Libye : le colonel Kadhafi fête avec faste ses 40 ans de pouvoir
LE MONDE | 01.09.09
Des années durant, il a été traité comme un terroriste et un pestiféré. C'est pourtant en patriarche respectable, entouré de nombreux invités, que le colonel Kadhafi devait fêter mardi 1er septembre à Tripoli ses quarante ans de pouvoir sans partage sur la Libye. Une cérémonie grandiose, "digne de l'ouverture d'un Mondial de football ou des Jeux olympiques", selon les organisateurs. Le clou des festivités devait être, mardi soir, un grand spectacle : scène immense, un millier de danseurs, jets d'eau et feux d'artifice. Thème : la Libye de la préhistoire à nos jours, en passant par la révolution du 1er septembre 1969, qui vit un fils de berger de la tribu des Kadhafa renverser, à 27 ans, le vieux roi Idriss et prendre le pouvoir, sans effusion de sang.
La France devrait être représentée par Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération, et non par le chef de l'Etat, comme l'avait affirmé Tripoli jeudi 27 août, avant d'être démenti par l'Elysée. Etre présent en Libye me parait de bonne stratégie", explique M. Joyandet dans les colonnes du Parisien de mardi, soulignant que l'Europe "a besoin de l'influence" de Kadhafi "pour stabiliser" le Sahel, "menacé" par Al-Qaida.
Pour cette journée de fête, Kadhafi, 67 ans, doyen des chefs d'Etat africains, s'était assuré la présence d'une trentaine de chefs d'Etat et de gouvernement du continent noir, dont le Soudanais Omar el-Béchir, sous le coup de poursuites internationales, en convoquant, la veille, un sommet extraordinaire de l'Union africaine (UA).
Que ces festivités du 1er septembre soient destinées à marquer les esprits, et même à amuser la galerie, cela ne fait guère de doute. Kadhafi "peut se payer le luxe d'être impertinent", comme le dit François Burgat, chercheur au CNRS et auteur d'un Que sais-je sur la Libye (PUF). Avec ses fabuleuses ressources en hydrocarbures, la Libye est redevenue un partenaire incontournable des Occidentaux. Elle dispose aujourd'hui d'un fonds de 136 milliards de dollars (94,7 milliards d'euros), grâce à ses exportations de pétrole et de gaz, contre 8 milliards seulement en 2002. Les années d'embargo (1992-2003) paraissent déjà loin. Le paria est rentré dans le rang en annonçant, en 2003, le démantèlement de ses programmes d'armement et en endossant la responsabilité de deux attentats qu'on lui imputait, celui de Lockerbie, en Ecosse (270 morts en 1988), puis celui du Niger (170 morts en 1989).
Kadhafi s'est-il vraiment assagi, comme on l'entend souvent dire ? "Non, il n'a pas changé. C'est toujours le même animal politique. Fondamentalement, il reste un bédouin : s'il ne trouve pas son chemin par la piste A, il empruntera la piste B pour aboutir à ses fins", répond Jean-François Galletout, qui travaille en Libye depuis vingt ans comme consultant indépendant dans le domaine des hautes technologies.
Un point de vue que partage M. Burgat, pour qui Kadhafi, après avoir sous-estimé les conséquences de la fin de la guerre froide, a su "avaler son chapeau" et prendre conscience du fait qu'il ne pouvait "s'exonérer totalement des règles de la diplomatie". Mais il fait payer à la Suisse ou à la Bulgarie, notamment, "le prix de l'humiliation" qui lui est infligée par la première puissance mondiale.
"EXCELLENT ÉQUILIBRISTE"
Quarante ans après avoir pris le pouvoir, Kadhafi est-il seul maître à bord ? "Sa force, c'est au contraire d'avoir su partager le pouvoir - en particulier l'administration et l'armée - avec d'autres tribus, tout en maintenant le leadership des Kadhafa", répond Luis Martinez, du Centre d'études et de recherches internationales (CERI). Pour cet universitaire, (auteur notamment du Libyan Paradox, Columbia University), cette stratégie de partage du pouvoir a garanti à Kadhafi la stabilité. "Grâce à la rente pétrolière, le régime a pu se doter d'appareils de sécurité et de répression extrêmement performants, explique-t-il. C'est ainsi qu'a été neutralisée ou éliminée toute contestation : les monarchistes, les islamistes et les démocrates." Si les Libyens perçoivent ce régime comme autoritaire, ils ont le sentiment qu'"ils ne peuvent pas le modifier, tant l'appareil sécuritaire est efficace ", analyse M. Martinez.
Combien de temps Kadhafi compte-t-il rester à la tête du pays ? C'est la grande inconnue. Deux de ses fils, Seif el-Islam (37 ans) et Saadi (36 ans), sont présentés comme de possibles successeurs. Le premier est crédité d'une volonté d'ouverture, à l'inverse du second, qui dirige les forces spéciales. Pour M. Martinez, Kadhafi joue en fait de ces deux images pour rassurer tour à tour les réformistes et les conservateurs. "Seif el-Islam améliore sa réputation. Saadi lui permet de tenir. Kadhafi est un excellent équilibriste", résume-t-il.
Pour M. Burgat, une autre succession, non familiale, se prépare peut-être, dans les rangs de l'armée par exemple : "Dans ce cas, elle ne peut se faire que dans l'ombre. Sitôt connue, elle serait décapitée. C'est pourquoi il est si difficile de faire des pronostics