Ukraine : comment une unité d'élite de pilotes de drones met en échec l'armée russe à Kiev
lexpress.fr 28 mars 2022
Malgré l'important arsenal militaire déployé par Moscou pour prendre Kiev, l'armée ukrainienne oppose toujours une forte résistance au 33e jour du conflit. L'unité Aerorozvidka, spécialisée dans le pilotage de drones d'attaques, semble être une des clés de sa défense.
Les images ont rapidement fait le tour de la planète. Une semaine après le début de l'offensive russe sur le sol ukrainien, la société américaine Maxar Technologies, spécialisée dans l'imagerie satellite, dévoilait une série de clichés d'un convoi de chars russes s'étirant sur plus de 60 kilomètres au nord-ouest de Kiev. Malgré cette démonstration de force, au 33e jour de combat, les forces russes n'ont toujours pas réussi à percer la défense ukrainienne aux abords de la capitale. Une unité des forces spéciales ukrainiennes leur donne particulièrement du fil à retordre : l'unité Aerorozvidka, possédant une cinquantaine d'escadrons de pilotes de drones experts. D'après son commandant, le lieutenant-colonel Yaroslav Honchar, c'est grâce aux opérations menées par cette dernière que l'offensive russe a été stoppée nette début mars.
Les spécialistes de l'unité Aerorozvidka ont en effet créé un système de renseignement conforme aux normes de l'Otan, capable de surveiller les mouvements des Russes et de coordonner des attaques aériennes précises selon le journal britannique The Times. Baptisé Delta, ce système rassemble des informations provenant de satellites, de capteurs situés sur le front qui alimentent une carte numérique, de drones de reconnaissance, ou encore d'interceptions radio. Son objectif principal est d'identifier les cibles hautement prioritaires (en raison du nombre limité de munitions de l'armée ukrainienne) afin de transmettre leurs coordonnées aux escadrons de la mort opérant de nuit.
Drones lourds modifiés
Ainsi, début mars, alors que l'impressionnante file de chars s'avançait en direction de la capitale, une trentaine de combattants ukrainiens ont profité de l'obscurité pour s'approcher furtivement de la colonne de chars russes en se cachant grâce à la forêt bordant la route menant au sud de Kiev, en direction de Tchernobyl. Conduisant des quads, équipés de lunettes de vision nocturne, de snipers, de mines détonantes à distance et surtout de drones octocoptères lourds dotés de caméras thermiques et modifiés pour larguer des grenades antichars, ils ont mené une embuscade déterminante près de la ville d'Ivankiv, prenant les Russes par surprise durant leur sommeil.
"Cette petite unité a détruit dans la nuit deux ou trois véhicules à la tête de ce convoi, et après cela, il était bloqué. Ils sont restés là deux nuits de plus, et [ont détruit] de nombreux véhicules, raconte le lieutenant-colonel Yaroslav Honchar au Guardian. Le premier échelon de la force russe était coincé sans chauffage, sans pétrole, sans bombes et sans gaz." Ce dernier affirme également que, dès le début de la guerre, son unité a contribué à faire échouer une attaque aéroportée russe sur l'aéroport d'Hostomel, au nord-ouest de Kiev, en utilisant des drones pour localiser puis bombarder environ 200 parachutistes russes dissimulés à une extrémité de l'aérodrome.
Si ces opérations furent un succès, les coupures de courant à répétition dues aux attaques russes ont engendré des problèmes de connexion internet dans certaines zones de l'Ukraine, mettant en péril la précision des frappes ukrainiennes. Or, la nuit, les soldats russes placent généralement leurs chars dans des villages, "sachant que l'artillerie conventionnelle ne peut pas risquer de toucher des civils", explique l'un des pilotes Aerorozvidka au Times. Le vice-premier ministre ukrainien, Mykhailo Fedorov, a donc rapidement interpellé Elon Musk sur Twitter, lui demandant de mettre à disposition son système satellitaire sécurisé Starlink. Le milliardaire américain a immédiatement accepté la requête. Grâce à Starlink, les escadrons de la mort ukrainiens sont assez précis pour toucher leurs cibles sans causer de dommages collatéraux selon les pilotes d'Aerorozvidka.
300 missions par jour
Si l'unité Aerorozvidka semble aujourd'hui être un élément déterminant pour l'armée ukrainienne, elle n'était à l'origine qu'un groupe de défenseurs civils fonctionnant grâce au financement participatif. En 2014, lors de sa création par de jeunes Ukrainiens diplômés de l'université ayant participé au soulèvement de Maïdan qui a chassé du pouvoir plusieurs dirigeants corrompus, l'équipe était composée d'ingénieurs, de concepteurs de logiciels et de passionnés de drones. Ces derniers ont d'abord utilisé des drones de surveillance commerciaux, avant de développer leurs propres modèles et de mettre leurs compétences techniques au service de la résistance contre la première invasion russe en Crimée et dans la région du Donbass. L'efficacité de l'unité lui vaut d'intégrer les forces armées ukrainiennes en 2015.
Aerorozvidka est ensuite dissoute en 2019 par le ministre de la Défense de l'époque avant d'être réactivée d'urgence au mois d'octobre lorsque la menace d'une invasion russe se profilait. D'après The Times, celle-ci effectue aujourd'hui près de 300 missions par jour en Ukraine. A ce rythme, les militaires rencontrent des difficultés à remplacer les équipements perdus en raison d'un approvisionnement limité en drones et en composants. De plus, certains modems et caméras thermiques de pointe fabriqués aux Etats-Unis et au Canada sont soumis à des contrôles à l'exportation. L'unité spéciale a donc recours au crowdfunding et fait appel à un réseau mondial de sympathisants pour trouver les éléments nécessaires sur internet.