Canal du Nicaragua : percée stratégique de la Chine en Amérique
Daniel Ortega, président du Nicaragua, et Wang Jing, président de l'entreprise chinoise HKND, le 14 juin 2013 à Managua, lors de signature du contrat sur la construction du "Grand canal interocéanique du Nicaragua". (Source photo : hknd-group.com)
MANAGUA / MADRID, 9 février 2015 LatinReporters.com
Creuser au Nicaragua un canal interocéanique à moins de 600 km de celui de Panama et pouvoir le gérer pendant un siècle sera, en cas de réussite de l'entreprise chinoise maître d'ouvrage, une percée stratégique de la Chine sur le continent Amérique, au-delà donc de l'Amérique latine.
Stratégique, car d'une importance déterminante du point de vue tant commercial que géopolitique. Et cela à la fois pour la Chine et les pays américains, États-Unis y compris.
Le début de la construction de l'une des routes qui desserviront le mégachantier a été officialisé le 22 décembre dernier par les premiers coups de pioche sur le terrain et les discours à Managua du sandiniste Daniel Ortega, président du Nicaragua, et de Wang Jing, président de la compagnie chinoise Hong Kong Nicaragua Canal Development Investment Co. Limited (HKND Group).
Les deux hommes avaient signé le 14 juin 2013 le contrat qui attribue à HKND le tracé, le développement, l'ingénierie, les accords de financement, la construction, l'exploitation, l'entretien et l'administration d'un canal entre les océans Atlantique et Pacifique.
Concession de 50 ans renouvelable
Le projet prévoit aussi la construction de deux ports, d'un aéroport international, d'une zone franche, de plusieurs complexes touristiques, d'une centrale hydroélectrique, de deux cimenteries et d'autres installations garantissant la bonne marche des travaux.
La compagnie chinoise évalue que les travaux nécessiteront l'embauche de 50.000 salariés, dont 50% de Nicaraguayens, la main d'oeuvre qualifiée étant assurée par des expatriés, principalement Chinois. Les projections du gouvernement nicaraguayen y ajoutent avec optimisme plusieurs centaines de milliers d'emplois dérivés.
D'une durée initiale de 50 ans, la concession exclusive octroyée à HKND pourra, à sa demande, être prorogée de 50 autres années.
De l'embouchure du fleuve Brito, sur l'océan Pacifique, à celle du fleuve Punta Gorda, sur la mer des Caraïbes et l'Atlantique, le canal du Nicaragua s'étendra, précise HKND dans sa description détaillée du projet datée de décembre 2014, sur 275 km (278 selon les autorités nicaraguayennes), y compris 16 km dragués dans les océans pour garantir les accès. La largeur de l'ouvrage variera, selon les tronçons, de 230 à 520 m.
Sur 107 km, soit plus du tiers de son parcours, le canal utilisera le lac Nicaragua, vaste réservoir d'eau douce de 8.264 km². Pour y assurer la navigabilité sur une profondeur proche de 30 m, il faudra le draguer massivement, ce qui exacerbe, ainsi que les expropriations et les déplacements d'habitants, une notable opposition écologique et sociale au projet interocéanique. La création d'un lac artificiel sur le versant atlantique est également polémique.
Insuffisance du canal de Panama élargi ?
Le coût estimé des travaux est actuellement de 50 milliards de dollars. Plus surprenante est la prévision de leur durée : à peine cinq ans, la traversée du canal par le navire qui l'inaugurera étant annoncée par HKND pour 2020.
À titre de comparaison, les travaux du seul élargissement du canal de Panama, long de 78 km, soit quasi quatre fois moins que le canal du Nicaragua, ne se concluront que cette année, voire en 2016, huit ou neuf ans après leur lancement en septembre 2007.
Il semble paradoxal que la construction du canal du Nicaragua s'ouvre au moment où le canal de Panama se dote d'un troisième jeu d'écluses pour permettre le transit de nouveaux gabarits du commerce maritime, de navires appelés significativement post-Panamax, trop grands pour les jeux d'écluses 1 et 2.
Mais pour justifier son projet au Nicaragua, HKND affirme que, même réaménagé pour accueillir des navires portant 13.000 conteneurs (contre un maximum de 5.000 aujourd'hui), le canal de Panama ne tardera pas à se révéler insuffisant à cause, d'une part, de la croissance rapide du commerce entre l'Asie et le continent américain et, d'autre part, de la hausse incessante des gabarits pour raison de rentabilité.
HKND affirmait à l'époque de la signature de son contrat avec le Nicaragua, en 2013, que déjà 10% de la flotte mondiale des porte-conteneurs ne pourrait pas, pour raison de dimension, traverser le canal de Panama élargi.
Séduire tant l'Amérique latine que l'Amérique du Nord
Selon l'entreprise chinoise, le canal du Nicaragua, plus large et plus profond, pourra traiter des bâtiments super-post-Panamax transportant jusqu'à 23.000 conteneurs. Cette capacité, quasi la double de celle que permettra le canal de Panama réaménagé, animera la course aux grands gabarits à laquelle participent non seulement les navires porte-conteneurs, mais aussi les pétroliers, les céréaliers et les minéraliers.
Il en résulterait, croit HKND, une accélération de la croissance des échanges commerciaux entre le continent américain et l'Asie, une perspective qui pourrait séduire tant l'Amérique latine que l'Amérique du Nord. Cette dernière apprécierait en outre, selon divers observateurs, que la navigation entre côtes est et ouest des États-Unis et du Canada soit raccourcie de 800 km via le canal du Nicaragua.
La Chine, elle, grande consommatrice de matières premières, verrait mieux garanti son approvisionnement en minerais, en hydrocarbures et en produits alimentaires latino-américains. Cette voracité a elle-même accru considérablement l'influence de Pékin en Amérique latine.
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