Navettes: un arrêt difficile pour la "Côte spatiale"
CAP CANAVERAL, Floride (AP) — Les employés du Centre spatial Kennedy savaient que l'arrêt du programme de navettes de la NASA aurait des conséquences négatives pour l'emploi en Floride. Mais ils n'en avaient pas mesuré l'ampleur. Environ 7.000 postes sont supprimés, et les espoirs de reclassement se sont envolés l'an dernier, avec l'abandon du programme lunaire Constellation.
Les anciens du centre spatial ainsi que ceux qui vont les rejoindre se trouvent désormais en compétition sur un marché du travail qui compte plus d'une personne sur dix à la recherche d'un emploi. Et alors que la "Côte spatiale", surnom donné à la côte Est de la Floride, ne s'est pas encore remise de la crise du logement, les employés ont du mal à vendre leur maison pour quitter la région.
La "Côte spatiale" a déjà connu des temps difficiles par le passé. Ainsi, elle a subi une pause entre l'arrêt du programme Apollo par la NASA au milieu des années 1970 et le premier lancement de navette, en 1981. Mais les salariés et les commerces de la région savaient que cette période de disette aurait une fin, avec le programme de navettes en ligne de mire.
Pour l'heure, rien de ce type à l'horizon. Après quasiment de 23 ans de bons et loyaux services, l'ingénieur Tony Crisafulli sera licencié deux jours après le retour courant juillet de la navette Atlantis, dont le lancement est prévu ce vendredi, sauf gros temps. "Nous sommes tous là à bosser comme des dingues, en sachant que nous allons perdre notre boulot dans quelques jours", explique-t-il.
Les employés du centre spatial comptaient sur le programme Constellation pour amortir l'arrêt des navettes. Mais l'abandon de ce projet a entraîné la suppression de 2.000 emplois. "Nous comptions tous là-dessus pour faciliter la transition", confie Tony Crisafulli. "Au moins, c'était quelque chose." L'administration Obama a décidé cet abandon en avril 2010, au profit de missions habitées vers les astéroïdes et Mars dans les prochaines décennies.
Les agences locales pour l'emploi estiment que la NASA injecte 1,2 milliard de dollars (environ 836 millions d'euros) dans l'économie de la Floride et que, pour chaque emploi perdu dans l'aérospatiale, deux autres sont également supprimés.
Au plus fort du programme de navettes, le centre spatial Kennedy comptait 17.000 employés qui travaillaient principalement pour des entrepreneurs privés. Après son arrêt, il y en aura un peu plus de 8.500. Ils seront chargés de préparer les navettes pour des musées, travailleront sur les vols inhabités, et développeront et testeront la future capsule destinée aux missions habitées.
Le programme spatial touche à l'identité d'une région qui s'étend le long des côtes de l'Atlantique, en Floride. Choisie à la fin des années 1950 pour accueillir le centre Kennedy, elle a attiré des ingénieurs, des directeurs de projets et des techniciens. L'aérospatiale est devenue la principale industrie de l'Etat. Du nom des écoles au lit en forme de navette au Best Western de Titusville, les références à l'espace sont partout.
Pour les commerces et l'hôtellerie, les conséquences de l'arrêt des navettes commencent à se faire sentir. Et après juillet, les réservations vont devenir plus rares. "Tout le monde commence à être gêné aux entournures. Les gens ne travaillent pas. Ils économisent", observe Donna Thrash, qui dirige un atelier de recherches d'emploi pour les employés du centre spatial.
La "Côte spatiale" se prépare depuis plusieurs années à l'arrêt des navettes. Mais cette annonce, en 2004, s'est produite dans un contexte différent, avec un taux de chômage de 3,5% en Floride et un marché immobilier florissant. Aujourd'hui, on compte 10,6% de demandeurs d'emploi, la croissance a disparu et les pancartes "à vendre" se sont multipliées.
Parmi les reconversions naturelles et possibles pour les personnes licenciées, figurent notamment l'avionneur Boeing et d'autres sociétés spécialisées dans l'aérospatiale, en Caroline du Sud, en Oklahoma et la région du Nord-Ouest Pacifique. "Nous n'avons pas besoin de chercheurs en aérospatiale pour construire des avions commerciaux mais nous avons besoin de personnes intelligentes", explique Stephen Davis, un porte-parole de Boeing.
Mais ce ne sont que quelques dizaines, éventuellement quelques centaines d'emplois. Et si ces employés sont recrutés hors de Floride, ils devront vendre leur logement, en pleine crise immobilière. Une maison se vendait en moyenne à près de 250.000 dollars en 2007 à Cap Canaveral. En mai dernier, elle ne valait plus que 110.000 dollars, selon le site d'annonces immobilières Zillow.
Le technicien Giovanni Pinzon juge qu'il sera difficile de déménager pour des personnes comme lui, bien établies dans une région, avec une famille et une maison. "Je n'exclus pas de quitter l'Etat mais ce sera en dernier recours", confie cet homme de 47 ans, qui sera licencié deux jours après le dernier atterrissage.
Raymond Steele, 57 ans, a perdu son emploi d'ingénieur avec l'abandon du programme lunaire. Son mariage s'est effondré. Mais il s'inquiète surtout pour l'avenir de la "Côte spatiale". "Il y a un gros effet domino", note-t-il. "Cela ne concerne pas seulement un ingénieur comme moi qui se fait licencier. Il y a les épouses, les enfants, les écoles, les restaurants. Cela ne touche pas seulement les emplois, mais également les communautés."