17/02 | Les Eschos
Les salariés de Photowatt sont sauvés. En redressement judiciaire depuis novembre, le fabricant de cellules photovoltaïques peut désormais compter sur trois offres de reprise, dont une d'EDF, appelé à la rescousse par l'Elysée. Cet heureux dénouement laisse néanmoins intacte une question de fond : les énergies vertes seront-elles capables de générer des emplois pérennes en Europe ? Longtemps plébiscitées par les marchés, les stars européennes du secteur suscitent aujourd'hui de sérieuses inquiétudes. Début février, le danois Vestas, le numéro un mondial de l'éolien, a dévoilé des pertes quatre fois supérieures aux prévisions des analystes. Après deux avertissements sur résultats, le groupe a annoncé le départ de son directeur financier et a décidé de supprimer 2.300 postes dans le monde, dont plus de 1.800 en Europe.
Les acteurs du solaire sont eux aussi au plus mal. Incapable de rembourser une obligation de 200 millions d'euros arrivant à échéance en février, le fabricant allemand de cellules Q-Cells va céder plus de 95 % de ses actions à ses créanciers. Son compatriote Solon a déposé le bilan en décembre, laissant sur le carreau 800 salariés. En meilleure santé, le norvégien REC fait, lui, figure de cible. En 2011, ce fournisseur de systèmes photovoltaïques est passé dans le rouge, avec une perte nette de 1,3 milliard d'euros. Pour redresser la barre, REC envisage de réduire la voilure en Norvège, où il a déjà fermé trois usines de tranches de silicium et de cellules solaires.
A quoi tiennent ces difficultés ? Les acteurs européens sont tout d'abord fragilisés par la baisse des aides publiques. En France, la refonte des tarifs d'achat de l'électricité photovoltaïque a gelé le marché des particuliers et entraîné la disparition de plusieurs milliers d'emplois au cours de l'année 2011. Aux Etats-Unis, Vestas pourrait encore supprimer 1.600 postes si le système de crédits d'impôts en cours pour les parcs éoliens n'était pas prolongé au-delà de 2012.
La Chine joue également un rôle clef. A l'instar d'autres secteurs, les acteurs des énergies renouvelables ne sont pas épargnés par la concurrence de ses entreprises. Dans l'éolien, les marchés se sont tout simplement déplacés vers l'Asie. La Chine est devenue la locomotive du marché mondial, avec 43 % des nouvelles capacités installées l'an dernier. Mais cet eldorado reste fermé aux industriels occidentaux. Face à des acteurs comme Sinovel ou Goldwind, les Siemens, Gamesa et autres Vestas ont le plus grand mal à décrocher des commandes, alors même que les marchés éoliens danois ou espagnol sont en décroissance. Plus récent, l'éolien en mer échappe à cette tendance. Siemens domine encore largement ce marché, qui reste essentiellement européen. En France, l'appel d'offres de 6.000 mégawatts (MW) impose clairement la construction de sites industriels dans l'Hexagone pour avoir une chance de l'emporter.
Dans le solaire, l'impact de la Chine est encore plus massif, car les produits voyagent plus facilement. Dotés de capacités de production très importantes, les industriels chinois comme Suntech, Yingli ou LDK Solar inondent la planète d'équipements meilleur marché. En l'espace d'un an, les prix des panneaux solaires ont chuté d'environ 50 %. Cette guerre des prix a permis de réduire le coût des subventions et d'abaisser le seuil de rentabilité du photovoltaïque mais elle a aussi éliminé la possibilité de créer une véritable filière industrielle. Or c'est ce segment d'activité qui génère le plus grand nombre d'emplois permanents. Lorsque le département américain de l'Energie garantit un prêt de 197 millions de dollars à SoloPower pour construire une usine de panneaux, il investit dans un projet qui va créer 500 emplois permanents et 270 emplois de chantier. En comparaison, la construction de la California Solar Valley Ranch, une énorme centrale au sol de 250 mégawatts, va créer à peine 15 emplois permanents et 350 postes temporaires. Pourtant, ce projet aura nécessité l'octroi par l'Etat fédéral d'une garantie de prêt de 1,19 milliard de dollar à son exploitant, l'américain NRG Energy.
Quelles seront dans ce contexte les retombées en emplois d'un essor des énergies vertes en France ? Si l'on porte leur part à 25 % du « mix » énergétique, le Syndicat des énergies renouvelables estime les créations possibles d'emplois directs et indirects à 124.000 d'ici à 2020. Ce qui porterait l'ensemble à 224.000. L'économiste Philippe Quirion, qui travaille pour le WWF, évalue quant à lui les créations à 316.000.
Mais il faut aussi tenir compte des suppressions de postes dans les autres secteurs. Une étude de PWC, financée par Areva, a estimé à 250.000 les destructions d'emplois, en cas de réduction du poids du nucléaire à 50 % dans le « mix » français. Qui croire ? « Il faut prendre tous ces chiffres avec des pincettes car personne ne sait l'effet net en emplois d'une décision ou d'une autre », prévient l'ancien patron de l'Agence internationale de l'énergie, Claude Mandil. Qui plus est, le prix du baril ou l'évolution de la compétitivité des filières vertes pourraient sans doute modifier sensiblement ces projections.
Seule certitude : les énergies vertes restent aujourd'hui plus chères que les autres sources de production en France. D'après le rapport Energies 2050 qui vient d'être remis au ministère de l'Economie et des Finances, le coût moyen de production de l'électricité est pour l'instant de 50 euros le mégawattheure (MWh) dans l'Hexagone, mais « de 70 à 80 euros le mégawattheure pour l'éolien à terre, de 120 euros pour la biomasse et de 240 à 400 euros pour le photovoltaïque » selon la Direction générale de l'énergie et du climat. Pour l'éolien offshore, l'administration s'attend à un prix entre 180 et 200 euros.
Pour créer des emplois verts, il faut donc que les consommateurs français soient prêts à payer leur électricité plus cher. C'est le cas outre-Rhin. Mais si les foyers allemands ont fait ce choix, ce n'est pas au nom de l'emploi. C'est parce qu'ils veulent sortir du nucléaire.