Dans le sens de la transition énergétique...
Publié : 07 juil. 2006, 13:57
Voici un fil pour mettre les articles récents qui prônent un changement de comportement et appel à une transition énergétique.
Par exemple :
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Faire mieux avec moins, par Robert Lion
LE MONDE | 06.07.06 | 13h56 • Mis à jour le 06.07.06 | 13h56
Dans la France des "trente glorieuses", les clignotants étaient tous au vert. Chacun voyait sa situation matérielle embellie d'année en année : les ménages s'équipaient, prenaient le volant, s'asseyaient devant leur première télévision, ils accédaient par millions à un logement décent. Notre quotidien, c'était Les Choses (Julliard, 1965), comme l'écrivait Georges Perec : nous entrions dans la consommation de masse ; Jean-Jacques Servan-Schreiber nous proposait Le Défi américain, c'est-à-dire un horizon aux possibilités illimitées ; la religion de l'époque, selon le slogan de François de Closets, était le "toujours plus".
Personne ne s'interrogeait sur la croissance ; on la voyait perpétuelle ; elle rimerait bientôt, pour tous, avec abondance. On ne parlait ni de chômage, ni de rareté, ni de dégradation de l'environnement - ni tout simplement d'environnement ; le tiers-monde,après la décolonisation, n'était pas un problème.
Ces temps sont loin. Nous savons maintenant que beaucoup de ressources sont limitées, que la croissance est fragile et qu'elle déstabilise la planète. Nous vivons les contrecoups violents de ces pénuries qui aiguisent les appétits. Une crise environnementale sans précédent se décline, dès aujourd'hui, en graves menaces sur les écosystèmes, à commencer par le climat ; on en rend largement responsable notre mode de vie occidental. Nous comprenons plus ou moins clairement que des biens devenus essentiels vont manquer. Une majorité d'Européens, comme de Nord-Américains ou de Japonais, pensent que le niveau de vie de leurs enfants s'inscrira en baisse et que leur avenir sera moins assuré. L'horizon se constelle de "moins".
Nous avons certes vécu des "moins" positifs : moins de naissances non désirées, moins de travail hebdomadaire, moins de vitesse et de morts sur les routes, moins d'alcoolisme, un peu moins de discrimination pour les femmes. Nous bénéficions de techniques qui permettent de consommer vingt fois moins d'électricité qu'en 1950 pour alimenter un même équipement, trois fois moins d'essence aux 100 kilomètres, dix fois moins de pollution industrielle, etc.
Mais "l'âge du moins", dans lequel nous entrons à peine, va être celui de restrictions sévères. La distribution mondiale des rôles dans la production industrielle et agricole nous amènera à replier, encore, des activités traditionnelles. L'offre de pétrole sera durablement insuffisante face à une demande en constante augmentation ; des chocs politiques aggraveront la pénurie ; l'Europe en souffrira ; ce sera un drame pour de nombreux pays pauvres. Le monde manquera d'eau, de bois pour la cuisson des aliments, de sols fertiles pour l'agriculture.
Nous connaîtrons des rationnements ; nous devrons limiter nos déplacements en voiture, nous éclairer, nous rafraîchir et nous chauffer moins généreusement, adopter des modes de consommation plus sobres. Les progrès de la science ne compenseront pas à temps les raretés qui s'annoncent.
En France et en Europe, ces changements seront vécus de manière différente selon que nous les subirons ou les conduirons. S'ils s'imposent à nous de force, au rythme des flambées sur les prix et des coups de tabac sur les approvisionnements, ils seront ressentis comme des reculs. On les acceptera d'autant moins qu'ils frapperont d'abord les plus faibles et provoqueront la crispation des privilégiés et de violentes turbulences sociales ; ils pourraient mettre en péril la démocratie.
Si, au contraire, nous savons, clairement, collectivement, et sans faux-fuyants, prendre la mesure des changements "en moins" qui sont devant nous, si nous savons piloter de manière responsable et démocratique les évolutions vers de nouveaux modes de vie, tout sera différent.
Pour nous, peuples privilégiés, ce siècle sera celui de la sobriété. On aurait grand tort d'y voir une catastrophe : sans rien concéder d'essentiel sur nos modes de vie, nous pouvons consommer de manière plus propre ; nous pouvons réduire notre empreinte écologique, c'est-à-dire limiter aussi bien nos prélèvements sur les ressources que nos rejets - déchets et émissions polluants - sur les écosystèmes. Certains en Europe ont anticipé sur cette voie ; leur santé, comme l'économie de leur pays s'en trouvent mieux.
Le mieux peut être l'ami du moins. Ce thème du "moins mais mieux" est un sujet politique. Il appelle des choix politiques :
Le choix de la vérité. Pour avancer dans ce siècle les yeux ouverts, et non à reculons, attendons des politiques qu'ils nous aident à prendre conscience des dérives du monde, des défis que ces dérives nous lancent et de la menace qu'elles font courir à la survie même de l'espèce humaine. Un débat public national s'impose, particulièrement dans ce pays porté au repli, voire au réflexe de l'autruche.
Le choix de la solidarité. Nous sommes tous dans le même bateau, sur la même petite planète, dans notre même petite Europe. Nous ne nous en sortirons que par la mobilisation, chez nous, de tous les acteurs et en prenant les moyens de ne laisser personne sur le bord de la route. Nous ne survivrons pas si, au-delà des mers et des sables, des milliards d'êtres humains s'abîment dans les pénuries, les disettes et la précarité.
Le choix de la modernité. Ils se trompent d'époque ceux qui parlent inconsidérément de croissance à tout prix, ceux qui voient dans la libéralisation du commerce le seul remède contre la pauvreté, ceux qui proposent des relances de la consommation sans valeur ajoutée écologique. En sens inverse, c'est une erreur historique que d'appeler à la "décroissance". Honnêtement, peut-on articuler cette idée quand un tiers de l'humanité est privé d'accès à des biens essentiels, à commencer par l'alimentation ?
Cessons de prétendre dominer la nature et le monde, cessons de faire de la possession une finalité supérieure. Remettons au pas nos déviances chéries, telles la fabrication du désir et sa satisfaction boulimique. Le progrès aujourd'hui doit se situer du côté de l'être plutôt que de l'avoir. C'est d'ailleurs soutenir une croissance raisonnée que de tendre chez nous à un mieux-être équitablement distribué et compatible avec les capacités de notre planète, ou encore d'aider les plus démunis à exister davantage. La mesure de cette nouvelle croissance devra être prise selon des grilles intégrant les impacts humains et écologiques.
Rêvons : une femme ou un homme politique prend le parti de nous parler du monde tel qu'il est, tel qu'il risque de devenir ; il ou elle nous annonce non pas de la sueur et des larmes, mais des lendemains difficiles ; elle ou il nous propose d'en débattre, en citoyens responsables, et nous laisse apercevoir des pistes robustes pour avancer, avec le sourire, vers l'âge du moins... Un moins qui prendra ainsi des allures de mieux.
"Less is more" ("le moins, c'est le plus"), disait l'architecte de la modernité Mies Van der Rohe. Belle devise pour un programme en phase avec ce siècle !
Robert Lion est président d'Agrisud International, membre du Conseil national du développement durable.