l'express a écrit :
La gauche d'Ile-de-France refuse d'être expropriée par le gouvernement
Le 7 octobre, le conseil des ministres examinera le projet de loi relatif au Grand Paris. Celui-ci entend créer une "Société du Grand Paris", dépendante de l'Etat, qui pourrait, autour des futures gares, mettre la main sur les terrains qui l'intéressent. Et ce quel que soit l'avis des maires.
Que les fans de la saga "Grand Paris" se rassurent, avec la rentrée, le spectacle est de retour. A l'approche de l'examen du projet de loi par le conseil des ministres le 7 octobre prochain, tous les acteurs du dossier aiguisent leur lame avant de monter au front. Au milieu du champ de bataille, la Société du Grand Paris, objet de la colère des élus de la gauche francilienne.
Quelle est donc cette société? Selon l'avant-projet de loi dévoilé à la fin du mois d'août , elle sera le bras armé de l'Etat, une entité qui permettra de réaliser les grands chantiers ferroviaires de l'Ile-de-France, dans l'urgence, en zappant les longues procédures qu'exige le code de l'urbanisme. C'est ainsi que le gouvernement espère voir sortir de terre le Grand huit (un nouveau métro automatique), une rocade ferroviaire, des prolongements de lignes existantes, dans les quinze prochaines années.
Tout ça grâce à un droit exceptionnel accordé à la "Société du Grand Paris": celui d'exproprier ou de préempter les terrains "contenus dans un cercle d'un rayon maximum de 1500 mètres autour de chacune des (futures) gares". Comprendre: les maires, dont la commune accueillera une nouvelle gare, perdront tout pouvoir sur l'aménagement de leur territoire dans un rayon de 1,5km.
Delanoë dénonce un "régime juridique d'exception"
La gauche francilienne est bien évidemment furieuse. Le 9 septembre dernier, Bertrand Delanoë a adressé une lettre à François Fillon, dans laquelle il attaque vigoureusement la méthode du gouvernement: "Cette loi, si elle était adoptée, reviendrait à appliquer sur le territoire francilien un régime juridique d'exception, sans équivalent dans les autres régions françaises. Elle aboutirait à recentraliser entre les mains de l'Etat, l'essentiel des grandes compétences dévolues partout ailleurs aux collectivités locales."
Le maire PS de Paris en remet une couche, en s'inquiétant que l'Etat "puisse décider du devenir de pans entiers des villes qui seront desservies par les nouvelles lignes de transports".
A droite, on répond qu'il faut avancer vite. Christian Blanc, secrétaire d'Etat chargé du Grand Paris, a tenté de rassurer l'opposition, expliquant que certains passages de l'avant-projet seraient réécrits. Il a toutefois confirmé l'intention du gouvernement d'instituer un droit de préemption et d'expropriation dans un périmètre "de l'ordre de" 1500 mètres autour des gares projetées. La nuance est dans l'expression "de l'ordre", d'autant que François Fillon n'a lui jamais donné de chiffres.
Alors qu'une unité droite-gauche semblait se dessiner sur la question du Grand Paris, l'émergence de cette société a de nouveau creusé un fossé infranchissable entre les deux camps. La naissance de Paris Métropole (syndicat qui regroupe des collectivités franciliennes) portait déjà des signes de ce rapprochement–éloignement.
Elus de droite et de gauche étaient parvenus à s'entendre sur les statuts de ce groupement, le maire divers droite de Neuilly, Jean-Christophe Fromentin avait été mandaté par Patrick Devedjian pour acter l'adhésion de l'UMP, et puis patatras ! La droite avait finalement renoncé en juin dernier.
Depuis, le ton est monté. Et les élus de Paris Métropole, parmi lesquels figurent tout de même quatre maires de droite, ont rejeté en bloc la Société du Grand Paris, arguant que la "préoccupation" de l'Etat pour l'avenir de la région ne doit pas "impliquer la création d'un 'état d'exception'".
Le cas saisissant du XIIIe arrondissement parisien
Pour Pierre Mansat, adjoint PCF au maire de Paris chargé de Paris Métropole, l'Etat, non content de poser sa patte sur les terrains autour des futures gares, "envisage (également) de s'approprier une partie de la valorisation financière des territoires concernés".
Car, évidemment, un appartement à proximité d'une gare se vend beaucoup plus cher qu'un logement sans. L'idée serait donc de taxer ces plus-values pour financer l'immense chantier des transports. Jusqu'ici, les communes récupèrent une partie des ventes, via les droits de mutation. A l'avenir, la gauche craint que cet argent ne fasse un détour par les caisses de l'Etat.
Derrière l'aspect technique de ce dossier se joue donc une bataille vitale pour les collectivités. Illustration avec le XIIIe arrondissement. Jean-Marie Le Guen, député du coin, a fait ses calculs: "Ma circonscription doit accueillir une futur gare dans le prolongement de la ligne 14, du côté de Maison-blanche. Si l'on conserve l'idée d'un rayon de 1500 mètres, cela signifie que je perds le contrôle de l'urbanisme sur plus de la moitié du XIIIe. Pour se plaindre, les 90 000 riverains devront s'adresser aux services de l'Etat, qui contrairement au maire, ne peuvent pas être sanctionnés dans les urnes. Cette Société du Grand Paris créé de fait une expropriation citoyenne et fiscale, car l'Etat surtaxera une partie du XIIIe."
Que peut faire la gauche contre cette disposition? Jean-Marie Le Guen a son idée: "Ce droit d'expropriation concernera forcément des maires de droite, ne serait-ce que sur le plateau de Saclay. Le jour où ils découvriront les conséquences de cette loi, ils se réveilleront." Et ce sera alors le moment de bâtir un front commun droite-gauche. Le rêve d'une unité politique en Ile-de-France n'est peut-être pas tout à fait mort.