CHAPITRE V
Barack Obama coupa le moteur de son Suburban couvert de poussière ; le lourd véhicule cabossé gisait au pied du tronc d'un sapin calciné autrefois par un incendie.
Devant lui se dressait le tipi d'Ours Réchauffé, le sage Indien Cree dont on lui avait recommandé les conseils pour trouver une solution à l'effondrement de son pays, dévasté par le réchauffement climatique et par les pillards survivalistes qui ravageaient les campagnes pour alimenter leurs Harley-Davidson des dernières gouttes de pétrole.
Il attendit 5 minutes, puis ouvrit lentement la portière. Un vieil homme tout fripé sortit au même moment de la tente primitive, les yeux fermement plissés, tenant son bâton de commandement dans une posture toute hiératique.
"
Hooka Hey, psalmodia le futur ex-Président d'une voix qui se voulait solennelle.
- Salut mon pote, répliqua le chef Cree avec la même gravité, les yeux pétillants d'ironie.
- Grand chef, je suis venu te voir pour demander conseil, poursuivit Obama sans se démonter. Je suis le grand chef qui habite à l'Est, dans le grand tipi dur et blanc de Washington...
- oui oui je sais, je t'ai reconnu. Faut pas croire, un tipi c'est rustique mais j'ai la télé. Que puis-je pour ton service ?
- Mon... enfin je veux dire
notre grande Nation est en péril !
- Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l'argent ne se mange pas.
- C'est profond ce que tu dis là, grand chef.
- Je te rassure, mon pote, ce n'est pas de moi.
- Je sais, c'est une prophétie d'un de tes ancêtres, je l'ai lu sur la version anglophone d'Oléocène. Mais j'imagine que tu es doué toi aussi des mêmes facultés prémonitoires...
- Prémonitoires ? Mouah ha ha ha !"
Obama regarda avec étonnement le vieil Indien se tordre de rire. Au bout de quelques minutes, ce dernier finit par se calmer, se redressa majestueusement et déclara :
" Homme du charbon ! Ne refais pas les mêmes conneries que nous !
- Non écoutez, grand sachem, à la rigueur appelez-moi "homme de couleur", mais "homme de charbon", c'est clairement une insulte à connotation ra...
- Tais-toi ! Tu es un homme du charbon ! Bush était un homme du pétrole, mais toi tu viens des Etats charbonniers, et tu en as longtemps encouragé l'exploitation démesurée, toujours pour la même histoire : les emplois, les bulletins de vote...
- J'étais jeune à l'époque...
- Quand on dissimule ses erreurs sous l'excuse de les avoir faites en tant que jeune con, c'est qu'on devient un vieux con ! Maintenant, écoute-moi."
Un coyote hurla au loin.
"Avec le développement de l'agriculture intensive, puis la découverte des énergies fossiles, notre civilisation a connu un développement extraordinaire. Des générations de nos ancêtres ont vécu dans l'opulence et le confort. Mais nous n'avons vu que, petit à petit, les espèces végétales et animales que nous surexploitions disparaissaient, que nos ressources minérales s'épuisaient sans espoir de substitution. Jusqu'au bout, nous avons cru qu'il y aurait un plan B. Nous avons démoli le climat, transformant nos plus beaux pâturages en déserts brûlants. Au pouvoir, il n'y avait que des vieux comme moi, qui se fichaient bien de ce que sera fait le monde vingt ans plus tard. Et le résultat est là : nos terres agricoles n'existent plus, notre population a été divisée par un facteur mille...
- Je vous arrête, grand manitou, je ne crois pas qu'on ait une telle mortalité en ce moment, même si les temps sont durs !
- Mais je ne parle pas de maintenant, mon pote ! Je te parle d'il y a 5000 ans, quand les Indiens régnaient en maîtres sur l'Amérique du Nord, avec un niveau technologique bien plus avancé que ta minable civilisation occidentale. On est allé sur Mars et Vénus, nous ! On avait la télé en 3D, nous ! Mais on s'est fait rattraper encore plus violemment par le couple infernal PO/RC, et notre belle nation indienne s'est effondrée.
Ensuite, ceux qui ont survécu ont compris. Comme l'a bien pressenti ce romancier français du XXème siècle, nous avons depuis refusé de retomber dans le même piège : nous avons détruit toute trace de cette maudite civilisation passée, et nous nous sommes interdits de revenir vers cette dangereuse modernité. Voilà pourquoi Colomb nous a pris pour des primitifs, alors qu'on était plutôt des... "post-itifs".
Au temps de notre splendeur, ce qui est aujourd'hui le désert du Nouveau-Mexique était un paradis : cultures de céréales à perte de vue, avec, de temps en temps, quelques tours-villes de plusieurs kilomètres de haut ; il n'en reste rien, mis à part leurs fondations : les fameuses mesas caractéristiques de cette région. On a réussi à faire gober à vos géologues que c'était naturel..."
Le Cree finit sa phrase dans un murmure, un léger sourire aux creux des lèvres, le regard lointain, comme s'il apercevait à l'horizon ces ruines du passé. Puis il regarda Obama droit dans les yeux.
"L'homme est un enfant : il ne devient sage que lorsqu'il a été bien puni des bêtises qu'il a faites."