Et oui...
Crise: l'occasion ratée de 2008
extrait
Ces chiffres sont le produit d'un dérèglement du système monétaire, depuis l'abandon de l'étalon or le 15 août 1971. Quarante ans après, presque jour pour jour, nous pouvons mesurer les effets d'un système, ayant largué tout repère avec l'économie réelle, où la création monétaire a été abandonnée aux mains de la finance privée, déchargée de tout contrôle des Etats. L'Europe, en la matière, a poussé l'orthodoxie au rang de beaux-arts, en désignant une banque centrale privée de la capacité d'être prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire de pouvoir acheter directement la dette émise par les Etats.
Libres de toutes entraves, les banques s'en sont donné à cœur joie pour créer sans cesse plus d'argent, plus de dettes, sans rapport avec le réel. La finance est devenue un objet en soi.
La responsabilité des banques centrales dans ce dérèglement est immense. Elles n'ont pas assumé leur responsabilité de gardien du temple de la monnaie et du système financier. Pire: elles ont entretenu le crime et le vice, à partir du 26 octobre 1987 précisément. Pour éviter les conséquences récessives du krach financier intervenu ce jour-là, le tout nouveau président de la FED (la réserve fédérale américaine), Alan Greenspan, encensé par la presse comme le génie de la finance, déversa des tombereaux de liquidités à taux zéro. A chaque menace de ralentissement, de coup de blues du monde financier, la même politique a été relancée: il fallait à tout prix éviter le moindre ralentissement de la machine. Des milliards de dollars à coût nul ont été déversés dans le système, alimentant la création de la dette.
Tandis que nos si vigilants banquiers centraux surveillaient à la loupe la moindre augmentation salariale, signe d'une dangereuse dérive inflationniste, ils n'ont vu ni la bulle internet, ni les bulles immobilières, ni les bulles des actifs (les rachats en LBO en sont la meilleure illustration), ni la création monétaire produite par les méga fusions-acquisitions, payées en papier – ce qui revenait à autoriser des entreprises privées à frapper monnaie. Tout cela était si euphorisant, le système était si parfait, que, dans les débuts des années 2000, la FED décida de ne plus tenir compte de l'indicateur M3 –celui de la création monétaire– dans sa surveillance. Tout cela était dépassé. Et puis, les banquiers privés, qui avaient en main le système, ne pouvaient pas mal faire.
La formidable performance des entreprises, des fameuses croissances annuelles à 15% dans une économie réelle mondiale qui ne progresse que de 3% par an, vient de là: d'un dopage généralisé par un excès monétaire et un excès de crédit. Les gouvernements en étaient-ils conscients? En tout cas, ils ont fermé les yeux. Le crédit, soit directement aux agents privés comme aux Etats-Unis, avec comme illustration ultime le scandale des subprimes, soit par transfert par les Etats et les systèmes sociaux comme en Europe, a permis de masquer le gigantesque transfert de production vers la Chine et les autres pays émergents, organisé au nom d'un profit immédiat, dans le cadre de la «mondialisation heureuse».
La confusion a atteint son comble avec l'effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008. Les engagements pris par la banque étaient si complexes et si obscurs, le système financier était si interconnecté que tout faillit s'écrouler. L'argent ne circulait plus, le monde financier et l'économie étaient à deux doigts de l'infarctus.
En urgence, les banques centrales ont redonné toutes les liquidités voulues et plus encore pour éviter l'écroulement. Les gouvernements se sont portés au secours de tous leurs établissements bancaires et ont cherché à sauver l'économie. Si les Etats se trouvent aujourd'hui en situation limite, c'est pour avoir joué leur bilan pour sauver le monde financier. Depuis 2008, l'endettement des Etats-Unis a augmenté de 2.000 milliards de dollars, celui de l'Italie de 300 milliards d'euros, celui de la France de 900 milliards – selon la version gouvernementale – ou 300 milliards – selon la version de la Cour des comptes –, rien que par les effets de la crise et des moyens mis en œuvre pour éviter l'effondrement du système financier.
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En contrepartie? Rien. Pas un droit de regard, pas un compte à rendre, même pas une action. Les fameux actionnaires, censés assumer les risques, n'ont pas été sollicités à un seul moment. Seule la Grande-Bretagne, qui a sans doute plus de compréhension du système financier, a nationalisé ses principales banques. La France, à l'inverse, est allée en la matière jusqu'à la caricature, confiant à Michel Pébereau, PDG de BNP Paribas, l'écriture du plan de sauvetage bancaire français.
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Mais même les mesures annoncées dans la panique lors des sommets du G-20 fin 2008-début 2009 n'ont pas été appliquées. Souvenez-vous: «Les paradis fiscaux, c'est fini! Les agences de notation, c'est fini! La spéculation, c'est fini!»
Les paradis fiscaux prospèrent comme jamais, après la mascarade du retour dans le rang, couverte par l'OCDE. Les agences de notation, vouées à nouveau aux gémonies après la dégradation des Etats-Unis, n'ont pas été inquiétées une seconde. Elles sont toujours autant irresponsables. L'Europe n'a même pas créé sa propre agence, comme elle l'avait promis.
http://www.mediapart.fr/journal/economi ... ee-de-2008