Les drones iraniens « Shahed-136 », l’arme du pauvre de Vladimir Poutine utilisée dans les récents bombardements en Ukraine
Pierre Bouvier - 1 oct 2022 LeMonde
Depuis le début du mois de septembre, l’armée russe utilise ces drones « kamikazes », d’une portée de 2 500 kilomètres, pas tant pour causer des dégâts à l’armée ukrainienne que pour saper le moral des civils.
Débris d’un drone Shahed-136 iranien rebaptisé Geran-2 dans la région de Kharkiv, le 6 octobre 2022.
Ils s’appellent « Shahed-136 » et sont les armes secrètes de Vladimir Poutine. Pourtant, ils sont aussi le « signe de sa faiblesse », a estimé Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN, mardi 11 octobre.
La veille, des drones fournis par l’Iran ont été utilisés par la Russie – en plus de missiles – pour bombarder Kiev, Lviv, Ternopil, Jytomyr, Dnipro, Kremenchuk, Zaporijia et Kharkiv, faisant au moins 11 morts et 89 blessés. « Sur les 84 missiles russes tirés contre l’Ukraine, 43 ont été abattus. Sur les 24 drones russes, 13 ont été abattus », a déclaré le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Vladimir Poutine a justifié ces bombardements « massifs » par l’attaque contre le pont de Crimée.
Ce n’est peut-être qu’un début. Mardi 11 octobre, les services de renseignement ukrainiens, cités par l’Ukrayinska Pravda, annoncent que 32 drones Shahed-136 (« témoin », en persan) ont été déployés en Biélorussie la veille, et que 8 autres devraient être livrés avant le 14 octobre.
Le Shahed-136 est fabriqué par l’Iran Aircraft Manufacturing Industrial Company ou HESA. Il ressemble à une aile delta qui mesure 3,5 mètres de long avec une envergure de 2,5 mètres, pour un poids d’environ 200 kilos. Son nez contient une charge explosive ainsi que les optiques nécessaires à une attaque de précision. Tirés en salves, les drones peuvent être lancés depuis un camion et volent à plus de 185 kilomètres à l’heure. L’armée russe a rebaptisé l’appareil Geran-2 (géranium-2).
Les Russes ont commencé à utiliser ces drones pour tenter d’enrayer la contre-offensive dans la région de Kharkiv, frappant des positions d’artillerie et des blindés ukrainiens, rapporte le Wall Street Journal. Ils ont ensuite servi à l’attaque qui a détruit un bâtiment administratif d’Odessa, le 25 septembre. Début octobre, ils ont visé Bila Tserkva dans l’oblast de Kiev et l’un d’eux aurait été abattu.
Dans un compte rendu, le 14 septembre, le ministère de la défense britannique évoque la destruction d’un Shahed-136 par les Ukrainiens, près de Koupiansk. L’engin est décrit par les services britanniques comme un drone « kamikaze » d’une portée de 2 500 kilomètres.
Sur la chaîne Current Time, des militaires ukrainiens évoquent un engin équipé « d’un moteur à deux temps comme un bateau, une tondeuse à gazon ou un cyclomoteur » qui s’entend venir de loin. « Ces machines sont primitives », confirme Yuriy Ihnat, un porte-parole du commandement de l’armée de l’air. Selon les Ukrainiens, il s’agit d’une arme assez bon marché en raison de sa simplicité : ils volent droit vers leur cible, ne possèdent pas d’optiques coûteuses, il est facile de programmer les coordonnées de la cible et de les lancer.
« L’ennemi essaie d’économiser ses différents types de missiles. Les Shahed sont beaucoup moins chers et l’ennemi peut en lancer plusieurs à la fois », a expliqué Sergey Bratchuk, un représentant de l’administration militaire régionale d’Odessa.
L’utilisation de ces drones n’est pas une surprise. Leur arrivée a été annoncée par l’administration Biden. Courant juillet, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, expliquait que l’Iran allait entraîner les Russes à utiliser certains de ses appareils. Selon CNN et NPR, une délégation russe s’est rendue en juin et juillet sur l’aérodrome de Kachan, au sud de Téhéran, pour assister à une présentation de drones Shahed-191 et Shahed-129.
Puis fin août, le Washington Post et le Wall Street Journal ont annoncé que l’Iran les avait expédiés vers la Russie. Quatre vols auraient été effectués, emportant chacun une centaine de drones, d’au moins deux types : des drones kamikazes et des drones de surveillance et de guerre électronique.
Après de premiers essais, le Washington Post a écrit que les Russes n’étaient pas entièrement satisfaits des drones iraniens, ce qui ne les a pas empêchés de les utiliser.
Les drones livrés à la Russie sont les mêmes que ceux utilisés par les rebelles houthistes du Yémen contre des installations pétrolières en Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis. Des drones que l’Iran est par ailleurs soupçonné d’avoir utilisés contre un pétrolier israélien, à Oman, en 2021 et au Kurdistan irakien, contre des positions de partis d’opposition kurdes iraniens installés en Irak.
Après ces frappes de drones dans le port d’Odessa, l’Ukraine a décidé de « réduire significativement » la présence diplomatique de l’Iran dans le pays, en représailles aux livraisons d’armes de Téhéran à la Russie.
Pour contrer ces drones, l’Ukraine réclame de nouvelles armes, car ils ne peuvent être abattus par les Stinger (missiles sol-air portatifs), fournis par les Etats-Unis au début de la guerre, qui ne sont pas équipés d’un système de vision nocturne.
Lundi, Ruslan Stefanchuk, le président du Parlement ukrainien a écrit aux dirigeants du Congrès pour demander aux Etats-Unis d’accorder la priorité à la livraison de Nasams (pour Norwegian Advanced Surface to Air Missile System). Ces missiles fabriqués par le constructeur américain Raytheon et le norvégien Kongsberg sont censés pouvoir intercepter n’importe quel objet volant dans un rayon d’environ 25 kilomètres.
Fin août, l’administration Biden a approuvé l’envoi de six Nasams à l’Ukraine, mais aucun n’a encore été livré. Après un appel téléphonique avec le président américain, Joe Biden, M. Zelensky a déclaré que l’obtention de défenses aériennes était sa priorité numéro un.
De son côté, l’Allemagne a promis de livrer prochainement une batterie sol-air Iris-T SLM : ces missiles sont eux aussi censés pouvoir abattre une cible dans un rayon de 25 kilomètres. Selon les comptes Twitter qui suivent la guerre en Ukraine, ils auraient été, lundi, vus en Pologne.