Environnement : le transport maritime surfe sur la vague de l’hydrogène
Barnabé Binctin| 27 mai 2019, Leparisien.fr
En cette matinée printanière, dans le port d’Amsterdam, « Energy Observer » vogue sans émettre ni particules fines ni gaz à effet de serre. Doté d’un moteur électrique, ce bateau, inventé en France, est le premier navire à hydrogène parti autour du monde. Entamé en avril 2017, son périple en 101 escales doit durer six ans, et passer par 50 pays. Le capitaine, Victorien Erussard, 39 ans, ancien navigateur professionnel, en a eu l’idée lors de la Transat Jacques Vabre, en 2013. « J’étais victime d’un bug de mon diesel, je voyais toutes les énergies autour de moi qu’on ne savait pas exploiter », se souvient-il.
S’il est une ressource abondante en mer, c’est bien l’eau. Pompée, désalinisée, elle est utilisée pour produire de l’hydrogène, ensuite stocké et transformé en électricité grâce à une pile à combustible. Une énergie propre, sans émission de dioxyde de carbone et quasi infinie. Le reste du temps, les 165 m2 de panneaux solaires installés sur la nacelle centrale assurent la production d’énergie.
En guise de voiles, des ailes captant l’énergie du vent
Depuis le 19 avril 2019, le catamaran est équipé, en sus, d’Oceanwings, des voiles compactes rotatives, automatisées et abaissables, qui captent mieux l’énergie du vent. Ces « ailes » augmentent la vitesse du navire, tout en divisant sa consommation énergétique. Voguant à 7 noeuds, Jean-Baptiste Sanchez, deuxième capitaine, s’extasie du rendement devant le tableau de bord informatique. « À une telle vitesse, on devrait consommer 30 kilowattheures, et on en est seulement à 12 ! » s’exclame-t-il. Une première mondiale pour ce système de propulsion conçu par le cabinet français d’architecture navale VPLP Design. « Ces ailes représentent une véritable rupture technologique, estime Victorien Erussard. Associées à l’hydrogène, elles constituent le combo gagnant pour un transport maritime propre. » Depuis ce test réussi, l’équipage vogue vers la mer Baltique, au large de la Suède.
Ce marin innovant n’est pas seul à croire au potentiel de l’hydrogène pour remplacer le fuel polluant des bateaux à moteur. Avec un peu plus de 2,5 % des émissions mondiales de CO2, le transport maritime doit revoir son modèle énergétique. « Plus on veut réduire ses émissions, plus on doit l’électrifier, et plus il est difficile de se passer de l’hydrogène, considère Pierre-Etienne Franc, vice-président de la branche hydrogène à Air Liquide. Par rapport à une batterie classique, l’hydrogène est bien plus intéressant en rapport densité/poids/volume », insiste-t-il.
Plusieurs initiatives concrètes ont déjà été lancées. La start-up cannoise Hyseas Energy travaille sur une pile à combustible adaptée pour une application maritime et fluviale. Objectif, alimenter en hydrogène une navette de 200 passagers dans le port de Toulon dès 2021, avec dix heures d’autonomie. Le projet Hynovar, lancé dans le Var par Hyseas et différents partenaires (dont le fournisseur d’électricité et de gaz Engie, en avril 2018), prévoit la mise en place d’une station hydrogène d’avitaillement avec électrolyseur. À Nantes, la première navette fluviale à propulsion hydrogène, le « Jules Verne 2 », doit assurer chaque jour la traversée de l’Erdre à partir du mois prochain.
Un paquebot d’ici à 2025
À ce jour, les applications se concentrent sur les petites flottes de navires de plaisance ou de ferrys engagés sur de courtes traversées. Pour les paquebots ou les porte-conteneurs, les besoins de consommation demeurent trop importants. La compagnie de croisière Viking Cruises prépare néanmoins, à l’horizon 2025, un modèle à l’hydrogène liquéfié qui transporterait 900 personnes. « Pour les plus gros bateaux, les développements ne seront pas opérationnels avant la fin de la décennie 2020 », juge Pierre- Etienne Franc, également cosecrétaire de l’Hydrogen Council, une structure réunissant les industriels de l’hydrogène. Mais le secteur maritime a désormais clairement identifié l’hydrogène comme l’une des solutions les plus intéressantes à terme.