Chine-USA, le nouveau grand jeu pétrolier
Dans un article publié en janvier 2004 par le journal de Hong Kong, contrôlé par Pékin, Wen Wei Po, un expert militaire chinois recommandait l'adoption d'options aussi bien défensives qu'offensives pour une nouvelle stratégie navale chinoise : «La première option consiste en des réactions rapides, incluant des réactions militaires, quand une crise survient pour montrer notre force à sauvegarder les intérêts du pays. L'autre option est la capacité de dissuasion. Si vous pouvez menacer mes routes maritimes internationales, je peux aussi menacer votre sécurité dont la sécurité de vos routes maritimes internationales». L'article n'était pas prémonitoire puisque la Chine modernise et développe sa flotte militaire, de surface comme sous-marine, et puisque son évolution attendue, qui est prise très au sérieux à Washington, suggère que modernisation et développements sont en particulier axés sur un objectif de protection des lignes maritimes d'approvisionnement énergétique.
«String of pearls» (collier de perles). Tel est le nom donné, dans un rapport interne du Pentagone, à la nouvelle stratégie chinoise de sécurisation de ses voies de transport énergétique. Ce rapport destiné à Donald H. Rumsfeld, le Secrétaire américain à la Défense, et intitulé Energy Futures in Asia a été dévoilé par le Washington Times en janvier dernier avec, sans nul doute, l'accord du Pentagone. Il révélait que la Chine mettait en place tout un chapelet d'accords stratégiques avec les pays bordant les routes maritimes conduisant du Golfe Persique au Sud de la Mer de Chine et développait des forces militaires, navales, aériennes et spatiales, spécifiquement adaptées aux menaces potentielles, incluant l'US Navy, de rupture de ses voies d'approvisionnement énergétique.
La première perle du collier est en eaux pakistanaises. Quatre mois à peine après l'entrée des troupes américaines en Afghanistan, en 2001, Chine et Pakistan décidaient de la construction du port en eau profonde de Gwadar qui permettra à la Chine de franchir un pas gigantesque pour prendre pied directement dans la région du Golfe Persique. Gwadar est en effet situé sur la côte ouest du Pakistan, dans la province du Baloutchistan, et baigne directement dans la Mer d'Arabie,
à 72 km à peine de la frontière iranienne et à 400 km seulement du détroit d'Ormuz. Le coût total du projet est estimé à 1,2 milliards de dollars dont la Chine prendrait 80% directement à sa charge, sans compter une assistance technique «amicale» et l'envoi de quelques 450 ingénieurs. En contrepartie, la présence de la Chine à Gwadar lui permettrait une surveillance rapprochée de l'activité navale US dans le Golfe Persique et une surveillance de l'activité navale dans l'Océan Indien. D'après le Washington Times qui cite le rapport du Pentagone en sa possession, Gwadar est une «base navale « («naval base») chinoise et des installations d'écoute électronique sont déjà en place, bien que Pékin affirme que Gwadar est un port «civil» et que ses activités seront purement «commerciales». Port militaire ou non, l'importance de Gwadar sera de toutes façon stratégique pour les approvisionnements énergétiques chinois puisque Gwadar procurera également à la Chine un terminal de transit vers la région du Xinjiang et vers ses arrière-cours d'Asie Centrale pour ses importations de pétrole en provenance du Moyen Orient ou d'Afrique. Tout un réseau de voies ferrées et de routes reliant Gwadar à la Chine, à l'Afghanistan et aux Républiques d'Asie Centrale est en effet inclus dans le projet.
Autres perles du collier d'après le rapport du Pentagone, la Chine renforce ses liens avec le gouvernement du Bengladesh et aide à la construction d'un port à Chittatong, «cherchant à y obtenir un accès naval et commercial plus important». D'après le rapport du Pentagone, Pékin a également accru ses liens avec le régime militaire de Burma (Myanmar) et y construirait des bases navales et des stations de surveillance sur des îles de la baie du Bengale proches du détroit de Malacca, fournissant au régime militaire de Rangoon «des milliards de dollars d'assistance militaire pour y supporter une alliance militaire de fait». Au Cambodge, toujours d'après le rapport du Pentagone, la Chine aurait signé un accord militaire en Novembre 2003 pour fournir entraînement et équipement et, en Thaïlande, la Chine financerait, pour 20 milliards de dollars, la construction d'un canal au travers de l'isthme de Kra, canal qui permettrait aux navires chinois de contourner le détroit de Malacca. Dans le sud de la Mer de Chine, enfin, Pékin renforcerait également ses forces militaires pour être capable de se projeter par air et par mer à partir du continent ou de l'Ile de Hainan .
Sans confirmer le rapport du Pentagone, le Département d'Etat américain semble suivre de près les activités diplomatiques et militaires chinoises dans la région. Un de ses représentants officiels déclarait il y a peu «savoir que la Chine examinait une variété d’actions concernant la sécurité du détroit de Malacca». Peut-être avait-il en mémoire l'interview accordée peu avant au journal Zhongguo Qingnian Bao par Wu Jianmin, ancien Ambassadeur chinois en France et actuellement Président de l'Université chinoise des Affaires Etrangères, interview dans laquelle il déclarait : «La diplomatie chinoise se transforme en diplomatie proactive (zhudong shi waijiao)».
Des limites
à ne pas franchir
Dans un marché mondial les investisseurs sont encouragés à faire des offres d'achat d'entreprises dans d'autres pays que les leurs et ce, au nom de l'ouverture des marchés et de la croissance économique. Les achats d'actifs étrangers réalisés par les entreprises américaines ont ainsi atteint un record de 855,5 milliards de dollars en 2004, en croissance de 328,4 milliards de dollars sur 2003, et les actifs possédés par les Etats-Unis à l'étranger totalisaient 9 000 milliards de dollars à la fin de l'année 2004. Les entreprises chinoises commencent elles aussi à acquérir des actifs en terre américaines. En mars 2005, Lenovo finalisait l'acquisition de la branche «ordinateurs personnels» d'IBM pour 1,75 milliard de dollars et en juin 2005, Qingdao Haier lançait une offre d'achat sur le fabricant d'électroménager Maytag, pour 1,13 milliard de dollars. Le 23 juin 2005, Cnooc s'aventurait, elle aussi, en terre américaine pour surenchérir à une offre d'achat faîte par Chevron sur Unocal, septième compagnie pétrolière américaine. Unocal avait précédemment accepté l'offre de Chevron, pour un montant de 16,6 milliard de dollars et Cnooc surenchérissait à 18,5 milliard de dollars. Unocal contrôlait moins de 1% de la production de pétrole des Etats-Unis (0,23% de la production mondiale) et 0,3% de sa consommation. Elle détenait 1,75 million de barils ou équivalent en réserves dont 447 millions localisés aux Etats-Unis et 980 millions en Asie.
Dès l'annonce de l'offre d'achat de Cnooc, le Congrès (sous pression d'un lobbying intense de Chevron) prenait une posture défensive, appelait l'offre une «menace pour la sécurité nationale» et pressait l'administration de G.W. Bush de s'y opposer. Michael R. Wessel, un des membres de la US-China Economic Security and Trade Commission, une des commissions consultatives du Congrès, confirmait que «d'un point de vue public, l'offre posait de sérieux problèmes de sécurité nationale», ajoutant à titre d'argument «Cnooc est une compagnie d'Etat, pas une entreprise du marché libre». Ce point de vue était aussitôt repris par plusieurs membres du Congrès, menés par les représentants du Texas et de la Louisiane (tous deux Etats producteurs de pétrole) qui, dans une lettre adressée au Département du Trésor, demandaient la saisine du Committee on Foreign Investment. Le 30 Juin la Chambre des Représentants adoptait, par 333 voix contre 92, un amendement pour bloquer toute éventuelle approbation de l'offre de Cnooc par l'administration et votait, par 398 voix contre 15, une résolution affirmant que la transaction menaçait la sécurité nationale.
Le 13 Juillet la campagne anti-Cnooc culminait devant le House Armed Service Commitee devant lequel les membres du Congrès favorable à Chevron étaient rejoints par les faucons néo-conservateurs pour demander une Loi bloquant l'offre de Cnooc. Parmi les intervenants devant le Comité, l'ancien chef de la CIA, R. James Woolsey, déclarait publiquement que la Chine «poursuivait une stratégie nationale de domination des marchés de l'énergie et de dominance stratégique de l'ouest du Pacifique», ajoutant que Cnooc était «un organe de la plus grande dictature communiste mondiale» et qu'autoriser Cnooc à acheter UNOCAL «serait dépasser les limites, en raison de la nature du gouvernement chinois». Autre intervenant, Frank G. Gaffney Jr., un des chefs de file du mouvement néo-conservateur et par ailleurs Président du Think Tank Center for Security Policy, qui déclarait «que les deals chinois, de la Sibérie au Venezuela, de l'Indonésie au Soudan, de l'Iran au Canada, de l'Azerbaïdjan à Cuba, n'ont pas pour seul but de sécuriser les besoins (nergétiques) chinois mais de les retirer d'un marché dont les Etats-Unis sont de plus en plus dépendants», ajoutant que les chinois mènent une stratégie à long terme «de dominance des ressources énergétiques stratégiques, matériaux, minéraux, technologies, pour servir les besoins militaires chinois» et martelant sa profession de foi : «Je crois que le but de la Chine est d'inexorablement supplanter les Etats-Unis comme première puissance économique mondiale et, si nécessaire, de nous vaincre militairement». Comme si cela ne suffisait pas, Frank G. Gaffney Jr. mettait en avant, en guise de conclusion, «le danger posé à notre nation et à notre mode de vie par la menace d'une attaque par pulsations électromagnétiques la Chine étant un des adversaires potentiels qui connaît notre grave vulnérabilité à de telles attaques».
Un article de 2004 mais qui en dit un peu plus long.