Je suis en train de lire
Imagined Worlds de
Freeman Dyson. Il y expose un concept qui m'a fait pensé à la Z-machine : la recherche "napoléonienne" et la recherche à la "Tolstoi".
Il appelle "napoléonien" les projets de recherche centralisés, lourds et chers. Dans les exemples typiques, il y a les accélérateurs géants, Apollo, la Station Spatiale Internationale et tous ces projets dont le budget crève le plafond, mais permette en même temps de faire des progrès immenses d'un seul coup.
A la Tolstoi, ce serait plutôt les champs de recherche anarchique et créatif, peu dirigé et nettement moins couteux. Plutôt qu'un projet centralisé, on aurait plutôt un réseau de projets moins couteux qui pourraient fonctionner seul ou ensemble. Comme exemple, il cite l'astronomie récente, avec des télescopes petits mais nombreux, avec un traitement numérique de l'image, qui fournissent un flux de données important disponibles à qui veut l'étudier. Il parle aussi d'autres domaines, comme la génétique, par exemple.
L'auteur est évidemment partisan de l'organisation à la Tolstoi et il donne les arguments suivants : l'organisation napoléonienne coûte chère et est fortement dépendante du financement étatique. En cas d'échec d'un méga-projet, outre les pertes financières directes, c'est la confiance en la recherche qui est perdue. L'état donnera moins volontiers des budgets à des projets qui ont une chance sur deux de ne rien donner. De plus, dans un méga-projet, on ne trouve pas facilement quelque chose par hasard : soit on trouve ce qu'on cherche, soit on ne trouve
rien (ce qui fait tout de même quelque chose à analyser : si on ne trouve pas le boson de Higgs dans le LHC, ça va quand-même donner pas mal de boulot aux théoriciens.) A contrario, l'organisation à la Tolstoi permet de couvrir des domaines plus vastes avec moins d'argent, et dépend donc moins du financement de l'état. En période de vaches maigres, ce n'est pas le domaine de recherche entier qui va disparaitre, mais seulement une partie des projets de recherche. De plus, le domaine étant plus large, les chances d'une découverte imprévue sont plus grandes. Dernière chose encore, en cas d'échec d'un projet, les dégâts sont très faibles pour l'image du domaine. Il suffit qu'un autre projet progresse pour annuler les conséquences de cet échec.
Evidemment, il y a des aspects négatifs à l'organisation à la Tolstoi, par exemple s'il y a un palier à passer qui ne pourrait pas se faire de manière décentralisée : avant de construire internet, il a bien fallu construire des calculateurs centralisés (napoléonien) pour pouvoir ensuite construire un PC (décentralisation.)
Maintenant, le rapport avec la choucroute devrait vous sembler évident : ITER est un projet napoléonien, dont on n'est absolument pas sur du résultat et qui en cas d'échec peut faire de gros dégât à l'image de la recherche (qui serait taxée ensuite comme inutile et couteuse.) A l'inverse, la Z-machine représente plutôt le mode de recherche à la Tolstoi : avec le budget d'ITER, on aurait pu équiper beaucoup de labos pour explorer le potentiel des machines du genre, peut-être sans faire de découverte aussi importante que la fusion contrôlée, mais en faisant certainement d'autres découvertes moins impressionnantes, comme établir un nouveau record de température en laboratoire.
Voilà. En attendant, je préfèrerais qu'ITER, tout comme la Z-machine, soit un succès.