthane, gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO₂, qui rendent selon lui illusoires les bénéfices climatiques avancés par les promoteurs.
Les doutes concernent aussi la demande future. Selon l'Agence internationale de l'énergie, l'Europe a atteint un pic d'importations en 2024 et devrait réduire ses achats. Au Japon comme en Corée, la relance du nucléaire freine la croissance du GNL. La Chine, de son côté, négocie du gaz russe à moitié prix, ce qui pourrait encore affaiblir l'attrait du GNL canadien. « Miser sur ces projets, c'est parier sur l'échec de la transition énergétique mondiale », résume l'économiste Renaud Gignac.
À ce stade, tout reste ouvert : les chantiers battent leur plein mais le pari canadien n'a pas encore livré son verdict. Le succès du GNL décidera autant de la place du Canada sur l'échiquier énergétique mondial que de sa capacité à tenir tête à Washington.