Remundo,
Sans t’offenser non plus, j’ai passé sept années de ma vie en Afrique Noire : Congo (3 ans et demi entre 1978 et 1981), 3 ans de Nigéria entre 1983 et 1986, 6 mois en Côte d’Ivoire en 1995. Je ne citerai pas les missions de quelques semaines pour ELF au Cameroun ou au Gabon. J’ai négocié le contrat de partage de production du permis de Sebikhotane (recherche de gaz naturel) pour le compte de MAUREL & PROM avec les autorités sénégalaises vers 2002-2003, je connais bien celui du permis voisin de Thiès au Sénégal, qui donne une petite production de gaz. Je crois bien connaître les problèmes de fourniture électrique qui se posent au Sénégal, au-delà de la fourniture d’électricité en base apportée par le barrage, même si ce n’est pas vraiment mon métier. Je ne suis absolument pas surpris des troubles actuels au Sénégal, et je compatis avec les souffrances des populations sénégalaises, avec qui j’ai eu l’occasion de nouer de bons contacts. Le seul pays où je n’ai jamais mis les pieds est l’Angola.
J’ai travaillé aussi pour des sociétés nationales (Petroperú (Pérou), Petroci (Côte d’Ivoire) et pour la République togolaise jusqu’à 2009 pour cette dernière). Le problème du gaz, à l’exception notable de la Côte d’Ivoire, qui a réussi à créer un réseau de gazoducs collectant les gaz de l’offshore jusqu’à la centrale de Vridi, près d’Abidjan, n’est résolu nulle part.
Le problème du torchage de gaz, je le connais pour l’avoir vécu. Si c’était simple à résoudre, ce serait déjà résolu.
Je souhaite juste éviter le manichéisme. Il n’y a pas les pourris, corrompus, salauds, prédateurs, etc..., dont je fais obligatoirement partie, d’une part, et les gentils de l’autre. La manifestation des femmes nigérianes, avec pancartes, était verbalement contre le torchage, mais les pancartes étaient 100% explicites : les populations locales veulent des emplois (elles s’adressaient à la filiale nigériane d’AGIP/ENI, société italienne), pas du gaz, de l’électricité ou de l’eau. Double langage ?
Par ailleurs, comme le faisait remarquer l’Anglais distingué dans le premier reportage, soit on sauve son âme et on évite de traiter avec des régimes douteux (Russe ou Nigérian), soit on est « pragmatique » et on traite avec des gens que l’on n’inviterait pas à prendre le thé chez sa mère (formulation délicieusement british).
Toutes les solutions que tu cites existent. Leur bilan ne doit pas être fait seulement en termes financiers, mais aussi en termes thermodynamiques. L’acheminement par gazoduc vers l’usine de liquéfaction de gaz de Bonny est déjà en cours pour beaucoup de gaz associé du Rivers State (l’Etat de Port-Harcourt, Nigéria), mais il faudrait au moins un autre terminal de GNL pour la partie ouest du delta, à Escravos ou Forcados. Le problème, c’est que le marché du gaz naturel liquéfié a été chamboulé par le gaz de schiste aux USA. Les Américains avaient planifié une demande massive de GNL, que le gaz de schiste a tuée. Le GNL a du plomb dans l’aile à court terme, au moins sur la façade Atlantique.
Le gas-to-liquids est une solution intelligente, mais elle nécessite une centralisation de la production de gaz associé, qui n’existe pas encore. Le procédé Fischer-Tropsch n’a pas un très bon rendement thermodynamique, mais c’est toujours mieux que le brûlage. Il manque la coordination pour trouver un site d’implantation. L’ennui, c’est que cela va rajouter encore des tuyaux dans une zone qui est déjà complètement vérolée.
La génération d’électricité est une option valable, mais il faut trouver des consommateurs à proximité. Le peuplement du delta n’est pas très important, et n’absorbera jamais tous les gigawattheures produits, même si on fournit gratuitement l’électricité à la population. En outre, on observe un phénomène que l’on observe rigoureusement partout dans le Tiers-Monde : personne ne paie le courant, et les branchements pirates se multiplient comme des petits pains. Le résultat est une baisse de la tension et de la fréquence du réseau, qui pénalise tous les usagers, jusqu’à ce que la capacité de fourniture devienne définitivement insuffisante et créée d’inévitables délestages (Sénégal, encore et toujours). La course entre l’augmentation de la demande et l’accroissement des capacités de production est perdue d’avance.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Cette maxime n’est pas spécifiquement française. On la retrouve dans de nombreux endroits d’Europe et même au Brésil :
http://www.expressio.fr/expressions/l-e ... ntions.php.
Un mot pour finir : je suis ravi que l’audience de ces deux émissions sur Arte, chaîne confidentielle s’il en est, ait été aussi importante. De quoi alimenter le débat de façon intéressante (déjà 11 messages depuis qu’Alter Egaux, que je remercie au passage, a signalé la diffusion de cette émission).