Le nouveau sarcophage de Tchernobyl en attente de construction
Le compteur s'agite. Tic-tic-tic, crachote son petit haut-parleur, tel un réveil devenu fou, pendant que les chiffres défilent sur l'écran. Au bout d'une minute, il atteint 545 : ce n'est pas un score de jeu vidéo, mais le nombre de désintégrations radioactives enregistrées à 200 mètres de ce qui reste du réacteur no 4 de la centrale ukrainienne de Tchernobyl.
Le matin, à Kiev, l'appareil oscillait en dessous de 20. La radioactivité près du sarcophage qui enrobe le réacteur détruit est impressionnante. Si l'on restait en permanence sur place, on accumulerait rapidement la dose considérée comme acceptable en un an.
C'est que l'enveloppe de béton et de ferraille qu'avaient construite en un temps record - et au prix de risques importants - les "liquidateurs", en 1986, pour enfermer les matières radioactives encore présentes dans la ruine fumante, est percée de multiples trous représentant une surface d'environ 100 m2. Il s'en échappe un nuage invisible mais nocif. Des centaines d'ouvriers travaillent aujourd'hui à consolider le vieux sarcophage. Par petites périodes, pour ne pas accumuler une dose dangereuse.
Mais la grande affaire reste la construction prochaine d'une nouvelle enceinte de confinement. Trois raisons justifient cet ouvrage. D'abord, le sarcophage actuel menace ruine, car, comme le souligne Jean-Paul Chatry, qui a participé au nom d'EDF aux études techniques du nouveau projet, "c'est un vrai Lego, dont le toit ne tient que sur deux poutres, et dont la dalle, comme le sol est sablonneux, a tendance à s'affaisser".
Ensuite, de l'eau s'est accumulée dans les parties basses de la structure qui pourrait atteindre la nappe phréatique. Enfin, la poussière radioactive piégée dans la structure actuelle - près de 4 tonnes selon la direction de la centrale - pourrait s'échapper.
Les Occidentaux espéraient signer l'engagement des travaux de la nouvelle enceinte avant le 26 avril et tourner ainsi la page sur cette catastrophe. Mais l'on n'attend pas d'accord imminent entre le gouvernement ukrainien et la BERD (Banque européenne de reconstruction et de développement), qui gère les quelque 850 millions d'euros alloués par les pays occidentaux pour réaliser ce travail.
Pourtant, le projet technique est bien défini. Elaboré à la suite d'un concours d'idées lancé en 1992, il a conduit après diverses péripéties au lancement en 2004 d'un appel d'offres. Deux consortiums, l'un conduit par une firme américaine, CH2M Hill, l'autre par deux entreprises françaises, Bouygues et Vinci, ont remis leurs dossiers à l'automne 2005.
Il s'agit de construire une arche de 260 m de portée, 108 m de hauteur et 150 m de longueur qui recouvrira le réacteur détruit. Pour limiter l'exposition des ouvriers à la radioactivité - 80 milliSievert par heure sur le toit du réacteur -, cette structure sera assemblée par morceaux à 200 m du réacteur détruit. Ceux-ci seront ensuite poussés progressivement par des vérins au-dessus des restes de la centrale en glissant sur des rails de béton. Quand l'arche sera installée, la déconstruction interne pourra commencer. L'arche sera constituée d'une double peau de métal, assurant une bonne isolation thermique. Elle est prévue pour durer une centaine d'années.
Si les industriels et la BERD considèrent que l'affaire pourrait être réglée maintenant, la partie ukrainienne, qui assurera la maîtrise d'ouvrage, n'est pas décidée. "Le comité d'appel d'offres n'a pas un avis unanime. Il y a encore une divergence technique", indique à Kiev Vladimir Kolocha, vice-ministre des situations d'urgence.
Le problème est surtout politique. Il faut d'abord attendre que les circuits de décision, bousculés par les élections de mars 2005, se stabilisent. La décision à prendre relève aussi de la politique étrangère. La sélection d'un des deux consortiums revient à choisir entre l'Europe et les Etats-Unis, deux alliés également précieux pour Kiev. Enfin, tant les observateurs extérieurs que des personnalités ukrainiennes pensent que la corruption complique la prise de décision. "Ceux qui sont impliqués dans le processus sont surtout intéressés par le flot d'argent", dénonce Vladimir Usatenko, ancien liquidateur et député au Parlement ukrainien jusqu'en 2001.
Cette suspicion explique que nombreux sont ceux en Ukraine qui pensent qu'une solution plus économique aurait été possible. Ils contestent qu'il reste beaucoup de matière radioactive dans le réacteur et, donc, que les problèmes de sécurité soient très importants.
Officiellement, le réacteur contient encore près de 95 % du combustible originel, soit 190 tonnes. Mais, selon le président d'une association de liquidateurs, Georgi Lépine, "il ne reste que moins de 10 % du combustible".
Fin mars, le vice-président de la BERD, Fabrizio Saccomanni, reconnaissait que la réalisation du nouveau sarcophage "était plus compliquée qu'anticipé". Sans doute un euphémisme.
Hervé Kempf
Article paru dans l'édition du 27.04.06