Robert Hirsch : la production pétrolière va commencer à décliner dans les 5 ans
21 septembre 2009
Robert Hirsch est un éminent spécialiste des questions énergétiques qui a travaillé durant toute sa carrière dans les différents secteurs de cette industrie, d’abord en tant que serviteur de l’Etat, puis dans le privé. M. Hirsch est à l’initiative d’une célèbre étude sur le pic pétrolier publiée en 2005 par le Ministère de l’Energie des USA (DOE). Répondant ici aux questions de Steve Andrew, pour l’ASPO, il revient sur son parcours professionnel, les circonstances de la publication du rapport du DOE, et la réaction pour le moins embarrassée des autorités devant les résultats de son étude. M. Hirsch estime qu’entre 10 et 20 ans seront nécessaires pour effectuer les transformations des infrastructures, équipements, processus et modes de vie qui seront requises avec la raréfaction du pétrole. Après plusieurs années passées à étudier ce dossier, il estime aujourd’hui que nous disposons de moins de cinq ans avant que la production pétrolière mondiale ne commence à décliner, provoquant à coup sûr une récession de grande ampleur. Il est grand temps, dit-il, que les responsables politiques aient le courage de faire face aux mauvaises nouvelles en provenance du secteur énergétique et osent enfin aborder cette question de front.
Robert Hirsch s’entretient avec Steve Andrews, pour l’ASPO (Association pour l’Etude du Pic Pétrolier), 7 septembre 2009
Question : Quelles ont été vos principaux domaines d’activité au cours de votre carrière dans le secteur de l’énergie ?
Hirsch : J’ai débuté dans l’énergie nucléaire. Puis j’ai fait de la recherche sur la fusion [nucléaire], et dirigé le programme gouvernemental en la matière. J’ai passé beaucoup de temps sur les énergies renouvelables, y compris la gestion du programme fédéral des énergies renouvelables. De là, je me suis dirigé vers l’industrie pétrolière, où j’ai dirigé la recherche à long terme sur le raffinage puis les carburants synthétiques. Plus tard, j’ai dirigé la recherche et le développement sur l’exploration et la production du pétrole et du gaz. Puis ensuite, je suis passé dans le secteur de l’énergie électrique - tous les aspects de l’énergie électrique. Et puis j’ai mené des études sur l’énergie, dont plusieurs années pour la Rand, SAIC, et maintenant MISI. En dehors de cette carrière professionnelle j’ai collaboré avec les Académies Nationales [des Sciences] dans le domaine des études sur l’énergie depuis 1979 et j’ai travaillé sur pratiquement tous les aspects de l’énergie avec ces académies, que ce soit en tant que participant ou en tant que président du comité de leur conseil sur l’énergie et les systèmes environnementaux.
Question : Quand avez-vous entendu parler du problème du pic pétrolier ?
Hirsch : J’ai pris connaissance du pic pétrolier après ma sortie de l’industrie pétrolière, car on n’en parlait pratiquement pas lorsque j’y étais. Au début des années 2000, j’avais fait une étude pour le Département de l’Energie (DOE) traitant de la planification à long terme des recherches et du développement dans le secteur énergétique. Le pic pétrolier était l’un des six axes que j’avais défini. Auparavant, je n’avais jamais vraiment réfléchi sur ce sujet. C’est une sorte de bébé « goudron » ; une fois que vous mettez la main dessus, vous ne pouvez plus vous en détacher... Lorsque la production pétrolière déclinera, cela sera un enjeu déterminant pour l’humanité. Je suis donc impliqué depuis six ou sept ans dans l’analyse du pic pétrolier et des moyens de l’atténuer.
Question : Comment est née l’étude de 2005 du DOE sur le pic pétrolier ?
Hirsch : Essentiellement à mon initiative. Je travaillais avec le National Energy Technology Laboratory (NETL) du DOE à l’époque, et ils m’ont laissé beaucoup de latitude pour me pencher sur des sujets importants. J’ai senti que le pic pétrolier était extrêmement important, alors j’ai mené quelques recherches à titre personnel et j’ai ensuite proposé au NETL de réaliser une étude beaucoup plus complète, avec Roger Bezdek et Bob Wendling, qui sont des gens très capables, avec qui j’avais déjà travaillé précédemment, et qui sont très pragmatiques sur les questions de l’énergie et la réalité des problèmes. Le NETL a accepté. J’étais déjà sous contrat, et ils ont recruté Roger et Bob.
Nous étions en étroite coordination avec le NETL durant cette étude, de sorte qu’ils avaient des éléments et savaient ce qui allait en sortir. Mais quand ils ont vu le rapport final, ils ont étés choqués, bien qu’ayant su ce qui allait être publié. Il n’y a là aucun jugement négatif sur les membres du NETL. Lorsqu’on est préoccupé la plupart du temps par autre chose, les mauvaises nouvelles qui vous parviennent ne retiennent pas nécessairement votre attention immédiatement.
Une fois le rapport terminé, la direction du NETL ne savait vraiment pas quoi en faire, tant il était dérangeant et avait des implications majeures. Finalement, la directrice a décidé qu’elle allait l’endosser car elle prenait sa retraite et ne craignait plus rien, à ce qu’on m’a dit. Le rapport n’a pas fait l’objet d’une large publicité. Il a fini par être remarqué par un lycée quelque part en Californie ; ensuite le NETL l’a mis sur son site web. Le problème pour les gens du NETL - ce sont vraiment des gens biens - c’est qu’ils subissaient beaucoup de pression pour qu’ils ne soient pas porteurs de mauvaises nouvelles.
Question : pressions de qui ?
Hirsch : De personnes appartenant à la hiérarchie du DOE. Cela a été le cas sous les deux administrations, républicaine et démocrate. Il y a, je crois, de nombreuses preuves, et certains fonctionnaires du DOE sont allé jusqu’à préciser que des membres de la direction du DOE, sous les deux administrations, ont compris qu’il y avait un problème et ont bloqué les travaux sur cette question. Sous le président Bush, nous avions non seulement pu réaliser la première étude, mais également une étude de suivi traitant de la dimension économique de l’atténuation du pic pétrolier. Après cela, la visibilité, est devenue assez grande pour que l’on dise au NETL d’arrêter toute nouvelle recherche sur le pic pétrolier.
Oui, ce fut terrible. Et c’était strictement une question politique et de nominations politiques, je n’ai aucune idée du niveau dans l’administration (actuelle et précédente), où ces questions ont été et sont traitées. Des membres de l’administration Clinton ont parlé du pic pétrolier, dont le président Clinton et le Vice Président Gore, et c’est également vrai pour l’administration Bush, comme c’est le cas, d’après ce que je sais, pour l’administration Obama.
L’histoire du pic pétrolier est certainement l’histoire de mauvaises nouvelles. Il n’y a aucun moyen pour embellir la réalité, à l’exception peut-être de ce que j’ai fait parfois, c’est-à-dire de déclarer qu’en 2050, nous aurons réussi, nous aurons traversé la récession due au pic pétrolier - très probablement une très profonde récession. À un certain point, nous allons nous en sortir parce que nous sommes des êtres humains, et que nous ne nous décourageons pas. J’ai foi dans les gens en fin de compte. Mais ce sont de mauvaises nouvelles et tout responsable du gouvernement qui prendra la parole pour annoncer ces mauvaises nouvelles devra enchainer immédiatement en déclarant « voici ce que nous allons faire à ce sujet ». Mais personne ne semble prêt à cela.
Le pic pétrolier est un problème plus important que celui du système de santé, du déficit du budget fédéral, et ainsi de suite. Nous parlons de quelque chose qui, pour prendre une position médiane entre les prévisions apocalyptiques et l’optimisme inconscient de certains, sera extrêmement dommageable pour l’économie américaine et mondiale pour une très longue période. Il n’y a pas de remède miracle.
Question : Comment décririez-vous les enseignements majeurs que vous avez retiré de votre étude de 2005 ?
Hirsch : Ce que nous avons fait, consistait à étudier ce que serait un programme mondial d’urgence pour atténuer les conséquences [du pic]. Nous voulions savoir quel était le maximum de ce qui était humainement possible. C’est ce qui délimitait la recherche. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles, même dans les meilleures conditions, les choses ne peuvent pas et n’iront pas aussi vite que ce nous avions présupposé. Nous savions dès le départ que le système énergétique est énorme et que la quantité de produits finis dépendant du pétrole était considérable. Nous savions que cela ne pouvait pas être transformé rapidement, et que dans un certain nombre de cas, il n’y aurait rien à faire - car il n’existe aucune alternative aux combustibles liquides. Nous savions aussi que l’efficacité énergétique pourrait faire une grande différence, mais nous avons été surpris d’apprendre que l’amélioration des économies en carburants des véhicules serait beaucoup plus lente que ce que nous avions imaginé avant de faire notre analyse. Nous nous sommes aperçus qu’avec un taux de déclin de la production mondiale de pétrole qui allait atteindre plusieurs pourcents par an, cela prendrait très longtemps pour que les mesures de mitigation puissent compenser la baisse de la production mondiale de pétrole. Fondamentalement, notre résultat le plus important, c’était que le lancement d’un programme d’urgence mondial 20 ans avant que le problème n’apparaisse éviterait de graves problèmes. Si on ne commence que 10 ans avant on a beaucoup plus de difficulté, et si on attend jusqu’à la dernière minute, jusqu’à ce que le problème soit devenu évident, alors on est dans le pétrin pendant bien plus longtemps qu’une décennie. Au train où vont les choses, nous ne disposons plus des 10 ou 20 ans de ces deux scénarios.
Question : Quel ont été les réactions immédiates en dehors du gouvernement ?
Hirsch : Nous avons présenté le rapport à toutes sortes de publics, y compris des gens appartenant à la hiérarchie et aux comités de direction des académies [des sciences] nationales. Nous avons donné des conférences devant des publics profanes et avertis, et ce, depuis des années maintenant. Nous avons également publié des versions plus courtes dans divers médias. La réaction la plus fréquente que nous avons constaté était l’incrédulité : « cela ne peut pas arriver. » Mais ensuite, nombre de personnes en viennent à accepter, rapidement ou après réflexion, que ce raisonnement est correct, à la fois en termes de production mondiale de pétrole et en terme de mitigation. Il y a toujours certaines personnes qui rejettent le pic pétrolier, passant en fait à une contre-attaque, et qui argumentent contre. Je soupçonne que ce type de réactions que je viens de décrire est celui auquel se sont heurtés bien des gens qui travaillent sur le pic pétrolier.
Question : Quelle a été votre sentiment au sujet de l’atelier sur le pic pétrolier tenu par la National Academy of Sciences en octobre 2005 ? Qu’a-t-il produit, selon vous ?
Hirsch : Cela a été utile parce que nous avons rassemblé des points de vue divers, et que quelques discussions ouvertes ont eu lieu. Mais ces discussions ont pourtant été loin d’être satisfaisantes. En fait, les participants exprimaient leur position, mais il n’y avait pas de débat sur ce qui était réel ou pas, sur ce que sont les preuves, si elles sont solides. C’est la nature des ateliers de l’Académie. Ils sont mis en place, à juste titre, afin que soient présentées des positions, dans un but didactique et, éventuellement, ensuite, débouchent sur une étude plus détaillée menée par l’Académie. Les académies ne prennent pas de positions sans faire une analyse détaillée, et en soumettant ensuite cette étude à un processus de revue très attentif. Je pense que cette approche a bien fonctionné pour les académies. Mais dans ce cas particulier, avec des gouvernements désirant réduire au silence toute discussion ouverte sur le pic pétrolier, aucune suite ne fut donnée.
Question : A l’époque où vous avez publié votre rapport, il me semble que vous étiez resté volontairement neutre quant à la détermination de la date du pic pétrolier, afin que les lecteurs ne se focalisent pas sur cette question. Depuis la publication de l’étude, comment a évolué votre point de vue sur le calendrier du pic pétrolier ?
Hirsch : Tout d’abord, j’en savais assez sur la production pétrolière, ses incertitudes et ses inconnues pour comprendre qu’en abordant le sujet je ne pouvais pas émettre dès le début un jugement qui soit motivé. J’ai donc passé un certain nombre d’années à l’écoute de ce que les autres avaient à dire, à étudier leurs analyses, et à observer ce qui se passait dans le monde réel avant d’en arriver à ma propre conclusion. Ce n’était pas une question de politique. Cela tenait au fait que ce problème est extrêmement compliqué, qu’il y a beaucoup d’inconnues. En ce qui me concerne, je n’étais pas prêt à prendre position sur le calendrier sans avoir de nombreuses preuves qui étayeraient ma position. Il n’y a donc que depuis environ un an et demi ou deux ans que j’ai commencé à envisager une date probable pour la baisse de la production pétrolière mondiale, quelque part durant les cinq prochaines années.
Question : Etant donné là où nous en sommes aujourd’hui, si vous étiez nommé responsable des questions énergétiques, quelles initiatives politiques prendriez-vous ?
Hirsch : Si je participais au gouvernement à un haut niveau, je défendrais très fermement devant le président l’idée qu’il devrait prendre le leadership sur ce problème au plan national et international. Il faudrait qu’il étudie un peu, afin de saisir l’état de la question - qu’il le fasse tranquillement - et puis qu’il se lève et s’adresse au monde et à la nation : « nous avons un très grave problème et voici ce que mon gouvernement va entreprendre à ce sujet. » C’est en faveur de quoi je plaiderais car quelqu’un doit se lever et dire que le roi est nu. Cela sera très difficile parce que les gens n’aiment pas entendre de mauvaises nouvelles, et c’est une très mauvaise nouvelle. Au fur et à mesure qu’elle sera prise en compte, les marchés vont baisser et il y aura une récession en réaction immédiate, parce que les gens se rendront compte que c’est un problème tellement épouvantable que conserver une vision optimiste sur l’emploi et l’économie serait tout simplement irréaliste.
Question : Etant donné ce que sont nos dirigeants aujourd’hui, que devraient faire les « concernés du pic pétrolier » - une expression que vous avez utilisé durant l’atelier de 2005 - et qu’ils ne font pas aujourd’hui ?
Hirsch : J’aimerais le savoir. C’est un sujet qui, en toutes circonstances, est porteur de mauvaises nouvelles, mais c’est encore pire durant d’une récession. Mon approche consiste à présenter et discuter les faits et les réalités et à essayer de dissiper les confusions. Je ne pense pas qu’il soit judicieux, et ce n’est pas mon style, d’affirmer que le monde touche à sa fin, d’annoncer l’Apocalypse. C’est ma position. D’autres estiment que l’ l’Apocalypse est effectivement probable. C’est leur droit. Je crains que, quoi que nous fassions, nous ne parvenions pas à capter l’attention de l’opinion publique, jusqu’à ce que le prix du pétrole s’envole à nouveau et que les gens en souffrent. C’est ce qui s’est passé l’an dernier. Ce problème retenait de plus en plus l’attention lorsque le prix du pétrole a augmenté parce que 1) les gens en souffraient, et 2) ils savaient que quelque chose n’allait pas. L’opinion est préoccupée en ce moment par la récession, et les gens ne veulent pas recevoir de mauvaises nouvelles venant s’ajouter à celles auxquelles ils sont déjà confrontés. J’aimerais être optimiste et dire qu’il existe une sorte de baguette magique, mais si c’est le cas je ne sais pas où elle se trouve.
Question : Autre chose, pour conclure ?
Hirsch : J’ai essayé de sortir des sentiers battus pour ce qui est de faire passer le message et d’attirer l’attention de l’opinion. Je n’ai rien trouvé de plus que ce que je suis déjà en train de faire, sinon écrire un livre, ce que nous venons de commencer. Mais d’autres gens ont d’autres idées, possibilités et relations. Je leur suggérerais donc d’imaginer les démarches qui permettraient, de façon rationnelle et raisonnable, que plus de décideurs s’impliquent 1) dans la prise en compte du problème et 2) contribuent à faire qu’il soit pris en compte au plus haut niveau gouvernemental. Ainsi des mesures sérieuses pourraient commencer à être prises.