A Oulan-Bator, les poêles à charbon empoisonnent petit à petit les Mongols
Le Monde | 18.10.2013
Par Harold Thibault (Oulan-Bator, envoyé spécial)
L'hiver tombe déjà sur Oulan-Bator et Bolormaa Oyunbileg s'inquiète de cette fumée grisâtre qui s'échappe des yourtes, dans la banlieue de la capitale la plus froide de la planète. "Dès qu'arrive la saison rude, cela devient terrible. Souvent, on ne voit plus les voitures au bout de la rue", se plaint cette jeune femme de 29 ans.
En cause, les poêles à charbon utilisés par les Mongols pour chauffer leurs yourtes. Ryan Allen, chercheur en santé environnementale à l'université Simon-Fraser (Colombie-Britannique, Canada) et auteur, en 2011, d'une des rares études sur la mortalité liée à la pollution à Oulan-Bator, attribue à la pollution un décès sur dix dans la "ville au charbon". Mais le scientifique rappelle que c'était une estimation moyenne calculée pour l'ensemble de la cité. Et précise aujourd'hui que la statistique ne reflète ni "les concentrations de polluants en réalité bien plus élevées dans les quartiers de yourtes", ni "la double exposition à l'air ambiant dans la ville et à la pollution émise à l'intérieur du foyer par le poêle".
L'habitation traditionnelle mongole est réputée pour sa capacité à préserver du froid les familles nomades dans les steppes. Un poêle central au petit bois chauffe la pièce unique, dont la forme permet à la chaleur de circuler. Le sujet est devenu un enjeu de santé publique car 60 % de la population de la capitale – qui rassemble la moitié des 2,8 millions d'habitants du pays – vit dans des quartiers de yourtes.
BROUILLARD TOXIQUE
Les hivers les plus rudes contraignent les bergers nomades à se sédentariser dans les bidonvilles qui ont encerclé Oulan-Bator. Entre 30 000 et 40 000 personnes s'installent en lisière de la ville chaque année, selon un recensement effectué en 2010. Il suffit d'un hiver plus glacial que les autres pour qu'une famille perde tout son bétail. Le groupe prend alors la route et s'installe aux abords de la capitale, dans l'espoir d'y trouver un travail salarié.
C'est ce que Bolormaa et son époux ont fait il y a six ans, abandonnant la région du lac Khuvsgul, l'un des points les plus au nord du pays. Ici, au moins, son mari est employé par intermittence dans la construction, mais si le couple avait le choix, il retournerait à la vie rurale. "La fumée est la plus dense lorsque les gens cuisinent au petit matin et le soir. Toute cette saison, j'ai mal à la gorge et je tousse sans arrêt. J'ai un bébé et j'ai peur des conséquences sur sa santé", confie Bolormaa. Aux mois de décembre et janvier, lorsqu'il fait – 30 °C au lever du jour, la ville disparaît dans ce brouillard toxique.
En décembre 2011, la Banque mondiale concluait que l'exposition de la population d'Oulan-Bator aux particules fines est, en moyenne, dix fois plus élevée que les standards de qualité de l'air mongol. Et six à sept fois au-delà des valeurs supérieures fixées par l'Organisation mondiale de la santé. Selon la Banque mondiale, il ne fait aucun doute : la capitale mongole est la plus polluée de la planète.
Dans le quartier de Sharkhad, la médecin du dispensaire depuis trois ans, Tuya Gerel, constate une hausse rapide des problèmes respiratoires, des syndromes de toux et des allergies. "Mais il est difficile de dire avec certitude si chaque cas est causé par le charbon. Car certains de mes patients ont des prédispositions", nuance la jeune docteur. L'assistante sociale du quartier, Oyuna Bata, a un avis bien plus tranché : "Il n'y a pas de chiffres, mais le nombre de fausses couches augmente, de même que celui de nouveau-nés souffrant de problèmes pulmonaires."
"DANS MA FAMILLE, TOUT LE MONDE TOUSSE"
Avec le soutien des agences internationales de développement, le gouvernement mongol a récemment instauré un programme d'aide à l'achat de poêles plus efficaces qui brûlent moins de charbon. Leur prix est passé de 176 euros à 26 euros.
Certaines familles franchissent le pas, constate Oyuna Bata, mais d'autres sont résignées puisque l'air du quartier se dégrade toujours et elles ont d'autres priorités budgétaires. Surtout, l'hiver venu, tout le quartier opte pour le charbon le moins cher, celui de moindre qualité de la mine de Baganuur, à 130 km à l'est de la ville.
A 3 500 tugriks (1,5 euro) les 40 kg, c'est celui qui se consume le plus rapidement, émettant davantage de fumée toxique. "Dans ma famille, tout le monde tousse, même ceux qui ne fument pas ont les poumons noirs", s'exaspère la travailleuse sociale.
A 62 ans, la voisine de Bolormaa, Gantuya Damdin, a assisté au fil des ans à la dégradation de l'air de la ville. Tant que ces bidonvilles de yourtes qui ne sont pas rattachés au système de chauffage central s'étendront, elle ne voit pas comment la capitale du "pays au ciel bleu" pourrait se débarrasser de son auréole noirâtre.