Comment Hydroma a lancé la vague de l’hydrogène blanc depuis un village malien
[L'instant tech] Naturel, natif, blanc… C'est une réalité scientifique et industrielle : l’hydrogène peut être une source d'énergie directement extraite des entrailles de la Terre. Au Mali, la société Hydroma travaille sur le sujet depuis près de 20 ans et joue un grand rôle dans l'avancée des connaissances sur le sujet, qui progressent aussi en France. La montée à l’échelle de cette solution reste pourtant incertaine.
Nathan Mann 05 février 2024 Usine Nouvelle
Fines lunettes carrées sans monture et costume couleur bleu jean, Aliou Diallo savoure sa victoire. «La première fois que je suis venu à Hyvolution, en 2016, les gens nous prenaient pour des fous. Mais nous avons prouvé que l'hydrogène naturel n’est pas une curiosité géologique, mais bien une source d'électricité», raconte le président et fondateur d’Hydroma. Sur le salon dédié à l’hydrogène, qui se tenait du 30 février au 1er septembre, à Paris, l'entrepreneur d’origine malienne de 64 ans détonne par son pari atypique : produire de l’hydrogène non pas à partir d’électricité ou de gaz (il n'est alors qu'un vecteur énergétique), mais en profitant des mécanismes à l’oeuvre dans les entrailles de la Terre pour l'extraire. Et en faire une source d'énergie à part entière.
Hydroma, l’entreprise qu’il a fondée en 2006 au Canada pour développer la production d’hydrogène «naturel» (parfois désigné comme hydrogène «blanc», ou «natif») au Mali, est la tête de proue de ce mouvement, qui gagne en popularité, après avoir longtemps été cantonné aux marges, voire considéré comme contradictoire avec l’état des connaissances scientifiques.
Tout est parti d’un feu à Bourakèbougou
En quelques années, des start-up américaines et australiennes, comme HyTerra, Gold Hydrogen, Natural Hydrogen Energy, ou Kolama, se sont positionnées. La France aussi est entrée dans la danse, et fait de l’hydrogène naturel une des priorités du plan d’investissement France 2030. Une reconnaissance dans laquelle Hydroma a joué un rôle pionnier : «c’est le seul exemple industriel qui permet de dire, aujourd’hui, que la production d’hydrogène naturel est une réalité», salue Nicolas Gonthier, responsable projet au sein du pôle de compétitivité des industries du sous-sol Avenia. L’ingénieur géologue, qui donnait une conférence sur les perspectives de cette filière émergente, note un changement : cette année, la curiosité des participants pour le sujet a monté d’un cran.
Tout est parti du petit village de Bourakèbougou, situé à une soixantaine kilomètres au nord de Bamako, au sud du Mali. En 1987, un puits creusé à une centaine de mètres sous terre dans l’espoir de trouver de l’eau prend feu suite à une cigarette allumée au mauvais endroit, et est refermé très rapidement. C’est plus d’une décennie plus tard que les ingénieurs d’Hydroma (qui a pris un permis d’exploration de pétrole et de gaz sur une zone «plus grande que la Suisse» incluant Bourakèbougou) entendent parler par les villageois de ce «coin du diable» considéré comme maudit, raconte Aliou Diallo. Loin de s’inquiéter de cette mauvaise réputation, ils enquêtent. Et redécouvrent la source d’hydrogène naturel. «Nous n’avons pas trouvé l'endroit par hasard : nous avons mené des campagnes pour confirmer le potentiel de la zone, avant de faire revivre le puits pour savoir», insiste Aliou Diallo.
A la surprise générale, le puits rouvert en 2012 (et fermé récemment en raison d’une position non optimale dans le village) par Hydroma parvient à tirer en continu de l’hydrogène du sol. La molécule sert depuis pour produire de l’électricité, d’abord via un générateur puis, depuis 2022, grâce à l’installation d’une pile à combustible de 5 kW. A peine de quoi alimenter l’éclairage public du village de 1000 habitants et, parfois, quelques appareils électroniques. Mais assez pour remplir le rôle de «showcase [démonstrateur] non commercial», défend Aliou Diallo. «Nous avons montré que la pression et les débits sont là, y compris sur des puits peu profonds qui captent l’hydrogène à 110 mètres et le sortent à 4 bars», explique-t-il en énumérant les nombreux experts d’entreprises parapétrolières venus «avec ceintures et bretelles», participer au projet.
«L’hydrogène est là, il faut le prendre»
Au total, Hydroma affirme avoir creusé 27 puits dont plusieurs à 700 mètres et deux, plus profonds, à 1800 et 2400 mètres. Tous sont producteurs d’hydrogène, vante Aliou Diallo qui note une meilleure qualité en surface et liste des hypothèses sur l’origine du gaz et son comportement. Il privilégie la théorie de la serpentinisation, un type d’oxydation des roches riches en fer au contact de l’eau chaude en profondeur, qui ferait de l’hydrogène une ressource produite en continu, et donc… renouvelable. Selon lui, l’hydrogène remonte des profondeurs du sol à travers les fissures des différentes couches pour s’amasser dans un réservoir carbonaté à 100 mètres de profondeur, bloqué par «une bonne couverture non fracturée, faite de dolérite et de latérite», décrit-il, en s’appuyant sur les conclusions d’une thèse récente réalisée en collaboration avec l’Ifpen, le principal organisme de recherche français dédié à l'énergie.
Dans le monde scientifique, de nombreuses interrogations subsistent autour des origines de l’hydrogène naturel, de sa capacité à s’accumuler en quantité dans le sous-sol, ou de ses comportements. Son véritable potentiel, ainsi que le risque de fuites sont aussi interrogés : l’hydrogène ne réchauffe pas directement l’atmosphère mais peut augmenter la durée de vie du méthane, lui-même néfaste pour le climat. «Je ne suis pas un scientifique mais un promoteur : l’hydrogène est là, il faut le prendre», pense Aliou Diallo.
L’homme, qui a fait fortune dans le rachat de dettes de pays africains avant d’investir dans une mine d’or au Mali, puis de lancer Hydroma, s’est aussi présenté aux élections présidentielles de 2018, obtenant la troisième place. Avec un discours rodé, il rappelle comment Rockefeller produisait du pétrole avant que les géologues n’y comprennent grand chose. Le coût de production, ultra-compétitif, atteindrait un dollar le kilo d’hydrogène.
Des réserves encore mal quantifiées dans le monde
Pour Aliou Diallo, aucun doute : «l’hydrogène naturel est un game changer, il va tout changer», répète-t-il, en citant une étude des Services géologiques américains (USGS) selon laquelle «il suffit de récupérer quelques pourcents de l’hydrogène naturel produit par la Terre pour répondre à tous nos besoins.» Basé sur des statistiques globales, ce travail «regarde la quantité d’hydrogène qui peut être générée naturellement en prenant en compte tous les mécanismes que l’on connaît», modère Isabelle Moretti, reconnue comme une experte internationale du sujet. Or, si Hydroma a déjà validé ses hypothèses au travers des forages – l’entreprise estime ses réserves maliennes à 670 milliards de mètres cubes – la situation mondiale reste plus incertaine et nécessite un travail d’exploration approfondi.
Problème, le Mali a connu deux coups d'État depuis 2020. «Ce qu’Hydroma a fait au Mali est super, le problème c’est qu’il y a beaucoup d’armes», résume Isabelle Moretti tandis qu’Aliou Diallo reconnaît qu’il est «difficile d’y produire à grande échelle compte tenu du risque politique». Hydroma mise donc en parallèle sur d’autres pays, et a établi des filiales au Sénégal et aux Etats-Unis pour débuter un travail d’exploration. Pour devenir «une grande société d’hydrogène» – qu’il soit utilisé pour des besoins locaux tels la production d’engrais ou le raffinage de pétrole, ou exporté sous forme d’ammoniac – elle mise aussi sur l’hydrogène vert produit avec de l’électricité renouvelable dans les pays où le potentiel est important, comme la Mauritanie. Aliou Diallo reste toutefois discret sur les investissements réels, ou les zones prometteuses. La société espère multiplier les découvertes d’hydrogène naturel dans divers pays puis y mener des études de faisabilité, qui prendront plusieurs années. Aucune date de montée à l’échelle industrielle n’est encore établie.