Le président directeur général du groupe Pétrostratégies SA est notre invité ce matin en tant que spécialiste du pétrole, dans le cadre du salon de l'automobile. Quelles perspectives pour l'industrie pétrolière et automobile ?
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G.Lauwerijs : - Le Nigéria, source de tensions possibles sur les marchés du pétrole. Eh bien, le pétrole, on va en parler ce matin avec votre invité, Bertrand Henne, c'est Pierre Terzian.
BH : - Pierre Terzian, bonjour.
PT : - Oui, bonjour.
BH : - Vous êtes spécialiste du pétrole, Directeur de Pétrostratégies et les prix du pétrole, qui augmentent au-dessus de 100 Dollars à New-York, 113 Dollars à Londres. Et si on calcule, ai-je lu, en Euros, on battrait les records de 2008. Pierre Terzian, est-ce que ces prix élevés du baril, sont réalistes ? Est-ce qu'on doit s'attendre à ce que, eh bien toute l'année 2012 soit un petit peu comme celle de 2008, une année marquée par un pétrole très cher ?
PT : - Le pétrole a augmenté d'environ 40% l'année dernière, en 2011, on est passé d'environ 80 Dollars
en 2O10 à plus de 110 Dollars en 2011, c'est une augmentation phénoménale. Et pour 2012, on est devant en réalité deux possibilités, soit une baisse des prix du pétrole, si jamais, la récession se confirmait en Europe et s'étendait à d'autres régions du monde, entraînant avec elle, une baisse de la consommation de la demande de pétrole, mais un autre scénario, est celle d'une hausse du prix du pétrole à cause des tensions politiques dans la région OPEP, celles du Golfe, avec l'affaire iranienne d'un côté, le Nigéria, vous l'évoquiez tout à l'heure. Ce sont des problèmes exogènes qui n'ont rien à voir avec l'offre et la demande de pétrole mais qui peuvent avoir un impact énorme sur le prix du pétrole, dans un cas comme dans un autre, si la production venait à baisser ou si les exportations via le Détroit d'Ormuz, venaient à s'arrêter ou en tout cas, provisoirement.
BH : - Vous pensez que les prix actuels sont en grande partie à cette augmentation de 40%, dus à ce qu'on vient d'évoquer, le Nigéria, le Détroit d'Ormuz où les Iraniens effectuent des manoeuvres, où il y a des tensions importantes notamment avec les Etats Unis, vous pensez que c'est ça l'explication principale où il y a autre chose ?
PT : - L'augmentation à laquelle nous assistons depuis pratiquement le début de l'année, est entièrement due aux tensions politiques car du côté de l'offre et de la demande, les choses n'ont pas beaucoup bougé. Mais l'augmentation que nous avons connue en 2011, est quand même très importante ; je rappelle 40%, 30 Dollars le baril en une seule année, cela était une sorte de rattrapage par rapport au terrain perdu entre 2008 et 2011. Pourquoi rattrapage ? Parce qu'avec la crise, les prix s'étaient effondrés, les prix du pétrole en-dessous des seuils nécessaires pour produire les pétroles les plus couteux. Ce sont les schistes bitumineux, les sables asphaltiques, les pétroles extra lourds et j'en passe, etc. Ce sont toutes des productions qu'on appelle non conventionnelles parce qu'elles coûtent beaucoup plus cher que le pétrole traditionnel que nous connaissons en Algérie, dans le Golfe, etc, et ces pétroles-là, il faut au minimum 70-80 Dollars par baril, pour pouvoir les produire. Alors donc les prix devaient monter au-delà de ces niveaux et assurer un taux de rentabilité suffisant pour que les compagnies pétrolières continuent de produire et assurer l'offre. Et concomittemment à ce phénomène, les pays producteurs de pétrole, membres de l'OPEP ou non membres de l'OPEP, comme la Russie, ont adopté des budgets qui exigent des prix de plus en plus élevés pour leur équilibre. Dans le cas de la Russie par exemple, on parle d'un budget qui ne serait équilibré qu'à 100-110 Dollars le baril, comparé à 80 Dollars le baril pour l'Arabie Saoudite par exemple. Donc aussi bien du côté de la production technique de pétrole que des budgets des pays producteurs, il y avait une sorte d'exigence d'un prix plus élevé, ce prix a été atteint en 2011 et en principe, rien ne devrait le pousser à la hausse, sauf encore une fois, les tensions politiques auxquelles nous assistons.
BH : - Donc on doit en tout cas s'habituer selon vous à un prix au-delà des 100 Dollars le barril et est-ce qu'on vit une récession en Europe, on le sent de plus en plus, Pierre Terzian, vous faisiez tout à l'heure, vous évoquiez ce scénario-là, en 2008, quand il y a eu récession, il y a eu aussi baisse des prix. Ici, vous dites, le scénario, ça pourrait être une récession en Europe, mais des prix qui restent élevés, ce qui est quand même un scénario assez noir notamment pour les consommateurs que nous sommes ?
PT : - Si jamais le scénario de récession se vérifiait en Europe et s'étendait, la petite augmentation de la demande à laquelle on s'attend en 2012, n'aurait certainement pas lieu. Toutes les prévisions ont été revues à la baisse pour l'augmentation de la demande de pétrole en 2012. Actuellement, on table sur une toute petite augmentation de l'ordre de 700.000 barils par jour, ce n'est rien du tout comparé à une consommation de l'ordre de 90 millions de barils par jour. Mais même cette petite augmentation sera effacée. Or, entre-temps, l'offre de pétrole, la capacité de production est en train d'augmenter, en particulier, c'était la grande nouveauté d'ailleurs, dans les pays qui ne sont pas membres de l'OPEP grâce au pétrole non conventionnel, difficile à produire, coûteux, dont je parlais tout à l'heure, par exemple en Amérique du Nord, au Canada et aux Etats-Unis, on assiste à un bond de ces productions. Si jamais d'un côté, l'offre continue d'augmenter et que la récession entraîne une stagnation voire une baisse de la demande, les prix pourraient diminuer mais je ne vois pas d'effondrement à proprement parler parce que à cause de leurs contraintes budgétaires, les pays producteur seraient amenés à réagir et à freiner la baisse du prix.
BH : - Oui, ce qui est intéressant dans ce que vous dites, c'est qu'on découvre un petit peu que finalement,
selon vous, il n'y a pas tellement de problèmes d'offre du pétrole. On a longtemps cru que si les prix étaient élevés, c'est parce qu'il y avait évidemment beaucoup de demandes mais qu'on atteignait une forme de pic de production de pétrole, vous dites, ce n'est pas du tout vrai, on en découvre de plus en plus et on va peut-être même avoir trop d'offre, si je vous entends bien ?
BH : - L'équation s'est complètement renversée à cause des problèmes technologiques ; c'est-à-dire maintenant que nous sommes capables de produire des pétroles très difficiles d'accès, j'en ai parlé, sables asphaltiques ou schistes bitumineux, etc, eh bien tant que nous en sommes capables, ce n'est plus une question de technique mais c'est une question de prix, de coût. Donc à partir du moment où le prix assure la production de ces pétroles, il n'y a plus de risques de pénurie de pétrole. C'est le prix à payer en quelque sorte, au sens propre comme au sens figuré. A partir du moment où le prix reste dans la zone de 100 Dollars, il n'y a plus à craindre ni de peak oil, on n'entend plus parler d'ailleurs de cette thèse depuis longtemps maintenant, ni de pénurie de pétrole parce que l'offre est assurée, les réserves n'ont jamais été aussi abondantes, qu'il s'agisse du pétrole que du gaz et l'horizon est complètement ouvert. Le problème, c'est l'environnement, nous ne pouvons pas nous permettre de consommer autant de pétrole qu'avant car le réchauffement planétaire est là.
BH : - Vous dites, on ne parle plus tellement du pic pétrolier, le président français de Total a dit, je pense que c'était il y a quelques mois, que le pic de production de pétrole était pour dans les 10 années à venir, il se trompe en disant ça ?
PT : - Non, nous parlons de deux choses différentes, d'un côté, des réserves qui n'ont jamais été aussi abondantes, de l'autre côté, c'est les capacités de production, les installations techniques, physiques, qu'il faut mettre en place pour produire, exporter, transporter le pétrole. Alors effectivement Total et d'autres pensent qu'à partir d'un certain seuil, c'est-à-dire quelque part autour de 100 millions de barils par jour, ces installations physiquement ne seront plus capables d'aller au-delà et qu'il faut donc se préparer à ce pic de production et non pas de pic de réserve. Voilà l'avertissement qui est lancé.
BH : - Pour vous donc toute la théorie du pic pétrolier, elle n'est pas valable, j'ai lu, vous disiez, c'est aussi une idéologie un peu politique, entre guillemets, à l'origine de la notion même de pic pétrolier ?
PT : - C'est une notion très ancienne, depuis que le pétrole existe, on parle d'un pic. Pour simplifier les choses, un gisement a un pic de production et ensuite, il y a un déclin. Alors la théorie consiste à dire, le monde est un ensemble de gisements et donc il va se comporter comme un gisement mais en extrapolant, il y aura un pic et ensuite, on va diminuer, pourquoi, parce qu'il n'y aura pas assez de réserve, donc à la base, c'était une théorie de réserve. Cette théorie a eu beaucoup de succès parce qu'elle a coïncidé lors de son retour sur la scène, avec les attentions du 11 septembre 2001, lorsque tout le monde s'est dit aux Etats-Unis, mais enfin, nous dépendons d'un pays, l'Arabie Saoudite qui nous envoie des terroristes et en même temps, les réserves de ce pays ne sont pas aussi importantes qu'on le dit et c'est là que la théorie du peak oil a eu énormément de succès. Et ça nous a amusés pendant 5-6ans. Maintenant que la technologie nous permet d'augmenter les réserves, on voit que ça ne tient pas debout.
BH : - Pour vous, ça veut dire qu'il n'y aura pas tellement de pics de l'offre mais éventuellement un pic de la demande, c'est-à-dire qu'à un moment donné, face aux prix, face aux contraintes environnementales, on sera peut-être obligé de changer de comportement et donc ça va peut-être diminuer la demande mais pas l'offre, c'est ça que vous dites ?
PT : - Absolument, il faut de toute manière changer de comportement parce que le réchauffement planétaire est là, nous devons être économes en consommation d'énergies, toutes formes d'énergies, en particulier les énergies fossiles, le charbon est le principal pollueur de la planète, on l'oublie. Eh bien, il faut être économe en consommation d'énergie et donc faire de sorte qu'à partir d'un certain seuil, la production et la consommation de pétrole n'augmente plus. Il y va de la vie de la planète, si vous voulez, à condition que d'ici là, on n'ait pas trouvé les moyens de capter le Co2, le gaz carbonique qui est émis pendant la consommation des énergies fossiles et de le stocker de manière durable et sûre. Si on était capable de le faire, mais pour le moment, ce n'est pas démontré à l'échelle industrielle, les conditions changeraient, à ce moment-là mais on n'est pas là.
BH : - Merci, Pierre Terzian. On vous retrouve tout à l'heure. Ce sera à 8:35 heures pour Questions Publiques.