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par bruno lemaire » 07 janv. 2010, 18:05
Bonjour, ou bonsoir, tout le monde.
Je profite d'une tempête de neige sur la catalogne pour essayer d'élargir le débat monnaie locale, monnaie globale.
C'est le problème islandais et la question de la notation de l'économie grecque - ainsi que les problèmes récurrents du dollar - qui m'ont fait réagir.
J'ai l'impression que l'on a à la fois, quand on parle monnaie, un problème de hiérarchie entre les monnaies, et aussi un problème de complémentarité entre les monnaies.
Je m'explique:
En France - en oubliant la période historique de l'étalon-or, plus ou moins mythique, la monnaie "fondamentale" (Jorion dirait la "seule" monnaie) est la monnaie fiduciaire, la seule légale (c'est m^me pas vrai, car certaines transactions ne peuvent être faites en billets, mais ce n'est pas la question, pour le moment du moins)
Cette monnaie est "garantie" par l'Etat. Mais cette garantie n'est pas absolue, au sens où la "valeur" de cette monnaie est variable au cours du temps, à la fois vis à vis des biens et services "locaux" qu'elle peut acheter, ainsi que vis à vis d'autres monnaies, la livre, le yen, le dollar, la monnaie chinoise, brésilienne, russe, indienne (les monnaies du BRIC). La seule "garantie" absolue, c'est qu'on a, plus ou moins, l'obligation de l'accepter à sa valeur faciale dans le cas d'une transaction (en France, si c'est la monnaie française, l'euro maintenant, donc aussi dans la zone euro).
Voilà le noyau de la pyramide, ou de la poupée russe, si vous préférez. Ce noyau apparaît hiérarchiquement comme supérieur aux autres monnaies, en particulier la monnaie scripturale. Mais il convient de se demander pourquoi.
Cette monnaie-billets est émise par la Banque Centrale, "garantie" par elle. Certes, mais la Banque Centrale, par l'intermédiaire de différents mécanismes, permet aussi aux banques commerciales d'émettre 5 à 8 fois autant d'euros "bancaires" qu'il y a d'euros papier. Une fois émis, et amassés dans mon DAV, je suis bien incapable de faire la part de ce qui est "euro-billet" et de ce qui est "euro-bancaire".
La seule chose que je peux dire, c'est que dans le contexte d'un frémissement de crise, je préfère avoir des euros "Crédit Agricole" que des euros "Banque du Coin", mes chèques ou ma carte de crédit "Credit Agricole" ayant sans doute plus de valeur.
On peut dire aussi, en cas de panique totale, que je préfèrerai peut être convertir tout mon argent en euros-billets (je peux aussi acheter des devises dont je pense qu'elle va monter, la devise chinoise par exemple: je sais, c'est pas beau, c'est pas citoyen).
Cela semble indiquer que l'euro-billet a plus de valeur - dans ce contexte - qu'un euro Credit-Agricole. Ce n'est pas faux, mais je préfère avoir dans ma poche, en général, ma carte de crédit que les 60000 euros, en liquide, de mon compte. Alors, avantages décisifs de l'euro-billet? PAs sur tous les plans, en tout cas: d'autant plus que si je veux spéculer sur des devises, une valise en billets (qui n'existe plus que dans l'imagination arriérée d'auteurs de polards archaiques) est moins commode qu'un virement bancaire: c'est vrai, c'est moins anonyme. Donc pas d'avantages décisifs, dans un sens comme dans l'autre.
En premier résumé, je dirai volontiers que monnaie-billet et monnaie-scripturale sont toutes deux indispensables, m^me si, hiérarchiquement, la monnaie scripturale ne semble pouvoir exister que par une simple tolérance de la banque centrale. Sauf que la banque centrale, m^me si elle le voulait, pourrait difficilement éviter toute création monétaire intempestive. C'est donc un jeu cruel "je te tiens, tu me tiens par la barbichette" que semble jouer le système bancaire vis à vis de la B.C., même si, pour le moment, les vainqueurs semblent être les banques, et les dindons de la farce le menu fretin, c'est à dire l'essentiel de la population.
Revenons et terminons sur la question de la valeur. En fait aucune monnaie ne possède à 100%, de façon stable, absolue, les trois fonctionnalités que l'on pourrait demander à une monnaie:
1) moyen de paiement: certes, mais ne fonctionne pas toujours parfaitement
2) equivalent général: m^me remarque, cet étalon étant variable au cours du temps
3) réserve de valeur: comment comparer un euro maintenant et un euro dans un an, qu'il soit liquide ou scriptural?
De nombreux économistes se sont penchés sur la question, depuis Ricardo, Gesell, Sraffa (un disciple moderne de Ricardo) sans oublier Marx. En fait, la seule façon d'avoir une monnaie stable, donc dont on pourrait parler de véritable valeur, serait d'avoir un système économique stable (la reproduction simple dont parlait Marx). Rien ne change, ni les conditions de production, ni la démographie, ni les rapports de force.
DAns tout autre cas, d'après S. Gesell, il faudrait essayer de se rapprocher de cet étalon, invariable mais impossible à construire, en s'attauqnt à l'évolution de l'indice des prix, en tenant compte des modifications de qualité, en intégrant les externalités, etc. On voit bien la difficulté de la tâche.
De petis malins, ou de grands économistes plus ou moins auto-proclamés, ont prétendu que la seule valeur de référence était la valeur d'une heure de travail, la valeur-travail. C'est au moins aussi "bidon" que tout le reste, bien sûr, les capacités humaines étant fort diffiérentes entre les hommes, en évolution permanente d'une génération à une autre, d'un pays à un autre. En plus, une année de travail en 1920 représentait quasiment, en France, le 1/25ème de la capacité d'un homme donné (l'âge moyen des décès étant de 40 ans, dont 15 ans de non activité- petite enfance et adolescence). De nos jours, ce serait plutôt un 1/50ème.
En fait, ma seule chose que l'on peut dire c'est que, gosso modo, sur le long terme, la valeur d'une monnaie évolue comme la valeur de l'économie concernée. Certains vonthurler, en parlant du dollar, surévalué pour beaucoup. Est-ce si évident: vis à vis de l'euro, je ne le pense vraiment pas.
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Bruno Lemaire.
PS. un sujet que j'aimerai voir creusé est celui de la dette, la dette des états, la dette des particuliers, la dette étrangère. Si le cœur vous en dit ...