Pour revenir au sujet du fil, un peu de physique pour comprendre les « hydrates de méthane ». La thermodynamique permet de comprendre les conditions de « stabilité » de ces objets chimiques bizarres. Tous les exploitants de puits producteurs de gaz savent qu’ils peuvent avoir des hydrates de méthane parfaitement stables (la « glace qui brûle ») même quand il fait +10° Celsius, parfois même +15° Celsius. Au-delà de + 15° Celsius, le phénomène commence à se faire rare. A une pression de 100 bars (10 mégapascals), on peut facilement observer la formation, l’existence et la très grande stabilité de cette glace à des températures de + 10° Celsius. Il y a plusieurs puits de gaz naturel dans la Marne, la Haute-Marne et la Meuse, régions dont, comme chacun sait, les conditions climatiques sont fort appréciées des touristes, où ce phénomène pose de très sérieux problèmes d’exploitation pendant l’hiver. Les exploitants essaient de régler ces problèmes à l’aide d’alcools divers. Non pas qu’ils les ingèrent eux-mêmes, mais ils les injectent dans les puits. Le plus connu et le plus simple de ces alcools est le méthanol, mais on utilise aussi des produits doublement alcoolisés, les glycols, fortement déconseillés pour s’alcooliser soi-même, comme l’éthylène-glycol (l’antigel du commerce), le propylène-glycol ou le butylène-glycol. Mais tout ça, c’est pour régler des problèmes de bouchage de conduites sous pression en surface.
Dans le sous-sol, pour qu’il y ait des hydrates de méthane totalement stables, il faut à la fois de fortes pressions (typiquement 100 bars ou plus) et des températures inférieures à 15° Celsius, et même, de préférence, à 10° Celsius. A terre, ce n’est possible que dans les régions polaires, car la température de surface nécessaire pour avoir, à la fois, une pression élevée (100 bars ou plus) et du gaz sous forme d’hydrates de méthane doit être plus basse que -15°, voire -20° Celsius. Et plus la couche susceptible de contenir les hydrates est profonde, plus il faut que la température de surface soit basse, très en-dessous des -15° C.
En mer, les choses sont différentes. Quelle que soit la latitude, l’ensoleillement ne joue plus le moindre rôle par grande profondeur d’eau. Quelle que soit la latitude, il existe une profondeur d’eau à laquelle la température devient constante, de l’ordre de 3° à 4° Celsius, température à laquelle la densité de l’eau de mer est maximale. En général, cette température est atteinte à moins de 1 000 mètres de profondeur d’eau. Cela explique que l’on peut rechercher des hydrates de méthane partout dans le monde, pour autant que la température du fond de la mer soit de 3° ou 4° Celsius, et pas beaucoup plus. A ces endroits, en fonction du gradient géothermique de la région (qui va de 25° à 35° Celsius par kilomètre d’épaisseur de roches) on peut trouver la glace qui fond dans les 200 ou 300 mètres sous le fond de la mer. Plus profond, les conditions de pression restent bonnes, mais la température devient trop élevée.
Cette différence entre l’onshore et l’offshore explique pourquoi on ne recherche ces hydrates de méthane qu’en régions polaires pour l’onshore, mais qu’on peut les rechercher partout où la profondeur d’eau est de l’ordre de 1 000 mètres ou plus pour les 70% de surface du globe occupés par l’océan.
Comment envisage-t-on d’obtenir une production de gaz naturel à partir de ces hydrates ? On peut soit augmenter la température, soit baisser la pression. Les lois de la physique montrent qu’une augmentation de la température ne peut être obtenue que dans un rayon très faible autour de la zone chauffée. On parle en pieds, même pas en mètres. Gagner 5° Celsius de température à 5 mètres de distance de la zone chauffée prend des années, en raison de l’inefficacité dramatique de l’unique méthode de transfert de chaleur entre solides, la conduction. Exit donc l’augmentation de la température. L’unique moyen d’obtenir une production de gaz naturel à partir des hydrates de méthane est de faire baisser la pression dans la couche qui les contient. C’est bizarre : on fait exactement la même chose avec les gisements d’hydrocarbures conventionnels, le pétrole et le gaz. Même pour les pétroles et gaz de schiste ou le gaz adsorbé dans les veines de charbon, on utilise le même procédé, de faire baisser la pression. Contrairement aux signaux de température (envoyés par conduction thermique dans le sous-sol), les signaux de pression peuvent se propager sur très longue distance.
On cherche donc à exploiter les hydrates de méthane en faisant baisser la pression appliquée sur la roche. Concrètement, comment fait-on ? Elémentaire, mon cher Watson : on fore un puits, et on pompe tout ce qui en sort. La gueule du puits (c’est le vrai nom qu’on donne) est à la pression atmosphérique ou presque. Vider, par pompage, les liquides présents dans le puits permet d’augmenter la dépression sur la couche contenant le produit que l’on veut extraire (dans le cas des hydrates de méthane, on parle d’extraire en même temps le méthane et l’eau, une fois les hydrates fondus).
Le lecteur qui aura eu la patience d’atteindre ce paragraphe pourra se faire une idée de la façon d’extraire ces hydrates de méthane au lien
http://mallik.nwtresearch.com/reports/W ... 202008.pdf. Je connais très bien Bob ISTED, le septuagénaire+ en combinaison orange de la photo de la page 4. Sa femme Eileen et lui m’ont hébergé plusieurs fois lors de mes voyages à Calgary. Il m’a expliqué ses expérimentations (la mer de Beaufort en 2008, objet du pdf, mais aussi les expériences menées au large du Japon en 2013). Il fournit le réchauffeur (le « heater » des schémas de la page 9). Ce réchauffeur ne vise pas à réchauffer la zone contenant les hydrates de méthane (une cause perdue d’avance en raison de l’inefficacité du mécanisme de transfert de chaleur par conduction thermique). Il vise à empêcher que le gaz et l’eau, séparés lors de la baisse de pression imposée à la couche qui contient ces produits, refassent des hydrates (des solides bouchant totalement les tuyaux) lors de leur remontée vers la surface (la détente du gaz, sous l’effet de la baisse de la pression, fait chuter la température, recréant des conditions favorables à la cristallisation des hydrates). Ce n’est pas l’élément capital de l’architecture du puits, mais c’est indispensable pour éviter les emmerdements lors de l’exploitation. On voit que seule la baisse de la pression peut faire passer les hydrates de méthane de l’état stable à l’état instable. C’est la seule façon d’espérer exploiter ces produits.
Un mot sur l’impact du réchauffement climatique sur la stabilité des couches contenant des hydrates de méthane. Il faut, là encore, distinguer l’onshore et l’offshore. En offshore, les zones qui pourraient se réchauffer et libérer le gaz de sa gangue de glace sont celles qui sont situées pile-poil aux endroits où la profondeur d’eau de mer est telle que la courbe de température, en fonction de la profondeur d’eau, connaît une discontinuité brutale, pour se stabiliser à 3-4° Celsius. On parle d’une tranche d’eau relativement peu épaisse. L’inertie thermique des roches situées sous le fond de la mer (qui évacuent le flux géothermique au rythme de 50 à 60 milliwatts au mètre carré) mettra un temps important à réfléchir en profondeur la modification apportée à la température du fond de la mer, et à trouver son nouvel équilibre. Quant au gaz éventuellement libéré, il ne faut pas oublier qu’il va devoir traverser des couches de sédiments pas forcément perméables, et qu’il mettra un temps très long (parfois un temps géologique) à atteindre la surface. Il est même possible qu’il rencontre un mur (une roche-couverture) lors de sa remontée vers la surface, et qu’il finisse par s’accumuler dans le sous-sol pour y créer un nouveau gisement de « shallow gas » comme il y en a tant à la surface du globe (à 96 mètres à Gabian dans l’Hérault, à 172 mètres à Schaffhouse dans le Bas-Rhin, à 240 mètres à Vaux-en-Bugey dans l’Ain, à 280 mètres à Lons-le-Saulnier dans le Jura, à 332 mètres à Charmois dans le Territoire-de-Belfort, etc.).
Pour l’onshore, je n’ai pas réfléchi à la déstabilisation des hydrates sous l’effet d’un réchauffement climatique. Il faut poser la question aux géologues.
Rappel : c’est essentiellement la chute de la pression qui déstabilise les hydrates de méthane à l’échelle d’une vie humaine.
Un grand bravo au lecteur qui est arrivé jusqu’ici…