Au Qatar, Total parie sur un craqueur d’éthane géant
Le 06 mai 2010 Usine Nouvelle
Le pétrolier français a inauguré mardi le plus important craqueur d’éthane au monde à Ras Laffan, au Qatar. En apportant à l’émirat une technologie et un marché à l’export pour ses matières plastiques, Total lorgne les parts de l’immense gisement de gaz de Northfield, remis en jeu en 2014.
En plein désert du nord du Qatar, une installation pétrochimique est inaugurée en grande pompe ce mardi 4 mai. Sous la tente climatisée aux effluves de cardamome, Total est aux premières loges. L’enjeu est de taille pour le pétrolier. Aux côtés de Chevron et de Qatar Petroleum, il a investi à hauteur d'un cinquième de l’installation présentée comme le plus grand craqueur d’éthane au monde. Coût total estimé : 1,2 milliards de dollars. Stratégique pour ce pays grand comme la Corse, le craqueur devait être inauguré par l’émir en personne, remplacé au dernier moment par son fils, son altesse le dauphin. Une dérobade qui n’altère pas l’optimisme du directeur général Chimie de Total, François Cornélis, qui a fait le déplacement à Ras Laffan. « Tout ce que l’on construit ici est neuf et de taille maximale », se réjouit ce dernier.
L’éthylène produit sur place doit être transformé en granulés de polyéthylène dans les installations de Messaieed, au sud du Qatar. Les granulés sont ensuite livrés par bateau aux plasturgistes en Afrique et en Chine, qui en font des films alimentaires et autres produits plastiques finis. Pour Total, l'usine qatarie constitue une arme compétitive. En effet, le procédé basé sur l’éthane est moins coûteux que celui basé sur le naphta, utilisé comme matière première en Europe, à Anvers ou Gonfreville. Si la différence de prix de revient n’est pas donnée par les représentants de Total interrogés, elle est significative. A tel point que le groupe souhaite que l’éthane représente 50% de sa matière première pour fabriquer du polyéthylène d’ici à 2015, contre 30% à 40% aujourd’hui.
Un levier pour exploiter le gaz du Qatar
Au- delà des économies engendrées, la pétrochimie in situ constitue pour Total un levier permettant de gagner de futurs gisements de gaz. Le craqueur d’éthane passerait presque inaperçu à Ras Laffan, tant la cité industrielle multiplie les installations des majors. Shell, Exxon Mobil et ConocoPhillips qui y ont installé leurs quartiers aux côtés de Total, sur les rives du plus grand gisement de gaz de la planète. C'est que le réservoir de Northfield fait la richesse de l’émirat, et attire toutes les convoitises. Situé sous la mer du Golfe arabo-persique entre l’Iran et le Qatar, il propulse la presqu’ile au troisième rang de producteur gazier de la planète, derrière la Russie et l’Iran. « Facile à exploiter, à seulement 60 mètres de profondeur sous la mer, il peut fournir du méthane pendant encore une centaine d’années », souligne Philippe Guys, directeur de l’exploration production de Total au Qatar. Un eldorado, loin des difficultés techniques des gisements sous pression en grande profondeur, dans le Golfe du Mexique.
Reste qu’il faut séduire le propriétaire. « Tous ceux qui ont reçu des concessions ont apporté une technologie, une valeur ajoutée », indique François Cornélis. Le groupe français s’est pour l’instant vu attribuer trois tranches d'exploitation, toujours en binôme avec Qatar Petroleum, le bras armé de l’émirat. Mais un moratoire sur l’exploitation du gisement North field a été imposé jusqu’en 2014. D’ici là, Total fourbit ses armes à l'émirat en demande d'excellence : un centre de recherche ambitieux logé dans le quartier des matières grises à Doha, une antenne de la prestigieuse école HEC, qui devrait être l'un des premiers établissements étrangers à proposer un bac+5, une politique d’implantation de PME françaises de pointe, et enfin, de gros investissements pour industrialiser le pays sur toute la chaîne de valeur du gaz, au-delà de l’exploration-production. Le craqueur d'éthane géant, conçu par Technip au plus près des exigences possibles en termes d’efficacité énergétique, fait partie de cette stratégie.