Carnage à Sadr City, le faubourg chiite de Bagdad, dans un climat de guerre civile
Six véhicules bourrés de dynamite, de grenades et d'obus ont explosé, presque simultanément, dimanche 12 mars, sur cinq marchés très fréquentés de Sadr City, dans l'est de Bagdad, déchiquetant près de trois cents personnes, dont plus d'une cinquantaine ont été tuées sur le coup et les autres grièvement blessées. Extrêmement tendue depuis l'attentat perpétré contre le mausolée chiite de Samarra, le 22 février, et les tueries de représailles qui s'ensuivirent contre la minorité sunnite, la capitale irakienne a connu, dimanche, sa journée la plus sanglante depuis plus d'un an.
Avec les onze civils tués dans la matinée en différents autres points de la ville, lors d'attaques au mortier et de tirs visant des policiers et des paramilitaires, le bilan a dépassé les soixante morts. En fin de soirée, alors que le pays bruit désormais continuellement de rumeurs et de débats dans la presse et à la télévision sur l'éventualité - "imminente" selon certains - d'une guerre civile totale entre chiites et sunnites, les différentes forces de l'ordre étaient placées en état d'alerte, et notamment déployées autour des mosquées de la capitale.
A Sadr City, l'immense faubourg populaire, les milices chiites de l'armée du Mahdi, créée en 2004 par le jeune religieux antiaméricain Moqtada Al-Sadr, s'étaient également déployées en force en différents points de l'endroit. Jusqu'ici, et grâce, notamment, à ces miliciens qui quadrillent en permanence le faubourg depuis deux ans, Sadr City avait été largement épargnée par les attentats à la voiture piégée, l'arme favorite des extrémistes sunnites d'Al-Qaida et de la guérilla irakienne. Le potentiel dévastateur des attentats de dimanche n'en est que plus puissant.
Selon plusieurs témoins, l'un des sept véhicules bourrés d'explosifs - un a pu être désamorcé avant d'exploser - était conduit par un kamikaze. Parmi les ruines fumantes de plusieurs dizaines de boutiques et de logements incendiés par les engins, des dizaines de survivants en colère ont été vus donnant de violents coups de pied dans la tête détachée du tronc de celui-ci, tandis que d'autres lâchaient des rafales de kalachnikov vers le ciel en hurlant "Allah o Akbar !", "Dieu est le plus grand !".
Le plus grave est que cette nouvelle flambée de violences intervient au coeur d'une crise politique sans précédent, les différents partis ne s'étant toujours pas mis d'accord, près de trois mois après les élections du 15 décembre 2005, sur les noms du prochain premier ministre et des membres du gouvernement. Reconduit dans ses fonctions par l'Alliance chiite, qui a remporté le scrutin sans atteindre la majorité des deux tiers requise pour obtenir l'aval du Parlement, l'actuel premier ministre chiite, Ibrahim Jaafari, est un chef de gouvernement sans pouvoir réel sur les fiefs de ses ministres. Il est rejeté par les partis sunnites, de même que par les partenaires kurdes de l'Alliance chiite, qui lui reprochent son incompétence et son "sectarisme religieux".
Les Américains, qui souhaitent inclure des sunnites dans la prochaine équipe gouvernementale, ne serait-ce que pour couper l'herbe sous le pied des insurgés et hâter leur retrait, réclament avec insistance la formation d'un "gouvernement d'unité nationale", seul capable, selon eux, d'épargner une guerre civile au pays.
La partie n'est pas joué avant d'être joué.