[Le Canard Enchaîné]Catastrophique catastrophisme
Publié : 26 juin 2008, 11:32
Lu dans le canard de cette semaine (page 5) :

Je trouve l'article tout à fait pertinent et je sens que je vais m'acheter le bouquinLe Canard Enchaîné a écrit : Tout le monde crie à la catastrophe. Les mêmes qui ont conspués les écolos pendant une bonne trentaine d'années (catastrophistes ! illuminés ! millénaristes !) entonnent désormais l'unanime refrain : vite, il faut sauver la planète, chacun de nous concerné tous-ensemble-ouais achetons des voitures vertes et trions nos déchets ! Devant pareille et massive prise de conscience, on se persuade que mieux vaut tard que jamais, non ? Non, tranchent dans un essai percutant* René Riesel et Jaime Semprun, eux-mêmes souvent catalogués comme affreux catastrophistes. Et ce n'est pas par simple goût du paradoxe...
Le catastrophisme officiel, disent-ils, celui que propagent tous les décideurs (États, entreprises, médias, ONG), fait écran à ce fait : "le désastre est déjà largement accompli", et notamment "là où il a fait ses ravages : dans l'esprit des hommes". La privatisation acceptée du monde. Notre soumission quasi totale à une bureaucratie de managers et de chercheurs, tous au service direct de l'industrie. Nos dénis de réalité : comment croire, par exemple, à une prétendue pénurie de pétrole, "alors qu'à l'évidence il y a surtout effarante pléthore de moteurs, engins, véhicules de toutes sortes" ?
Le catastrophisme officiel offre une autre utilité : après avoir dévasté les ressources pendant deux siècles, le capitalisme se trouve aujourd'hui contraint de mettre au point tout un ensemble de techniques nouvelles pour produire de l'énergie, recycler les déchets, et transformer en marchandises l'eau, l'air, et tous les éléments naturels nécessaires à la vie. Et cela exige d'énormes recherches et bouleversements technologiques, impossibles sans investissements gigantesques. Le catastrophisme sert donc, comme l'avait dès 1983 Pierre Souyri, que citent nos auteurs, à "faire accepter comme des impératifs absolus les efforts et les sacrifices qui seront indispensables pour que s'accomplisse le nouveau cycle d'accumulation capitaliste qui s'annonce". Tout comme le cyclone qui a frappé La Nouvelle-Orléans a permis aux grandes firmes de la reconstruire "en plus belle et plus propre, plus typique et moins nègre", c'est universellement que le déchaînement de calamités sans nombre "ouvre un prodigieux chantier aux trusts planétaires du capitalisme".
Ah les merveilleuses opportunités de profit qu'offre une Terre devenir invivable ! Toutes ces parts de marché, ces nouvelles normes, tous ces règlements qui vont sortir du Grenelle, bien entendu au nom de l'intérêt supérieur de l'humanité... Mais ce n'est pas seulement l'eau et l'air que cet "écologisme de caserne" ambitionne de rationner, disent nos auteurs : c'est la liberté même, puisque tout est fait pour nous rendre impensable l'invention d'un autre monde.
En conclusion de ce livre stimulant qui cherche, justement, à nous remettre à penser hors des clous, ce bref et joyeux rappel : "l'action de quelques individus, ou de groupes humains très restreints, peut, avec un peu de chance, de rigueur, de volonté, avoir des conséquences incalculables"...
Jean-Luc Porquet
*"Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable" (Édition de l'encyclopédie des nuisances), 130p., 10€.
