Nucléaire : dynamitage spectaculaire de deux tours de refroidissement en Allemagne
Les deux tours de refroidissement de la centrale bavaroise de Grafenrheinfeld ont été réduites à néant vendredi soir par l'exploitant du site. Une étape symbolique dans le démantèlement du parc nucléaire allemand.
Les deux tours de refroidissement de la centrale de Grafenrheinfeld, en Bavière, pendant leur démolition. (Karl-josef Hildenbrand/Ap/SIPA)
Par Emmanuel GRASLAND Publié le 17 août 2024 lesechos
Le spectacle aura duré 30 secondes. Hautes de 143 mètres et d'un diamètre d'environ 64 mètres au sommet, les deux tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Grafenrheinfeld, en Bavière, ont été dynamitées vendredi soir, à quelques secondes d'intervalle, et se sont effondrées sur elles-mêmes, devant des centaines de curieux, installés à distance dans les prés et les champs.
Il leur a fallu faire preuve d'un peu de patience car l'opération a pris une heure et demie de retard, après qu'un activiste pronucléaire ait grimpé à un pylône électrique situé dans la zone. Le dynamitage n'est intervenu qu'après qu'il ait été placé en garde à vue.
Les explosions ont été précédées de détonations, afin que les oiseaux perchés sur les tours, ne soient blessés. La destruction des deux tours intervient tout juste 50 ans après le début de leur construction, en 1974.
Deux tiers des gravats réutilisés
« Le dynamitage des tours de refroidissement est un signe visible de l'avancée du démantèlement de notre centrale nucléaire », a déclaré Matthias Aron, le chef du projet sur la centrale de Grafenrheinfeld. Les préparatifs pour la démolition ont commencé il y a trois ans déjà. Il a fallu prouver que celle-ci n'aurait aucun impact sur le bâtiment du réacteur et les sites de stockage provisoire des déchets nucléaires.
Plus des deux tiers des gravats de béton et d'acier qui jonchent désormais le sol seront réutilisés. Il n'y a pas de problématique de déchets, car les tours de refroidissement n'appartiennent pas à la partie nucléaire de l'installation. Selon l'exploitant de la centrale, PreussenElektra, le coût total de la démolition des tours est d'un peu plus de trois millions d'euros.
Ces explosions marquent la deuxième destruction de tours de refroidissement en Allemagne, après celles de Philippsburg, dans le Bade-Wurtemberg, en mai 2020. En activité pendant trente-trois ans, la centrale de 1.200 mégawatts (MW) de Grafenrheinfeld a fonctionné jusqu'à son arrêt en 2015. Le démantèlement du site a été lancé en 2018.
Un travail de dix à douze ans
Alors que l'Allemagne a arrêté en avril 2023 ses trois dernières centrales nucléaires, le pays s'engage désormais sur le long chemin du démantèlement d'un parc de 36 sites d'une capacité totale de 26,4 Gigawatts (GW).
Selon les experts, il faut environ dix à douze ans pour démanteler une centrale, si tout se passe bien. Mais cela peut déraper, comme sur le site du démonstrateur de Niederaichbach (100 MW), en Bavière, où le processus a duré près de vingt ans.
A Krümmel (Rhénanie-Palatinat), l'opérateur espère boucler le démantèlement en 2039, après un arrêt officiel en 2011. En France, le petit réacteur de Brennilis, dans les monts d'Arrée, est toujours en cours de déconstruction après avoir été arrêté en 1985.
Le coût d'un tel chantier n'est pas non plus négligeable : en théorie, au minimum un milliard d'euros, pris en charge par les exploitants. Le gros défi reste la manipulation des matériaux radioactifs. Ces déchets sont séparés et préparés pour un stockage définitif tandis que les autres matériaux sont démontés et nettoyés à grands frais.
11 sites démantelés dans le monde
D'après le dernier rapport sur l'état de l'industrie nucléaire mondiale, sur les 204 centrales nucléaires qui ont été arrêtées dans le monde à ce jour, seuls 11 sites ont été complètement démantelés, dont trois en Allemagne (deux prototypes et un démonstrateur).
D'une capacité de 640 MW, Würzen (Saxe) est le seul site commercial allemand techniquement démantelé. Mais il reste sous contrôle légal, car des bâtiments servent à entreposer des déchets nucléaires.
En Allemagne, le grand enjeu du démantèlement sera de trouver un lieu de stockage définitif. Si un site a été identifié pour les déchets faiblement ou moyennement radioactifs, ce n'est pas le cas pour les 27.000 m3 de déchets les plus dangereux.
En 1977, l'Allemagne avait décidé d'entreposer ceux-ci à Gorleben, en Basse-Saxe, dans une ancienne mine de sel. Mais les autorités ont fini par abandonner cette idée en 2017, après des décennies de travaux et de protestations antinucléaires ayant attiré jusqu'à 100.000 manifestants.
Un site de stockage identifié au mieux en 2074
Trouver un autre site sera plus que compliqué. D'après un rapport d'un organisme de recherche, l'Öko-Institut, mandaté par l'Office fédéral pour la sécurité de l'élimination des déchets nucléaires, paru début août, le processus sera achevé au mieux en 2074.
Le ministère allemand de l'Environnement part, quant à lui, du principe d'y arriver d'ici au milieu du siècle. Voilà une dizaine d'années, le Parlement allemand avait fixé 2031 comme date cible.
Emmanuel Grasland (Correspondant à Berlin)