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par jml34 » 21 mai 2008, 02:57
Tout d'abord merci aux intervenants de ce fil, principalement aux agriculteurs, un monde que je connais mal, bien que vous me nourrissiez. J'ai souvent pense naivement sans doute que si j'etais agriculteur je serais perdu dans les multiples competences de mon metier (compta, mechanique, ..., en plus des competences traditionnelles du paysan) et que je me sentirais abandonne par les autorites sur la place et la valeur de mon travail : on me demande d'investir et produire, puis on m'accuse de polluer et d'empoisonner, etc., et qu'a la fin je ne saurais plus du tout ce que doit faire un agriculteur pour etre fier de son travail. Je veux bien savoir dans quel etat d'esprit les jeunes sont formes a l'ecole. Je suis aussi interesse par vos echanges techniques sur vos strategies de culture, meme sans comprendre les details ca me donne un apercu (sauf quand c'est trop abrege...).
Bref, super fil. Je n'avais pas conscience de la rapidite de la montee des prix des intrants.
Ce n'est pas forcement une mauvaise nouvelle, tout du moins pour les habitants des pays riches (pas de famine l'hiver prochain... a priori). Je m'explique (meme si ce n'est pas nouveau pour un lecteur regulier de ce forum) :
- le scenario le plus favorable, c'est la decouverte d'une nouvelle source d'energie rapidement exploitable, si possible un genre de petrole inepuisable qui brule sans degager de CO2 -> semble peu probable. (Je passe aussi sur les scenarios "sauves par les Ummites".)
- sinon il y a une crise a gerer au cours de ce siecle, une decroissance energetique, dans un contexte avec d'autres crises (changements climatiques, la aussi je pense a nos agriculteurs qui vont devoir s'adapter a de nouvelles especes, la Chine n°1, plus de peche, pollution, etc.). Cette crise risque de deboucher sur une hecatombe, sur l'instauration de dictatures, bref, sur ce qu'on appelle "un probleme". Mais ce probleme ne reside pas en soi dans ces crises, ca, c'est "les difficultes a surmonter". Le probleme, c'est qu'il n'y a pas de tentative de surmonter la crise. Les elites dirigeantes ne parlent pas de cette question, la population n'imagine pas un avenir tres different du present, en plus gris tout au plus. Pour l'instant les politiques font ce que la population attend d'eux : continuer a dormir, la securite, les immigres, les delocalisations..., la routine quoi. Une bonne solution a la crise doit passer par une prise de conscience d'une large part de la population que les comportements, les regles, doivent changer, dans tous les cas.
Je crois qu'une bonne solution doit aussi passer par la conscience qu'on doit rester solidaires, que chacun doit faire des efforts, pas chacun s'accroche a son confort, sinon c'est la France d'en bas sous celle du haut... mais c'est plus speculatif.(1)
- donc la question devient : va-t-on assister a une prise de conscience suffisamment forte et precoce pour qu'une reaction efficace ait le temps de s'organiser ? Pour cela, le scenario le plus favorable, c'est une montee brusque des difficultes individuelles, a l'origine clairement identifiee (petrole, pas terrorisme), et ne debouchant pas sur une catastrophe mais sur une periode stationnaire. Evidemment ce n'est pas le seul ingredient d'un scenario favorable, je crois que la solution passe par une periode d'experimentations tous azimuths (agriculture, education, communautes, villes sans voiture, ...) a des echelles reduites pour selectionner des strategies a l'echelle nationale. Je suis souvent etonne du contraste entre la creativite foisonnante que l'on trouve a l'echelle locale et la passivite generale ; alors peut-etre qu'il suffit d'un coup de fouet pour que la mayonnaise prenne.
En resume, si le resultat net est la prise de conscience generale qu'"il faut se bouger les fesses", nous aurons franchi un cap important.
Maintenant j'ai aussi une remarque : pourquoi un petrole cher devrait necessairement signifier des prix de transport inacessibles ? Il me semble que cela depend de la maniere dont on va s'organiser. La France a un des meilleurs reseaux de caneaux d'Europe... qu'elle n'utilise pas du tout... Tant qu'il ne s'agit pas de produits rapidement perissables, le transport par peniche est tres peu couteux. Alors faire venir du bois des montagnes, pourquoi pas ? On pourrait meme envisager de le faire transiter par les villes pour qu'on chie dessus au passage, si c'est sec. Et puis avec le rechauffement climatique on pourra remplacer les tracteurs forestiers par des elephants.
C'est difficile d'imaginer ces futurs possibles parce que tout ce qui fait notre quotidien y serait change aussi. On ne pourrait pas expliquer le chemin de fer a un homme de l'age du fer pour qui 1 kg de metal est une grande richesse : chaque phrase que l'on dirait pour lui expliquer le contexte du XIXe souleverait dans son esprit de nombreuses impossibilites qui necessiteraient chacune une nouvelle phrase tout aussi multiplement impossible. De meme nous essayons peniblement d'imaginer l'apres-petrole, mais chacun de nos mots est tellement imbibe de petrole que notre esprit reste mazoute. Si je dis zeppelin + fibres de carbones + meteo + ordinateur (mots un peu au hasard), est-ce que j'ai un systeme de transport utilisable en post-petrole ? Qu'un expert de la question reponde oui ou non, toute son experience tourne au petrole, 2100 ne fait pas partie de sa competence. Les tracteurs du XXIIe seront peut-etre des armees de robot-souris avec secateur a mauvaise herbe et pique a doryphore.
Alors faisons de multiples experiences locales, sans a-priori, avant de chercher quelles pieces peuvent s'assembler en un nouveau systeme global.
Moi, je m'emerveille que des agriculteurs modernes (re)inventent la culture sans labours, tout a rebours de leur culture.
(1) Je dirais meme, dans un elan de lyrisme nocturne, que la pierre vers laquelle nous courrons pour y achopper, c'est justement l'epreuve de la solidarite, que seules peuvent franchir les especes conscientes collectivement des racines animales de leurs comportements et de la necessite de les depasser solidairement, les autres succombant au chaos engendre par une technologie aux mains de comportements inadaptes au nouveau contexte. Sur notre planete les hommes ne semblent pas en tres bonne position : le fer puis le charbon/petrole nous a amenes a une integration des systemes qui depasse de loin les consciences individuelles, et nous voila capables de detruire la planete mais incapables de comprendre les consequences de nos actions et analphabetes des emotions. J'aime croire que si nous echouons il y aura l'epreuve de rattrappage : apres l'ecroulement du systeme, petite feodalite neolithique (ben oui tout le fer a rouille), dans laquelle les peuples les plus prosperes ne seront pas ceux qui auront les meilleures technologies militaires, puisqu'il n'y aura plus de difference flagrante, mais ceux qui sauront trouver la meilleure harmonie interne, meilleure source d'efficacite que la technologie. Et, dans quelques dizaines de millenaires, une nouvelle mondialisation dans des conditions bien plus favorables.