Le rapport Cyclope analyse les cours élevés des «commodités»
Les matières premières, c'est la hausse qu'elles préfèrent
par Vittorio DE FILIPPIS
Liberation mercredi 24 mai 2006
La vingtième édition du rapport Cyclope, la bible des matières premières, ou plus exactement des marchés mondiaux, offre cette année encore un panorama exhaustif des tensions et des passions qui affectent les marchés internationaux. L'occasion, comme l'évoque, dans une poétique entrée en matière, l'écrivain et académicien Erik Orsenna, de «nous rappeler que derrière les Services, que derrière la Banque, l'Assurance, le Conseil, que derrière le Virtuel, le Réel existe, avec ses fossiles, c'est-à-dire ses raretés, mères de graves tensions à venir». Vingt ans à nous expliquer aussi que les marchés de matières premières ne peuvent se réduire au pétrole, gaz, platine, or, viande, cacao, caoutchouc, oléoprotéagineux, antimoine, chrome, cobalt et autre tantale... Non, il faut regarder large, très large, et prendre en compte bien d'autres marchés, qui eux aussi, se comportent, peu ou prou comme des matières premières. C'est vrai des marchés des semi-conducteurs, du fret maritime dont les contrats se négocient plusieurs fois entre le départ et l'arrivée d'un cargo chargé à ras bord d'automobiles coréennes... C'est encore vrai du papier, de la chimie, des engrais, des textiles, de l'électricité, des marchés du carbone et même de l'art. Bienvenue dans le monde des commodities, comme le disent les Anglo-Saxons. Version francisée, cela donne des «commodités», mot censé couvrir l'ensemble des produits, services et instruments financiers soumis à la logique des marchés... et donc de l'instabilité. Dans ce grand bal mondial de l'offre et de la demande tout (ou presque) est donc commodité.
«Bulle ou pas bulle ?». Alors, bien sûr, les cycles et les orientations des produits et des échanges nous disent que le pétrole est à plus de 70 dollars le baril, que l'or est à plus de 500 dollars l'once, que le cuivre atteint des records historiques en flirtant avec le niveau des 5 000 dollars la tonne... Ou encore qu'une seule question se pose dès lors qu'on envisage une discussion sérieuse sur l'état des cours du sucre : «Bulle ou pas bulle ?»
Bien sûr, l'ogre chinois, «qui depuis trente ans roule à plus de 10 % de croissance par an, du jamais vu dans l'histoire de l'économie, est le principal élément explicatif de ce choc des matières premières», explique Philippe Chalmin, coordinateur du rapport Cyclope.
Fin janvier 2006, la Chine entre dans l'année du Chien... «Mais ces animaux n'y sont pas vraiment à la fête !» estime le rapport dans la section «Viandes» : «La viande favorite des restaurants de chien est le saint-bernard, importé de Suisse dans les années 90... Les éleveurs de rou gou (chiens de boucherie) vendent ces saint-bernard souvent croisés au prix de 1 000 yuans, environ 100 euros», poursuit le rapport. Et même le rou gou est traité comme une commodité.
Malédiction. Au-delà des encadrés et autres petites histoires, le rapport Cyclope prévoit un «scénario 2006 marqué par la poursuite des tensions sur les marchés des commodités dont les niveaux resteraient à peu près équivalents à ceux de 2005». Autant dire très haut. En fait à eux trois, Chine, Inde, et Etats-Unis devraient, selon les projections de Cyclope se partager «comme en 2005 entre la moitié et les deux tiers de la croissance mondiale. Ce sont eux nos véritables moteurs et, pour l'instant, ils ne donnent guère de signes de faiblesse».
Dans le meilleur des cas, l'indice global des commodités, tous produits confondus, devrait progresser de 10 % en 2006, contre 28,5 % en 2005.
Comment Cyclope voit-il l'avenir des pays producteurs de matières premières lorsque ces dernières flambent ? A un seul oeil certes, mais un oeil inquiet. Pour les grands pays «émergents» (comme le Brésil ou, dans une moindre mesure, le Chili) ou les pays en transition (comme la Russie), cela devrait plutôt bien se passer.
En revanche, l'horizon est plus gris pour les «vrais pays du tiers-monde, ceux dont les recettes d'exportation dépendent de deux ou trois produits» parmi lesquels certains pays d'Afrique et d'Amérique latine. Dans ces pays riches en minerais, pétrole ou sucre, la rente, concentrée entre quelques mains, n'est pas redistribuée aux populations.
C'est là malheureusement un paradoxe bien connu des économistes qui parlent de la malédiction des matières premières : la richesse induite par l'augmentation des cours mondiaux peut provoquer ou maintenir la pauvreté et le «mal-vivre».
Le rapport Cyclope 2006, apparemment présenté comme une référence en la matière, coûte 115 € ! Décidément, tout augmente