EDF décide de lancer Hinkley Point, Londres tergiverse
LE MONDE | 28.07.2016
Les deux réacteurs nucléaires EPR prévus à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, sortiront-ils un jour de terre ? Après des mois d’hésitations et de polémique, EDF a décidé jeudi 28 juillet de lancer leur construction, l’un des plus audacieux projets de son histoire. Malgré l’opposition d’une grande partie du personnel, les administrateurs réunis à Paris ont donné leur feu vert à cet investissement chiffré sur le papier à 18 milliards de livres (21,4 milliards d’euros environ). En croisant les doigts pour que ce chantier à hauts risques n’emmène pas EDF à la faillite, comme le prédisent les écologistes, mais aussi certains cadres du groupe…
Muni de cette autorisation, le PDG, Jean-Bernard Lévy, espérait signer dès vendredi l’accord définitif avec l’Etat britannique, clé de voûte du projet.
Mais dans la soirée, surprise : le conseil avait à peine pris sa décision que Greg Clark, le nouveau ministre du commerce et de l’énergie, stoppait tout. « Le gouvernement va à présent analyser soigneusement tous les aspects de ce projet et prendra sa décision au début de l’automne », a-t-il déclaré. Les dirigeants d’EDF ont dû annuler leur déplacement en catastrophe.
Le nouvel exécutif britannique va-t-il remettre en cause les engagements du précédent ? Ces dernières semaines, après le Brexit, les contacts avec la nouvelle première ministre, Theresa May, et son équipe avaient au contraire confirmé la volonté britannique d’aller de l’avant, malgré les critiques très vives au Royaume-Uni. Mme May entend cependant vérifier une dernière fois tous les aspects du dossier avant d’appuyer – ou non – sur le bouton.
Les syndicats hostiles au projet
Elle pourrait avoir été sensible au montage financier et industriel, qui fait la part belle au géant chinois China General Nuclear Power Corporation (CGN). Celui-ci doit détenir 33,5 % de la centrale puis en construire une autre au Royaume-Uni. Alors que le gouvernement de David Cameron avait l’ambition de faire de la City une tête de pont pour les investissements chinois en Europe, Mme May semble plus réservée. « Qu’achètent les Chinois avec leur or ? », demandait Nick Timothy, son premier conseiller politique, dans la revue Conservative Home en octobre 2015. Et de répondre : « La première chose qui figure sur leur liste de courses est le silence britannique sur les violations des droits de l’homme. »
Ce nouveau délai complique en tous les cas la tâche de M. Lévy, qui pensait avoir franchi les principaux obstacles.
EDF a déjà dépensé plus de 2,5 milliards d’euros pour concevoir la centrale, acheter le terrain, le terrasser, etc. Désormais, la priorité devait être de boucler les contrats au plus vite. Celui avec Londres, mais aussi ceux avec CGN et avec les principaux fournisseurs, dont Bouygues et Areva. Objectif : mettre en service le premier réacteur dans neuf ans et sept mois, en février 2026. Un calendrier serré.
En France aussi, la décision a été difficile à prendre. Depuis des mois, l’Etat actionnaire est partagé sur la pertinence du projet, la ministre de l’énergie, Ségolène Royal, redoutant qu’il n’empêche EDF d’investir dans les énergies renouvelables. L’entreprise, surtout, se révèle profondément divisée. Si M. Lévy et ses proches militent pour le démarrage du chantier, de nombreux cadres et tous les syndicats y sont hostiles.
Le conseil de jeudi, tendu, a reflété ces dissensions. Seuls dix administrateurs sur dix-huit ont voté en faveur du projet. Les six représentants des salariés s’y sont opposés, ainsi que l’ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot. Quant à Gérard Magnin, un ancien délégué régional de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), entré au conseil en 2014 sur proposition de l’Etat actionnaire, il a préféré claquer la porte quelques heures avant la réunion.
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Le calendrier prévoit de construire les deux EPR en un temps plus court que tous ceux en chantier en Finlande, en France et même en Chine. « Tenir ce délai nécessite des ratios de productivité qu’on n’a jamais été capable d’atteindre, c’est une vue de l’esprit », juge un de ceux qui ont étudié le dossier en profondeur. D’autant qu’il s’agit d’un EPR spécifique, adapté aux demandes des autorités britanniques et à la configuration du terrain.
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