Un rapport de l’OPCEST alerte sur la consommation énergétique des blockchains actuelles
Marine Protais Usine Nouvelle le 06/07/2018
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a rendu public jeudi 5 juillet un rapport sur le fonctionnement des blockchains. L’Office alerte sur l’importante consommation énergétique de certaines blockchains et incite la recherche européenne à se saisir du sujet. Pour les acteurs de la blockchain, la consommation énergétique est trop souvent mise en avant, au détriment d'autres enjeux de la technologie.
Une ferme de minage en Chine où sont validées les transactions de Bitcoin.
"La question énergétique pourrait potentiellement faire échouer la technologie blockchain", a avancé le sénateur Ronan Le Gleut, auteur d’un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) publié jeudi 5 juillet sur cette technologie de stockage de données popularisée avec les crypto-monnaies.
Dans son rapport, l’Office parlementaire rappelle que la consommation du Bitcoin, dont les transactions sont réalisées via une technologie blockchain, est d’au moins 24 TWh/an, soit la production totale annuelle de 3 réacteurs nucléaires de 8 TWh. Celle des blockchains publiques (dont fait partie le Bitcoin) serait comprise 46,5 TWh/an et 200TWh/an selon les estimations. "La consommation énergétique annuelle de la France est de 530 TWh/an", compare Valéria Faure-Muntian, députée La République en marche, et auteure du rapport.
Sur certaines technologies blockchain, notamment celle du Bitcoin, une équation informatique (appelée "minage") doit être résolue pour valider un bloc (et donc des transactions dans le cas des crypto-monnaies). C’est ce qu’on appelle le protocole "preuve de travail". Un processus lent et gourmand en moyens de calcul. C’est précisément ce protocole qui est énergivore. La résolution des "preuves de travail" est effectuée par des fermes de minage. Des usines où sont installés des serveurs informatiques. "60 % des fermes de minages sont situées en Chine. Or, la Chine dépend majoritairement du charbon", note Ronan Le Gleut, sénateur Les Républicains.
Prix de l’électricité
"Outre l’impact environnemental, les technologies qui s’appuient sur les preuves de travail pourraient avoir un fort impact sur le prix de l’électricité mondiale", explique le sénateur. Le rapport rappelle qu’en février dernier, la ville de Platssburg dans l’Etat de New-York a interdit pendant 18 mois l’installation de nouvelles usines de minage, car leur présence avait augmenté le prix de l’électricité pour les usagers.
La preuve de travail n’est pas la seule manière de valider un bloc d’une blockchain. Il existe d’autres protocoles. Dans son rapport, l’Office parlementaire a comparé la preuve de travail à la preuve d’enjeu, une méthode qui consiste à attribuer la validation d’un bloc à un utilisateur aléatoire. Ce protocole est bien moins gourmand en énergie, mais sa sécurité est "contestée" selon le rapport.
Un autre rapport rendu public jeudi 5 juillet sur le sujet (ou plus précisément la réglementation des crypto-monnaies) commandé par Bercy et mené par l’ancien sous-gouverneur de la Banque de France Jean-Pierre Landau revient également sur l’importante consommation énergétique des blockchains. "Les crypto-monnaies sont lentes et grandes consommatrices de ressources énergétiques : avec une consommation d’électricité égale à celle de la Hongrie, Bitcoin opère aujourd’hui environ 80 transactions par minute, quand Visa et Mastercard en exécutent respectivement près de 100 000", avance le rapport.
Jean-Pierre Landau souligne un autre point important : l’énergie consommée par les crypto-monnaies, l’est parfois à perte. Plusieurs mineurs travaillent en même temps sur l’équation afin de valider le bloc. Seul le plus rapide est récompensé en bitcoins. "Les ressources dépensées sur les blocs non validés (les plus nombreux) le sont finalement en pure perte. En outre, le protocole neutralise les gains d’efficacité et de rapidité qui auraient pu résulter d’une forte puissance de calcul sur le réseau", explique le rapport.
Une consommation énergétique difficilement estimable selon les acteurs de la blockchain
Les estimations de la consommation énergétique sont toutefois contestées par les acteurs de la blockchain. "Donner un chiffre précis est farfelu. Il est difficile d’estimer la consommation énergétique des blockchains car les mineurs changent de matériel régulièrement et ne communiquent pas leur consommation. Les fourchettes de consommation énergétique des blockchains sont très larges, pour le Bitcoin elle va de 2 TWh/an à 40 TerraWh/an", explique Alexandre, créateur, cofondateur de la start-up Blockchain Partner et président de La Chaintech, association des acteurs francophones de la blockchain.
Il regrette également la corrélation trop rapide entre le charbon chinois et la consommation énergétique des blockchains. "En Chine, la plupart des fermes de minage sont installées au pied de barrages inutilisés", argue-t-il. Ce point est d’ailleurs évoqué dans le rapport de l’OPECST. Troisième argument avancé par le président de la Chaintech : "Pour que les estimations soient pertinentes, il faudrait les comparer à la consommation des systèmes bancaires."
La consommation énergétique, un argument "trop souvent mis en avant"
Pour le fondateur, revenir sans cesse sur la problématique de la consommation énergétique des blockchains occulte d’autres sujets majeurs relatifs à la blockchain. "Je ne nie pas le fait que certaines blockchains consomment beaucoup de puissance de calcul et donc d’énergie. Mais cet argument est trop souvent mis en avant pour mettre à mal les blockchains, comme l’était l’illégalité auparavant. Alors que d’autres sujets comme la souveraineté devrait être pris en considération", s’agace-t-il. Le fondateur de Blockchain Partner estime notamment qu’il faudrait permettre l’installation de fermes de minage en France et en Europe pour éviter une domination culturelle chinoise ou américaine sur le sujet.
Souveraineté
La souveraineté n’est pas occultée du rapport de l’OPECST. "Il faut que la France et l’Europe se saisissent de la technologie", a affirmé à plusieurs reprises Ronan Le Gleut lors de la remise du rapport. Les rapporteurs plaident pour le développement de blockchains européennes qui, sans être souveraines, seraient conçues sur le sol européen, dans le respect de nos principes politiques, philosophiques et moraux. "Il est impératif que la recherche et le monde économique investissent dans une technologie qui puisse porter les valeurs européennes, en particulier en termes de développement durable et de protection des données personnelles et du consommateur", préconise le rapport.
Le sujet de la souveraineté n’est pas très éloigné de celui de la consommation énergétique. Pour l’OPECST, le développement de blockchains permettrait notamment de travailler sur des protocoles de minage moins gourmands en énergie.