La Revanche de Gaïa
Publié : 17 sept. 2006, 14:07
bon la théorie est certainement discutable ; mais lovelock a le mérite de nous offrir un point de vue sur les interconnections entre organismes vivants fort interessant et original...à vous de juger.
La Revanche de Gaïa, de James Lovelock
Par Richard Mabey
29 janvier 2006, The Sunday Times
article original: "Richard Mabey reviews The revenge of Gaia by James Lovelock"
Après l'Ouragan Katrina, une blague noire Gaïenne, exprimée dans le jargon administratif de la Maison-Blanche, a circulé : "Mission accomplie contre les champs pétroliers du Golfe du Mexique. Quelques dommages collatéraux à la Nouvelle-Orléans".
L'intuition largement répandue selon laquelle la longue souffrance de la nature finira par nous rendre ce que nous méritons, n'a jamais été aussi précisément datée, ni aussi misanthropique. Le dernier livre de James Lovelock ne traite pas non plus de la crise à venir à la suite du réchauffement planétaire. Bien qu'il se lise par moment comme le Livre de la l'Apocalypse, sa vision de la "revanche" de la planète n'est pas une de ces attaques malveillante ou habile contre l'homo sapiens. La revanche de Gaïa traite en détail de la faillite des systèmes qui ont maintenu la terre habitable pendant des milliards d'années. Si Gaïa signifie l'interdépendance de tous les organismes terrestres, alors, bien que nous en soyons exclusivement responsables, son effondrement entraînera avec lui tous les organismes.
En ce sens, la Revanche de Gaïa n'est pas tant le fruit d'une nouvelle pensée de l'auteur que l'expression de son pessimisme croissant face au changement climatique et à notre répugnance à le prendre en compte. En 1979, lorsque Lovelock lança sa thèse de Gaïa — vision audacieuse d'une terre vivante, à la manière d'un organisme, dont la géologie et les formes de vie ont évolué de façon à maintenir un climat et une atmosphère favorable à la vie —, le réchauffement planétaire n'était pas plus qu'une rumeur. À l'époque, Lovelock semblait confiant dans le fait que les interconnexions complexes de Gaïa, liant les forêts et les algues océaniques à la formation des nuages, seraient capable de contrer le réchauffement planétaire, causé par la fabrication humaine de dioxyde de carbone. Aujourd'hui, alors que la température mondiale continue de croître sans cesse et que les désastres climatiques prolifèrent, James Lovelock pense que nous avons déjà dépassé le point de non-retour.
Ses idées lumineuses sur l'inter-connectivité de la vie forment la partie la plus efficace de son argument. Méditant sur la façon dont un phénomène comme Gaïa pouvait avoir "évolué" selon les lois darwiniennes, il demande : "Qu'est ce que le fait d'uriner a à voir avec le gène de l'égoïsme ?" (Il aime beaucoup les métaphores!). Se débarrasser de l'urée toxique est une manière extravagante d'utiliser l'eau et l'énergie, alors qu'elle pourrait être métabolisée bien mieux en azote gazeux. Mais si cela se passait ainsi, les nombreuses variétés de plantes ne bénéficieraient pas d'autant d'azote disponible. Il se peut que les plantes aient co-évolué avec les mammifères qui urinent et qu'en retour ces derniers aient bénéficié de l'augmentation de leur taille. Le darwinisme orthodoxe n'a pas souvent considéré que les organismes évolués étaient imbriqués dans leurs environnements réciproques. Ceux qui réduisent la capacité de leur environnement commun réduisent leurs chances de survie. On peut voir Gaïa comme la somme de tous ces réseaux, dépendants mutuellement les uns des autres.
Mais c'est la tempête imminente qui nous guette, le sujet central de ce livre. Ce qui affecte profondément Lovelock est l'évidence selon laquelle nous pourrions approcher "le point de non-retour" lorsque le réchauffement s'accélèrera soudain en s'auto-alimentant. Au rythme actuel, les températures globales augmenteront d'environ trois degrés dans les 50 prochaines années. À ce stade, les forêts tropicales commenceront à dépérir, rejetant d'énormes quantités supplémentaires de dioxyde de carbone. Les algues se raréfieront dans l'océan et elles cesseront de générer les nuages qui refroidissent la surface et absorbent le carbone. Le glacier du Groenland fondra et libérera suffisamment d'eau pour inonder de nombreuses villes de la planète. Suivront les récoltes perdues, les migrations humaines et l'émergence de "guerriers brutaux". L'histoire nous est connue, mais pas dans nos esprits "cartésiens". Le réchauffement planétaire n'est pas encore ancré dans notre inconscient collectif, de la manière dont la bombe nucléaire en fait désormais partie.
Alors ? Que peut-on faire ?
Pour réduire les émissions de carburants fossiles, Lovelock défend avec passion l'expansion rapide de l'énergie nucléaire. Mais ses idées ne lui ont pas fait gagner que des amis parmi ses supporters naturels. Il rejette l'énergie éolienne et les bio-carburants parce qu'ils sont tristement inefficaces et qu'ils gaspillent des territoires sauvages qui seraient bien mieux réservés à l'art ancien de la régulation selon Gaïa. Peut-être est-il un peu trop condescendant, mais il a raison d'admonester notre vanité qui nous fait croire que nous disposons des connaissances pour "gérer" la planète. L'expérimentation modeste de Biosphère II pour recréer une terre miniature de la taille d'un terrain de foot s'est terminée dans un échec ridicule.[1] Cependant, Lovelock n'est pas un adversaire des perfusions technologiques : réflecteurs géants dans l'espace, solidification et enfouissement des émissions gazeuses (le même résultat pourrait être obtenu en permettant à d'immenses zones de terres cultivées de retourner à l'état de forêts, mais étrangement, il n'en fait pas mention), "repli de longue durée" à l'intérieur des villes et aliments synthétiques pour donner à la planète une chance de récupérer. Si le pire devait arriver, ce qui resterait de l'humanité pourrait émigrer vers l'Arctique devenu doux, où les riches pourraient se balader dans des yachts propulsés à l'énergie solaire et les pauvres s'amuser de voyages virtuels.
Mais nous voici rendus dans les territoires familiers et sans retenue de la science-fiction apocalyptique ; et je crains que ce soit ainsi que la Revanche de Gaïa pourrait être comprise. C'est un livre puissant mais déprimant. Que pouvons-nous y faire ? Lovelock a beau être un scientifique à l'intuition brillante, il n'est pas un si bon psychologue. Son argument sévère et spartiate a peu de chance d'appuyer sur les bons boutons. Parce que nous sommes une espèce tribale les réponses que nous apportons aux problèmes sont archaïques et viscérales. Notre compassion est plus forte que notre angoisse. Cela nous honore mais démontre notre imprudence. Nous donnons généreusement aux victimes des désastres causés par le changement climatique, comme les famines ou le tsunami, et nous ne faisons rien pour les empêcher de se reproduire. Nous savons que sur une planète limitée, la croissance économique impliquant des ressources non-renouvelables devra s'arrêter bientôt. Pourtant, nous continuons de la considérer comme une vertu. Quelqu'un oserait-il faire passer dans un concert de rock le slogan suivant : "Faisons de la pauvreté notre avenir ?" Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras pas !
Donc, prisonniers de nos réflexes, enchaînés à des gouvernements lâches et myopes et soumis à la dure réalité selon laquelle la planification totalitaire ne fonctionne simplement pas pour les systèmes vivants complexes, nous semblons être coincés. Mais il se peut que le modèle de réussite de Gaïa, que Lovelock décrit de manière si éloquente, pourrait être un meilleur stimulant que sa disparition imminente. Gaïa est une fédération, pas un monolithe. Et il est possible qu'une addition imprévue de communautés locales obstinées, d'entreprises visionnaires et de nations, prêtes à agir de leur côté plutôt qu'à attendre le plus petit consensus commun — quelque chose de plus en accord avec nos origines organiques et notre état d'esprit actuel — puisse inverser les choses.
Le fossé énergétique
Lovelock insiste avec férocité sur la nécessité d'embrasser l'énergie nucléaire : Les énergies renouvelables sonnent de manière sympathique aux oreilles, mais jusqu'à présent elles se sont avérées inefficaces et coûteuses. Elles ont un avenir, mais aujourd'hui nous n'avons pas le temps d'expérimenter des sources d'énergie visionnaires : La civilisation est en danger imminent et elle doit utiliser dès maintenant l'énergie nucléaire. Sinon elle sera bientôt victime de la douloureuse revanche de notre planète outragée.
["The Revenge of Gaia", depuis le 2 février 2006 (édition anglaise), sortie en français prévue pour le 12 août (?)]
Traduction/adaptation de l'anglais [JFG-QuestionsCritiques]
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Note :
[1] Biosphère II est un site expérimental situé dans le désert de l'Arizona. Il tente de recréer un écosystème viable à l'intérieur d'un immense dôme fermé. Il a entre autres objectifs celui d'évaluer la faisabilité de colonies terrestres sur d'autres planètes. L'expérience a été baptisée Biosphère 2 en considérant que la Terre est " Biosphère 1 ". Deux missions ont été menées dans le dôme scellé. La première a duré du 26 septembre 1991 au 26 septembre 1993. La seconde a duré six mois en 1994. La première mission a perdu en crédibilité lorsque de l'oxygène a du être introduit dans le dôme.