Aéronautique et pic pétrolier (2)

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Stéphane
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Aéronautique et pic pétrolier (2)

Message par Stéphane » 03 mai 2005, 18:37

Le problème du réchauffement climatique
Je souhaite ouvrir une petite parenthèse sur le réchauffement climatique, afin, là aussi, de rétablir quelques vérités et d'expliquer les implications que cela pourrait avoir sur notre monde à l'avenir. J'espère qu'une fois cette parenthèse refermée, tout le monde aura bien saisi que l'ère du pétrole pourrait bien se terminer avant même sa pénurie, par notre propre volonté et ce, face aux dégâts annoncés. Pour ceux qui considèrent être bien informés sur ce thème, vous pouvez passer au paragraphe suivant sur le point de vue des motoristes.
Tout ce que je vais expliquer au cours de cet aparté provient directement des conclusions du GIEC (organisme que je vais présenter), et des travaux connexes de Jean-Marc Jancovici, expert reconnu sur le sujet, ayant entre autres rempli le rôle de président du comité consultatif du débat national sur l'énergie en 2003, sous la tutelle du ministère de l'Industrie.
Question qui fleurit parfois sur les lèvres de certains : a-t-on affaire à un complot écologiste ? Si tel est le cas, alors ce complot est fomenté depuis plus d'1 siècle, avec à sa tête, le prix Nobel de chimie suédois Svante Arrhénius, qui fut le 1er à prévoir l'accroissement de température consécutif à l'usage des combustibles fossiles. Ce complot comprend une multitude de terroristes spécialisés dans des disciplines aussi variées que la climatologie, l'astronomie, l'analyse isotopique, l'océanographie, l'économie, etc. Les partisans de ce complot d'envergure se sont regroupés en 1988 dans le GIEC, à la demande du G7, sous l'égide de l'Organisation Mondiale de la Météorologie et du Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Le GIEC n'a pas vocation à mener des recherches, mais à expertiser l'information scientifique, technique et socio-économique qui concerne le risque de changement climatique provoqué par l'homme. Cette information concerne évidemment une vaste mosaïque de disciplines, toutes liées de près ou de loin à l'étude du climat.
Les comploteurs du GIEC sont partagés en 3 « Working Groups », qui éditent un rapport tous les 4 à 5 ans :
+ WG I est chargé de rassembler les infos et synthétiser la connaissance sur le climat et l'appréciation du changement climatique
+ WG II fournit des réponses sur la vulnérabilité de la biosphère et de nos sociétés face à ce changement
+ WG III statue sur les différents scénarios d'émissions de GES et identifie des variables d'action
La phase de rédaction des rapports finals comprend une multitude de relectures et corrections de la communauté scientifique mondiale.
Jusqu'à présent, les rapports ont tous été adoptés à l'unanimité des pays participants (même les moins enclins par ailleurs à faire des efforts en matière de réduction des émissions de GES). Cela montre que le processus est jugé loyal et, d'ailleurs, aucun point de vue recevable n'est censuré, du moment qu'il a reçu l'aval des relecteurs compétents. Donc, bien évidemment, il n'y a pas de complot !
Ce faisant, peut-on faire confiance au GIEC ? Très clairement oui car, par son fonctionnement, il cherche à atteindre un consensus parmi des milliers de scientifiques jusqu'alors considérés comme parfaitement compétents et crédibles dans leur domaine d'activité respectif.
De surcroît, la procédure d'expertise est ouverte et transparente. Si quelqu'un démontre de manière argumentée que les émissions de GES vont entraîner un refroidissement, son point de vue sera intégré dans le rapport final. En outre, lorsqu'il y a des incertitudes sur des résultats ou des conclusions, elles sont prises en compte et n'ont pas altéré jusqu'alors les conclusions au 1er ordre. Enfin, et ce n'est pas rien, quel serait le mobile du crime ?
Mais il y a des contestataires (de moins en moins cependant, certains ayant même retourner leur veste récemment). Ils sont donc peu nombreux et le retentissement de leurs interventions tient au fonctionnement des media, qui, sans rentrer dans les détails (et pourtant la chose mériterait que l'on s'y attarde), n'ont pas les mêmes critères de sélection que les revues scientifiques faisant référence. Qui plus est, au sein de cette poignée d'opposants, il est en général très facile de les rattacher à un lobby, dont l'activité pourrait être menacée par la lutte contre le changement climatique.
Après cette présentation de l'organe de référence sur l'étude du climat, venons-en aux faits scientifiques avérés. Le climat a toujours subi des variations naturelles au cours de l'histoire, en fonction des grands cycles astronomiques, dont la constante de temps va de 10000 à 100000ans, de la vitesse de rotation du globe (tps caractéristique : quelques dizaines de millions d'années) et d'autres événements ponctuels tels que l'activité solaire, les éruptions volcaniques ou les débâcles glaciaires.
Et l'effet de serre dans tout ça ? C'est ce qui fait que la vie que l'on connaît aujourd'hui est possible : sans lui, il ferait en moyenne -15°C sur Terre. En gros, il se trouve que l'atmosphère est transparente à la lumière visible incidente du Soleil, mais que certains gaz ont la capacité de piéger le rayonnement infrarouge réémis par la Terre vers l'espace, et ainsi contribuer à réchauffer la basse atmosphère.
Ces gaz sont en quantité très faible, mais à l'instar du principe actif d'un médicament, ont un effet considérable sur la machine climatique. Et le lien entre concentration en GES et température est maintenant parfaitement établi : plus il y en a, et plus il fait chaud en moyenne.
Alors, quels sont ces gaz ? Certains, les plus connus, sont présents à l'état naturel : il s'agit de la vapeur d'eau, du gaz carbonique, du méthane, du protoxyde d'azote et de l'ozone pour les principaux. Mais s'y rajoutent depuis peu des gaz créés par l'homme : les halocarbures (que l'on retrouve dans toutes les chaînes du froid, et donc les climatisations), l'hexafluorure de soufre (utilisés dans la fabrication de double-vitrage ou certaines applications électriques par exemple). Ces derniers sont en quantité extrêmement minoritaires dans l'atmosphère (des millions de fois moins que le CO2), mais leur pouvoir d'absorption est tel que leur rôle sur l'effet de serre est loin d'être négligeable. En outre, les durées de vie des gaz à effet de serre sont souvent très significatives, ce qui nous met incontestablement face à une responsabilité de long terme.
Que disent les observations ? D'une part, que les concentrations de l'atmosphère en GES ont connu une augmentation continue et exponentielle depuis le début de l'ère industrielle, atteignant des niveaux jamais vus depuis 400 000 ans. D'autre part, les températures mesurées (ou déduites de l'étude des troncs et des carottes glaciaires) révèlent une tendance récente à l'augmentation qui coïncide avec celle des concentrations de GES. Est-ce le fruit du hasard ? La science nous dit clairement que non, et l'étude des événements passés (rendue possible par l'analyse des carottes de glace de l'Antarctique par exemple) ne nous incite pas à croire à un miracle : la corrélation entre température et concentration en CO2 est très forte.
Et les modèles numériques, dans tout ça, qu'est-ce qu'ils montrent ? En premier lieu, qu'ils sont valides puisqu'ils reproduisent de manière assez remarquable l'évolution des températures depuis 1850, lorsque le forçage radiatif à la fois naturel et anthropique sont pris en compte.
Et que prévoient-ils pour l'avenir ? La première réponse, c'est que la montée des températures va surtout dépendre de notre volonté ou pas à réduire nos émissions. En fonction des différents scénarios envisagés, cela peut induire des variations de l'ordre de 3°C. Le reste de l'amplitude de la fourchette de prévisions s'explique par les écarts entre modèles, de l'ordre de 1,5°C.
Ce que tout un chacun n'a sans doute pas en tête, c'est les constantes de temps et l'inertie de ce phénomène d'effet de serre. Admettons que la raison nous amène à faire décroître nos émissions à un rythme soutenu. On constate que la concentration en CO2 va poursuivre sa croissance pendant plus d'un siècle avant de se stabiliser. De même, le nouvel équilibre radiatif terrestre consécutif à la modification de la concentration en GES de l'atmosphère mettra des siècles à s'établir : l'ordre de grandeur pour une stabilisation de la température moyenne est ainsi 1000 ans.
Grosso modo, à l'échelle des temps géologiques, notre influence sur le climat est donc fulgurante, mais, malheureusement oserais-je dire, l'inertie du phénomène est encore suffisamment importante pour ne pas nous convaincre d'agir tout de suite.
Ce qui est certain, aux dires du GIEC, c'est que la machinerie climatique s'est déjà mise en branle sous notre influence et que, quoique l'on dise ou fasse à partir de maintenant, la température moyenne va inexorablement monter à l'avenir. Mais nous avons encore toute latitude pour choisir le niveau final de cette élévation.
C'est bien beau, ces quelques degrés supplémentaires, mais ça veut dire quoi au juste ?
Il faut garder à l'esprit que seulement 4 à 5°C nous séparent de la dernière période glaciaire, où le nord de l'Europe était recouvert de 3 km de glace, la Manche se traversait à pied et la France n'était qu'une immense steppe aride, bien incapable de nourrir quelques millions d'individus.
Une élévation moyenne de température de +3,5°C (moyenne prudente des prévisions du GIEC), en tenant compte de la grande inertie thermique des océans, c'est potentiellement plus de +7°C sur les continents (et beaucoup plus encore aux pôles).
Face à de tels changements rapides d'environnement, totalement inédits dans l'histoire de l'humanité, 2 tentations, également nuisibles, sont à combattre : le syndrome de « l'expert judiciaire » (qui ne tient pas compte de ce qui n'est pas quantifiable à la virgule près) ou, ce qui revient au même, celui du « scientiste béat » (qui considère que la technique saura toujours nous tirer d'affaire et qu'il n'est pas urgent d'agir), et inversement l'attitude catastrophiste la plus irrationnelle, qui consiste à remplacer tous les conditionnels par des futurs simples. Entre les 2 existe une position intermédiaire plus salutaire, où les risques encourus ne sont ni ignorés ni volontairement exagérés, et qu'on appelle la clairvoyance.
Et qu'est-ce qu'elle nous enseigne ? Qu'on ne peut délibérément pas fermer les yeux sur les risques afférents à un réchauffement rapide de la planète. Car le problème n'est pas tant que la température moyenne évolue (ça n'a cessé d'être le cas par le passé), mais c'est la vitesse du changement qui pose problème : elle est 100 fois plus élevée que le phénomène naturel périodique !
Parmi les principaux risques identifiés, on trouve : hausse du niveau des océans sur des siècles (voire des millénaires), extension des zones endémiques de maladies à vecteurs (comme le paludisme), aggravation de la destruction de la couche d'ozone stratosphérique, fragilisation de l'agriculture moderne (très spécialisée et peu diversifiée), effets de seuils et surprises climatiques (puits de carbone, couirants marins, débâcles glaciaires), vulnérabilité des écosystèmes à l'augmentation de la variabilité, capacités d'adaptation handicapées par les pénuries diverses (pétrole, minerais,...), tensions géopolitiques (régimes autoritaires, migrations massives, etc.).
Ainsi, au regard de l'inertie du système climatique, attendre pour agir qu'une évolution de grande ampleur soit clairement visible, c'est avoir déjà perdu et c'est laisser nos descendants face à une situation qu'ils ne pourront que subir, et pas maîtriser ou contrecarrer.

Le point de vue du motoriste (SNECMA en l'occurrence)
Il y a un triple défi (technique!) à relever:
+ commencer par diminuer les coûts de possession des compagnies aériennes (cela concerne la maintenance et la consommation)
+ diminuer l'impact sur l'environnement (polluants, bruit et émissions de GES)
+ anticiper les évolutions à venir, tant sur le plan réglementaire que technologique concernant par exemple les carburants de substitution
On peut remarquer à juste raison que des progrès considérables ont été réalisés en aéronautique depuis les années 1960, avec une diminution de la consommation unitaire de 60%. Et ceci est en bonne partie dû aux progrès des motorisations. Afin de stabiliser la hausse de la consommation globale causée par la croissance du trafic aérien, il faudrait réaliser un nouveau gain de 50% par rapport à aujourd'hui dans les 15 à 20 années qui viennent. C'est vraiment un minimum à atteindre sachant que voleront toujours dans 20 ans des avions vendus avant, et donc moins performants. Cet objectif a été clairement formalisé au sein du groupe de travail ACARE (Advisory Council for Aeronautics Research in Europe). Mais c'est loin d'être gagné car, à moins d'une rupture technologique improbable, on distingue clairement que la tendance à l'amélioration s'essouffle !
Qui plus est, en ce qui concerne l'environnement, la problématique est duale ! Selon que l'on se préoccupe d'impacts locaux (tels le bruit ou la qualité de l'air) ou d'impacts à l'échelle globale (comme les émissions de gaz à effet de serre), la réponse apportée par la technique est différente et ne peut pas toujours concilier les 2 aspects. Les différentes pistes d'amélioration technique visant à réduire la consommation de carburant (et donc les émissions de CO2 qui y sont liées) se heurtent à cette difficulté :
+ augmenter le taux de dilution, c'est dégrader les perfos pour le NOx, les suies et les traînées de condensation.
+ en augmentant le rapport de pression, c'est même encore pire
+ idem si l'on augmente la température d'entrée de la turbine
+ la seule issue qui semble aller dans le bon sens pour la conso, en restant neutre pour les polluants locaux, c'est les progrès dans le rendement aérodynamique. Mais, là aussi, on atteint des limites.
Quoi qu'il en soit, à travers différents programmes de recherche européens, l'ACARE encourage ces travaux, mais, aux yeux des motoristes, le financement proposé ne permet d'atteindre la maturité de projets analogues menés aux Etats-Unis.
Enfin, pour réduire les émissions des polluants locaux comme les NOx, il faut agir sur d'autres paramètres que ceux cités ci-dessus : l'amélioration des foyers de combustion est le principal d'entre eux.
Au-delà des recherches menées sur les nouvelles motorisations, quel est le point de vue des motoristes sur les carburants de substitution ? A propos des biocarburants de type EMHV (c'est-à-dire les huiles pouvant être mélangées au diesel par exemple), leur utilisation n'entraînerait pas de modifications techniques majeures. Mais ce substitut est physiquement handicapé par ses propriétés (point de fusion bien trop élevé, mauvaise stabilité thermique et densité énergétique défavorable). En conclusion, les EMHV ne peuvent être envisagés comme carburants de substitution.
Quid du gaz naturel liquide ? Des architectures conventionnelles « sur étagères » pourraient être facilement adaptées pour brûler ce combustible. Le plus gros souci, de taille, concernerait a priori plutôt la définition et la construction d'un nouveau système carburant pour l'avion.
Pour l'hydrogène, c'est un peu la même histoire. Mais 2 considérations supplémentaires peuvent être évoquées : l'impact sur l'atmosphère de la condensation de l'eau en altitude (problème d'effet de serre de par la formation de cirrus, contribuant au réchauffement) et éventuellement au sol, et l'avènement de la pile à combustible, sans cesse repoussé, et dont l'utilisation potentielle pourrait à nouveau être envisagée dans plus de 30 ans en fonction des progrès réalisés pour le transport terrestre.
Finalement, quelles sont les perspectives ? Il est d'abord peu probable que change la donne économique. A moins de modifier prochainement les règles du jeu, la pression va donc rester forte et pousser les compagnies aériennes à inciter puissamment les constructeurs dans la dynamique de baisse de la consommation, tout en réduisant les coûts d'exploitation. Pour nombre d'entre elles, il s'agit là, comme on l'a vu au début, de leur survie. Quant à la perspective de se passer de pétrole, elle n'est pas effrayante techniquement parlant. Une phase de transition avec des combustibles de synthèse ne nécessiterait que des modifications mineures. Par contre, à plus long terme, que l'on utilise du gaz naturel liquide ou de l'hydrogène, il faudra mettre en oeuvre une politique de R&D soutenue (pour le système carburant notamment), ce qui dépend bien sûr de l'orientation et de la cohérence globale de la future politique énergétique des grands pays industriels.


Le point de vue de l'avionneur (celui d'un ingénieur Airbus spécialisé dans la propulsion, ce qui ne signifie pas que c'est le mien ou celui des dirigeants)
;)
Afin de permettre la poursuite du développement du transport aérien, le premier levier d'action est de réduire la coût de possession des avions, en réduisant conjointement la consommation des moteurs et les masses. En effet, le poste carburant dans le coût d'exploitation d'un long courrier type A330-200 représente environ 1/4 du DOC, pour un gallon à 0,85 $US (i.e. environ 30 $US le baril de brut; et on est aujourd'hui autour de 50 $US). Ce poste de dépenses peut être réduit en privilégiant 3 axes d'amélioration bien connus qui sont l'aérodynamique, les masses et les moteurs. Le tout doit résulter en une capacité d'emport accrue, ce qui est effectivement le cas de la gamme Airbus avec un gain de l'ordre 15 à 20% en 20 ans (rapport masse à vide sur masse maxi au décollage : OWE / MTOW).
Mais pérenniser la croissance du secteur, c'est aussi intégrer les contraintes environnementales, de plus en plus fortes, en s'attachant à réduire le bruit et les émissions de toutes sortes (polluants locales ou GES). Le rapport de 1999 du GIEC (IPCC en anglais) a montré que l'impact de l'aviation sur l'effet de serre d'origine anthropique était estimé à 4% du total. Une étude postérieure réalisée dans la cadre du projet européen TradeOff a corroboré ces résultats, même si de larges plages d'incertitudes existent. Hélas pour nous, elles ne semblent pas aller dans le bon sens, avec une estimation moyenne de l'influence de l'aviation revue à la hausse, aux alentours de 7%.
Enfin, c'est seulement en anticipant les évolutions dans le domaine énergétique que l'aéronautique civile peut espérer croître encore à l'avenir. Il va de soi que le prix du kérosène est amené à monter inexorablement (peut-être avec des à-coups), d'une part à cause du tarissement des ressources, mais aussi, et il ne faut pas l'occulter, à cause d'actes politiques qui feraient grimper mécaniquement les prix. Cela peut résulter d'une volonté des pays de l'OPEP de limiter leur production, ou d'accords internationaux de type Kyoto visant à internaliser dans le prix du carburant le coût des dégâts causés à l'environnement, sous forme de taxe carbone par exemple. Une grosse incertitude subsiste malgré tout, c'est l'arrivée du pic ! D'après les données de l'USGS, si on suppose qu'il n'y a pas d'inflexion volontaire à notre consommation de brut, en fonction du taux de croissance moyen de 1, 2 ou 3%, et selon les capacités réelles des réserves probables et possibles, le pic peut survenir en 2021, comme en 2067. Aujourd'hui, la tendance réelle (et souhaitée indirectement) est plutôt égale à 2%, ce qui nous mènerait, en se basant sur l'estimation moyenne des réserves ultimes, en 2037...
Comment se positionne Airbus vis-à-vis des substituts au pétrole ? On a presque déjà tout dit sur les kérosènes de synthèse, sauf qu'il existait quand même un petit dernier, susceptible de servir de matière première. Ce sont les hydrates de méthane, présents en quantités considérables dans les sédiments marins profondément enfouis. Mais, même en faisant abstraction du problème climatique, il ne faut quand même pas trop compter dessus : ils sont instables aux conditions ambiantes, les sources sont très diffuses et tout reste à inventer pour leur exploitation. On a déjà parlé des biocarburants de type EMHV. On peut à cette occasion rappeler qu'il y a des désagréments liés à une production de masse. Et quid de l'ETBE ?
Comme les carburants cryogéniques semblent à long terme être les meilleurs candidats, c'est sur eux qu'il faut se pencher très attentivement. Le GNL est attractif, mais les capacités de production restent floues. En outre, il est cher, et risque de l'être encore plus à cause de la demande croissante de gaz naturel. Et puis doit-on rappeler qu'il est non renouvelable et que sa combustion rejette du CO2 ?
En ce qui concerne l'hydrogène liquide, il est vrai que la matière première est illimitée et que la combustion est propre. Mais, à l'heure qu'il est, il n'existe aucun moyen de production de masse, sûr, non polluant et peu cher. En outre, son coût, bien que difficile à obtenir de manière fiable, semble extrêmement élevé. Incidemment, l'utilisation des carburants cryogéniques pour l'aéronautique aurait des impacts très significatifs sur les opérations. Au sol par exemple; il faudrait revoir les manipulations pour sécuriser le remplissage des réservoirs ou réaliser la maintenance. Il serait indispensable d'envisager des contraintes opérationnelles particulières, liées à l'hygrométrie par exemple. En tous cas, tout cela nécessiterait un temps d'adaptation de plusieurs années. Quant à la sécurité, elle exigerait de nouvelles études et certifications. En vrac, on peut songer à l'impact à la foudre, le positionnement des réservoirs et leur intégrité irréprochable face aux chocs et autres vibrations, ou encore le système de sécurité incendie.
Si l'on se penche quelque peu sur les caractéristiques physico-chimiques des carburants cryogéniques, on parvient à quelques conclusions intéressantes. Ainsi, pour une quantité d'énergie correspondant à 100l de kérosène, il faut un volume de 156l de LNG et 410l de LH2 ! Les avions du futur, s'ils fonctionnent aux carburants cryogéniques, seront donc plus gros, et leur traînée irait en augmentant. Si le pouvoir calorifique des cryogéniques est un argument intéressant, leur température d'ébullition peut poser problème et il faudra dépenser de l'énergie pour les maintenir à des températures très basses. Si l'on s'intéresse maintenant aux émissions engendrées par ces 3 carburants, le LNG est à peine mieux que le kérosène et par conséquent, si les critères environnementaux devenaient une priorité, c'est clairement le LH2 qui devrait être avantagé. Mais dans ce cas de figure, les quantités d'eau importantes relâchées soulèvent des questions concernant la formation de traînées de condensation et de cirrus dans la stratosphère. En l'absence de particules dans les produits de combustion, comment vont se comporter les molécules d'eau ? Le projet européen CryoTrail, auquel participera activement Airbus, devrait apporter des réponses dans ce domaine.
J'ai gardé pour la fin un des aspects souvent négligés, mais qui pourtant s'avèrera déterminant pour l'avenir. Il s'agit des infrastructures.
Car c'est bien beau de concevoir un avion volant à l'hydrogène, mais encore faudra-t-il qu'il puisse être accueilli partout. Cela suppose des modifications aéroportuaires importantes pour disposer sur place du carburant cryogénique, des modes de production et d'approvisionnement de masse à mettre en oeuvre (certainement à proximité des aéroports vu le coût et la difficulté de transport de l'hydrogène liquide). Ces changements ne s'effectuent pas en quelques mois, c'est une évidence, mais sur une période de plusieurs années, voire dizaines d'années. Et les coûts à supporter ne seront pas anodins, loin s'en faut. Qui va les prendre en charge ?
Ces quelques dernières assertions montrent finalement qu'au delà des pures considérations autour de l'avion, basculer du pétrole à l'hydrogène constituerait un immense projet de société. Et donc, par la force des choses, la survie d'une aviation civile accessible à tous à long terme pourrait dépendre entièrement d'un choix de société.
Reste à parler faisabilité technique et compétitivité économique de la solution cryogénique, les 2 mamelles du métier d'avionneur.
En fait, l'une des premières expériences en la matière remonte aux années 1950, sur un B57 modifié. Mais c'est en 1988 que la Russie a testé le LH2 sur un Tupolev de transport civil. Plus récemment, entre 2000 et 2002, a été étudié en Allemagne, sous l'égide d'Airbus, le projet de gros porteur à hydrogène CryoPlane. Les principales conclusions techniques au sujet du CryoPlane sont résumées ici.
Des technologies à développer ont été clairement mises en évidence. Il s'agit d'abord des réservoirs. Mais toute l'instrumentation classique doit être revue (tels les sondes, débitmètres, etc.) pour garantir une fiabilité sur la durée de vie de l'avion. Et puis une partie des systèmes doit être repensée. Quelques autres points restent ouverts, comme la cavitation de la pompe au ralenti, le comportement transitoire des moteurs, les aspects givrage ou l'architecture des systèmes au cas où les piles à combustible aient suffisamment progressé. Au terme de l'étude, les ingénieurs sont arrivés aux conclusions suivantes pour cet avion destiné à des missions de 4000 nautiques (genre A330) : la masse à vide augmenterait de manière significative (+25%) et la traînée totale de l'ordre de 10%, la meilleure densité énergétique du LH2 notamment permettant de limiter la pénalisation en termes de masse au décollage.
Pour conclure sur la vision Airbus, juste quelques mots (mais ô combien importants), comme promis, sur de basses considérations économiques ! Le critère déterminant en la matière est le surcoût opérationnel direct approximatif pour un avion de type A330 utilisant un carburant cryogénique plutôt que le kérosène, sur une mission de 4000 nautiques. On fait 2 hypothèses sur les prix du LH2, idem sur le prix du LNG, en supposant que les coûts de production vont baisser. Dans les conditions actuelles du marché pétrolier, il est évident que la compétitivité des solutions cryogéniques est nulle puisque le surcoût serait supérieur à 100% pour le LH2 et de l'ordre de 25% pour le LNG. Mais, ce qui est plus inquiétant, c'est que même avec un doublement du prix du baril (c'est-à-dire aux alentours de 100 $US, ce qui correspondrait réellement à une situation de crise pétrolière), avec un hydrogène 2,5 fois moins cher qu'aujourd'hui, le surcoût resterait de 15%. Pour le LNG, avec une baisse supposée de 40% (ce qui est peu probable dans un contexte d'épuisement des ressources), le surcoût sera moindre, mais de 5% tout de même.
A l'aune de ces quelques considérations, il semble donc difficilement concevable de retrouver à terme des conditions économiques aussi favorables que dans la période actuelle (le baril de brut n'étant pas encore si cher que ça, par rapport au choc pétrolier de 1979).

A SUIVRE ... ;-)

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Re: Aéronautique et pic pétrolier (2)

Message par nopasaran » 04 mai 2005, 20:56

Stéphane a écrit : Le projet européen CryoTrail, auquel participera activement Airbus, devrait apporter des réponses dans ce domaine.
...
En fait, l'une des premières expériences en la matière remonte aux années 1950, sur un B57 modifié. Mais c'est en 1988 que la Russie a testé le LH2 sur un Tupolev de transport civil. Plus récemment, entre 2000 et 2002, a été étudié en Allemagne, sous l'égide d'Airbus, le projet de gros porteur à hydrogène CryoPlane. Les principales conclusions techniques au sujet du CryoPlane sont résumées ici.

Des technologies à développer ont été clairement mises en évidence. Il s'agit d'abord des réservoirs. Mais toute l'instrumentation classique doit être revue (tels les sondes, débitmètres, etc.) pour garantir une fiabilité sur la durée de vie de l'avion. Et puis une partie des systèmes doit être repensée. Quelques autres points restent ouverts, comme la cavitation de la pompe au ralenti, le comportement transitoire des moteurs, les aspects givrage ou l'architecture des systèmes au cas où les piles à combustible aient suffisamment progressé. Au terme de l'étude, les ingénieurs sont arrivés aux conclusions suivantes pour cet avion destiné à des missions de 4000 nautiques (genre A330) : la masse à vide augmenterait de manière significative (+25%) et la traînée totale de l'ordre de 10%, la meilleure densité énergétique du LH2 notamment permettant de limiter la pénalisation en termes de masse au décollage.
Remarquable, comme d'habitude :lol:

Et cela répond en partie aux questions que j'ai posté dans la partie 1 ...

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Re: Aéronautique et pic pétrolier (2)

Message par nopasaran » 06 mai 2005, 16:03

On trouve peu de chose sur le cryoplane sur internet.

Un pdf intéressant tous de même (en anglais) : http://www.haw-hamburg.de/pers/Scholz/d ... oplane.pdf

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phyvette
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Re: Aéronautique et pic pétrolier (2)

Message par phyvette » 09 févr. 2009, 01:04

Bientôt 4 ans depuis le post de Stéphane et le cryoplane reste toujours un projet sans échéancier précis:
Le développement d'une nouvelle économie basée non plus sur les hydrocarbures, mais sur l'Hydrogène sera un moyen de renouer avec la Croissance, la création d'entreprises et d'emplois. L'Alternative Hydrogène est plus proche de la phase industrielle que de la recherche appliquée, mais il faut lancer un défi politique, au niveau français et européen, pour amorcer un mouvement industriel et économique. Ce défi pourrait être lancé au cours de la présidence française au Conseil Européen.

Si le pari est réussi, la France sera en tête du développement durable, avec l'exportation de nombreux produits et services. En comparaison, la France est aujourd'hui parmi les leaders de l'industrie nucléaire, ferroviaire, aérienne et spatiale, grâce aux choix politiques faits dans les années 60 et 70.

L'Alternative Hydrogène :


contribuera à la lutte contre le réchauffement climatique,
résorbera la pollution atmosphérique,
assurera l'indépendance énergétique,
luttera contre l'augmentation tarifaire de l'eau et des matières alimentaires,
et contribuera à l'atténuation des conflits financiers et armés dus à l'énergie.
Nous allons tenter de démontrer dans ce document la nécessité et la faisabilité de l'Alternative Hydrogène.
LIEN
Image Quand on a un javelin dans la main, tous les problèmes ressemblent à un T-72.

WizardOfLinn
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Re: Aéronautique et pic pétrolier (2)

Message par WizardOfLinn » 06 août 2012, 07:15

Cette petite étude Boeing/NASA répertorie les technologies potentiellement utilisables pour faire voler les avions de 2030-2035.
Piles à combustibles, systèmes hybrides divers, carburants cryogéniques (hydrogène, méthane),batteries, etc.
La figure 2.3 résume les différentes options.
http://ntrs.nasa.gov/archive/nasa/casi. ... 008934.pdf
anglais, 148 pages, 3.6 Mo
(on peut passer sur le chapitre parlant de LENR, dont les auteurs reconnaissent eux même que le niveau de maturité (TRL) est très bas, pour être courtois...)

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