[L'eau] Dessalement de l'eau
Publié : 08 août 2006, 20:11
la situation en Espagne au sujet du Dessalement de l' eau
Agriculture. Les usines de traitement de l'eau de mer se multiplient.
L'Espagne dessale sec
Tout juste passé le parc national désertique de Cabo de Gata, à deux pas de plages envahies par les touristes, un panorama industriel et un défilé incessant de camions soulevant des nuages de poussière. Sur plusieurs hectares, on voit une cimenterie, une centrale thermique, toutes deux gigantesques. Puis, contiguë, une usine de dessalement dont le réservoir d'eau potable, quasi à ras bord, a presque la dimension d'un terrain de foot. Avec ses installations bleu azur et ses tuyauteries vertes, la desaladora de Carboneras est la plus vaste d'Europe. En fonction depuis un an, elle ne produit que 20 000 mètres cubes d'eau douce par jour, à peine 15 % de son potentiel. Pourtant, elle a peut-être sauvé cette région aride à l'est d'Almería, où il ne tombe que 200 millimètres cubes de pluie par an. «Depuis que l'usine fonctionne, fini les coupures et les restrictions d'eau, fini l'angoisse de vivre en pleine sécheresse», s'enthousiasme Fernando, qui tient un bar à Carboneras, une bourgade de 7 000 habitants vivant essentiellement du tourisme allemand et britannique. La desaladora alimente aussi en eau la localité voisine de Mojácar et, d'ici à 2007, une douzaine d'autres municipalités de la vallée de Tabernas, situées plus à l'ouest, à proximité d'un désert naturel unique en Europe. Et ce n'est pas fini : trois desaladoras sont en construction dans la province d'Almería.
«Au bord de la ruine»
Les agriculteurs s'estiment être les grands bénéficiaires de cette manne hydrique. Jusqu'alors, les 1 800 paysans de la région dont les 4 800 hectares de cultures sous serre de fruits et légumes exigent toujours davantage d'eau se désespéraient. «Les puits s'épuisaient les uns après les autres, beaucoup d'entre nous étaient au bord de la ruine», assure Antonio Lopez, président du syndicat agricole local. D'après les autorités andalouses, la couche aquifère de la région de Carboneras, surexploitée, devrait être épuisée d'ici à quinze ans. La majorité des agriculteurs continuent d'y pomper gratuitement leur eau mais ils savent qu'ils pourront compter demain sur l'eau dessalée, à un prix qu'ils espèrent modeste : de 1 dollar il y a peu, le coût du mètre cube d'eau douce dessalée oscille ici entre 0,45 et 0,71 euro.
L'exemple de Carboneras illustre la profonde transformation de la gestion de l'eau en Espagne. Dans un pays où le quart du territoire est menacé de désertification et où la demande en eau augmente de 13 % par an, on a désormais perdu la crainte de voir s'arrêter le développement du littoral méditerranéen. «Le dessalement de l'eau à grande échelle a une importance stratégique, affirme Adrian Baltanas, directeur d'Acuamed, une société étatique qui gère les desaladoras. Cela apporte une solution à une demande grandissante, quelle que soit la météorologie ou le cycle de la sécheresse. Depuis deux ans, grâce à ces usines, il n'y a plus de restrictions d'eau sur la Costa del Sol, à Murcie ou à Alicante.»
L'Espagne, premier pays à dessaler de l'eau de mer pour l'agriculture, est devenue une puissance dans ce domaine, avec des entreprises qui exportent leur savoir-faire. Deux tiers des habitants de l'archipel des Canaries consomment de l'eau de mer traitée en usine. La moitié de ceux qui résident aux Baléares (fréquentées chaque année par près de 10 millions de touristes) font de même.
Fièvre touristico-immobilière
En Péninsule, sur le pourtour méditerranéen, les autorités tablent sur des proportions similaires d'ici peu. D'autant que pour le gouvernement de José Luis Zapatero il s'agit d'une question prioritaire : après avoir gelé, il y a deux ans, le pharaonique transvasement des eaux de l'Ebre vers le littoral oriental (un projet d'Aznar), les socialistes au pouvoir ont jeté leur dévolu sur les usines de dessalement. On en compte 900. De taille modeste, elles ne produisent que 1,6 million de mètres cubes par jour. Mais, dans le cadre du plan Agua (eau), 30 méga-usines devraient être mises en service d'ici à la fin 2007.
L'explosion des desaladoras n'est cependant pas du goût des écologistes et de certains partis de gauche. Ils fustigent les rejets de sel en mer, la prolifération de saumure et les effets contaminants que supposent les usines de dessalement, même si la consommation énergétique a diminué, passant de 22 kW par m3 en 1970 à 3,5 kW aujourd'hui. Voire 2,6 kW dans certains endroits.
Gardien du phare de Mar Roldán, au sud de Carboneras, Mario Sanz Cruz milite pour la préservation du parc naturel Cabo de Gata, mis en danger, selon lui, par la fièvre touristico-immobilière. «Au lieu d'estimer les besoins en eau et d'y répondre, la tendance est à ces maudites méga-usines de dessalement pour anticiper la demande dans les dix ans à venir. Résultat, c'est un chèque en blanc pour l'urbanisme sauvage, les lotissements de luxe pour touristes résidentiels.» Dans cette région semi-désertique, on compte déjà quatre terrains de golf et une bonne vingtaine en projet. Même la ministre de l'Environnement, Cristina Narbona, «gourou» des desaladoras, a promis de sévir en cas d'abus : «Je ne peux pas stopper la prolifération des lotissements, mais je peux, en revanche, leur refuser l'eau.»