Dans les enjeux des élections en Allemagne..
Les Echos - 24 septembre 2009
Allemagne : sortir du nucléaire, oui, mais comment ?
2021, c'est la date butoir à laquelle doivent s'arrêter les centrales nucléaires allemandes, au terme de la loi votée en 2002. Mais comment s'affranchir d'une énergie qui fournit 24 % de l'électricité du pays ? Les solutions avancées paraissent pour l'heure peu convaincantes. Face à une population hostile à l'atome, les partisans du nucléaire attendent l'après-scrutin pour relancer le débat.
Enfin un peu d'action dans une campagne électorale effroyablement terne ! Le samedi 5 septembre,une foule de plus de 50.000 personnes s'est rassemblée à Berlin pour exiger l'abandon rapide de l'énergie nucléaire. Plus gros rassemblement public sur la question depuis l'explosion de la centrale soviétique de Tchernobyl, en 1986, la manifestation avait un objectif : repousser le spectre d'un allongement de la durée de vie des centrales nucléaires du pays.
Le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder avait bien fait voter, en 2002, une loi prévoyant l'extinction accélérée de tous les réacteurs du pays, pour un adieu à l'atome à l'horizon 2021. Mais aujourd'hui, alors que l'échéance se rapproche, Angela Merkel et son parti ne s'en cachent pas : ils préféreraient revenir sur cette décision. Si l'objectif reste la sortie du nucléaire, ne vaudrait-il pas mieux prendre son temps et laisser les énergies renouvelables devenir une alternative crédible ?
Du côté des manifestants, soutenus activement par les Verts, mais aussi par les sociaux-démocrates du SPD, et appuyés, d'après les sondages, par une grosse moitié de la population, la détermination n'a jamais été aussi forte. Les derniers mois leur ont apporté deux nouveaux arguments. Il y a eu, d'une part, une nouvelle panne de transformateur dans la centrale de Krümmel (exploitée par l'électricien suédois Vattenfall), deux ans après un incident qui avait déjà fait la une des médias nationaux.
Cela a achevé de convaincre les opposants au nucléaire qu'il existe " un réel danger que de graves accidents se produisent ", estime Thorben Becker, l'un des dirigeants de l'association pro-environnement Bund. Mais, plus grave encore, des révélations sont venues jeter le discrédit sur le centre de stockage de déchets nucléaires d'Asse 2. Construit dans les années 1960, il s'avère aujourd'hui très largement déficient, avec des fuites d'eau dans la mine, des déchets mal isolés et plus nombreux que ce qui avait été comptabilisé... Un vrai fiasco.
Le retour du charbon
Reste à savoir comment s'affranchir d'une source d'énergie qui fournit, aujourd'hui, 24 % de l'électricité outre-Rhin. C'est quand on aborde ce point qu'on constate à quel point la stratégie allemande est risquée. A chacun sa réponse. Tous misent sur deux solutions : d'une part, un boom des énergies renouvelables, et, d'autre part, de massives économies d'énergie, grâce notamment à une meilleure efficacité thermique des bâtiments. Mais les dosages entre les deux options varient selon les interlocuteurs.
En réalité, il s'agit bel et bien d'un pari. Côté énergies renouvelables, l'Allemagne peut se féliciter d'avoir déjà atteint 15 % de sa production d'électricité, grâce notamment à une loi promettant à tout fournisseur que sa production sera achetée à un prix garanti. Mais qui oserait affirmer que cette proportion pourra augmenter de 24 points de pourcentage d'ici à 2020 ? Plus encore, est-il réaliste de miser sur les économies d'énergie ?
Claudia Kemfert, qui dirige le département énergie du centre de recherche DIW à Berlin, est dubitative. " Cela nécessite des investissements massifs, ce qui n'est pas simple en période de crise. " Surtout, la tendance actuelle n'est pas à la baisse de la consommation d'énergie. C'est ce que remarque Maik Ressel, porte-parole de l'Atomforum, qui rassemble les entreprises du secteur nucléaire. " Entre les nouveaux appareils électroniques et la future voiture électrique, est-il raisonnable de miser sur une baisse globale de la consommation d'électricité ? " s'interroge-t-il.
En fait, note un expert français du marché allemand de l'énergie, " ils peuvent tourner le problème dans tous les sens, les Allemands vont devoir investir dans des centrales à charbon ". Car, précise-t-il, ils ont beau être, pour l'instant, exportateurs nets d'électricité, " ils exportent surtout de l'éolien, c'est-à-dire une énergie d'appoint, difficile à anticiper, mais ils nous achètent du nucléaire pour garantir leur approvisionnement de base ". C'est aussi ce que déplore Claudia Kemfert : " Nous sommes déjà en train de construire de nouvelles centrales à charbon. "" Voilà un sujet dont nous devrions nous emparer collectivement ", plaide la chercheuse.
Méthode Coué
Augmenter la part du charbon, cette source d'énergie fossile dégageant massivement du CO ? Qu'à cela ne tienne, Tobias Duenow, l'un des porte-parole du ministère de l'Environnement, y est prêt. Particularité allemande, son ministère a été créé au lendemain de Tchernobyl, et est en charge de la question nucléaire. L'actuel ministre de l'Environnement, le SPD Sigmar Gabriel, s'est fait l'un des plus fervents détracteurs de l'atome. Tobias Duenow assume sa position : " Si nous devons opter pour le charbon, soit. Cela nous coûtera des droits d'émission de CO2 et agira comme une incitation encore plus forte pour investir massivement dans le renouvelable. "
Il y a de la méthode Coué chez les anti-atome. Au coeur de leur raisonnement, une certitude : ce n'est que sous pression politique et économique que les entreprises du secteur investiront réellement dans les énergies vertes. C'est en tout cas l'avis de Thorben Becker : " Si vous prolongez la durée de vie des centrales nucléaires, les producteurs d'énergie engrangeront confortablement les profits supplémentaires au lieu d'investir dans l'avenir. "
Ce qui fait dire à Claudia Kemfert que l'un des principaux problèmes aujourd'hui est " le climat de défiance entre, d'une part, la population et, d'autre part, les entreprises et le gouvernement, perçus comme des menteurs ". De fait, les dernières semaines ont été animées par plusieurs mini-scandales révélant une ambiance électrique. L'un concernait notamment un rapport sur le sujet découvert au ministère de la Recherche et faisant immédiatement l'objet de soupçons : et si les conservateurs l'avaient dissimulé pour l'utiliser comme un argument en faveur de l'atome une fois les élections passées ?
Il y a pourtant un élément de vérité dans cette inquiétude largement irrationnelle : ce n'est qu'après le scrutin que les partisans du nucléaire vont faire entendre leur voix. Adoptant, pour l'instant, la stratégie du profil bas, ils repoussent les interviews à la presse, sans interrompre pour autant leur lobbying auprès de la classe politique. Un industriel du secteur, s'exprimant anonymement, résume la pensée des milieux d'affaires en agitant le spectre d'une " désindustrialisation rampante "de l'Allemagne.
Effectivement, il semble clair qu'une sortie du nucléaire implique la construction, forcément coûteuse, de nouvelles centrales, ainsi que le paiement de plus de droits de CO, dont les prix sont appelés à augmenter. Conclusion des industriels : l'Allemagne est en train de se tirer une balle dans le pied en imposant à ses entreprises, à terme, une envolée de leur facture énergétique. La fédération du patronat allemand tient le même discours, estimant que le respect des accords de Kyoto n'est " pas faisable économiquement si la sortie du nucléaire se déroule comme prévu ". Déjà, un donnant-donnant se dessine, qui verrait le gouvernement autoriser la prolongation de la durée de vie des centrales, en échange de quoi les industriels confieraient une partie de leurs profits additionnels à un fonds pour l'avenir énergétique de l'Allemagne, investissant dans le renouvelable et dans l'amélioration du réseau de transport électrique.
Discussions houleuses en perspective
Mais tout dépendra du résultat du vote. Si une " grande coalition " devait à nouveau réunir les conservateurs et les sociaux-démocrates, le statu quo menacerait encore de l'emporter, malgré l'urgence d'une décision. Les lendemains de l'élection promettent donc d'être animés, car, immanquablement, ce débat épineux refera surface. Il est un point sur lequel tous les spécialistes semblent s'accorder : même chez les pro-nucléaires, personne ne va jusqu'à envisager la construction de nouvelles centrales atomiques outre-Rhin.
Au sein même du camp conservateur, une personnalité comme Joseph Goeppel, leur porte-parole au Parlement pour les questions environnementales, avoue" ne pas croire que le scepticisme de la population allemande à l'égard du nucléaire puisse changer ". " D'un point de vue politique, évoquer la construction de nouvelles centrales serait une stratégie de kamikaze ", tranche Claudia Kemfert. Il reste à espérer que l'Allemagne, en évitant ce débat, ne soit pas en train de se faire hara-kiri.