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Les livreurs de curies se fournissaient en Russie
16-02-2012
Dernière mise à jour : ( 16-02-2012 )
Situé dans l’Oural, le réacteur de Beloyarsk produit un Carbone 14 très convoité sur un marché mondial restreint. DR
L’ingénieur Jean-Pierre Frideling, renvoyé en correctionnelle avec sa fille pour un trafic de sources radioactives destinées à des firmes US et des laboratoires pharmaceutiques.
Au terme de quatre ans d’investigations des juges du pôle santé publique du parquet de Marseille, deux scientifiques sont renvoyés en correctionnelle pour une filière d’import-export de sources radioactives en provenance de Russie entre 2004 et 2007. Du Carbone 14 livré à des firmes pharmaceutiques américaines, anglaises, allemandes, suisses et moindrement en France.
Embargo américain, nébuleuses et pots de vin
L’ingénieur chimiste Jean-Pierre Frideling, 64 ans, et sa fille Aline Frideling, 37 ans, docteur en chimie, brièvement écroués, sont poursuivis notamment pour exercice d’activité nucléaire sans autorisation, publicité sur les radioéléments artificiels, abandon de déchets dangereux, mise en danger de la vie d’autrui. Ils ont contaminé un labo de la faculté des sciences de Saint-Jérôme où ils dissimulaient leurs activités.
Le circuit passait par des sociétés écran. Il a permis à des firmes US en particulier de déjouer l’embargo de Washington qui frappait depuis 1999 un réacteur de recherche russe situé en Oural accusé de détournements de matières radioactives (notre enquête des 30 juin 2009 et 2 juillet 2009).
Frideling passait commande de C14 par téléphone à deux entités liées au complexe nucléaire de Beloyarsk en Oural (SF Nikiet et FSUE INM). L’ingénieur français a versé plus de 100 000 euros de dessous de table au physicien Vladimir Barsanov, oligarque d’un institut stratégique dépendant du réacteur qui produit du C14. Il en coûtait 0,55 dollar US par millicurie vendu. Les pots de vin étaient versés sur un compte off-shore à Belize.
« On a fait deux trois petites erreurs »
Jean-Pierre Frideling n’est pas inconnu. Le livreur de curies qui vit à Manosque a été condamné en 2006 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à un an de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende : il avait abandonné des matières radioactives dans une villa de Ganagobie où sa société Isotopchim se livrait au marquage périlleux d’isotopes radioactifs. La dépollution du site orphelin coûtera 3 millions d’euros.
« Si j’étais coupable, je regretterais. Mais y a pas grand chose qui tient. Ganagobie, ça n’a rien à voir. Bon, on a fait deux trois petites erreurs. On n’a pas rangé le laboratoire comme il fallait. On n’a jamais utilisé de radioactivité. Ah si je savais d’où les traces de C14 viennent ! », nous a répondu M. Frideling, joint hier par téléphone. « J’ai tout arrêté. J’ai besoin de paix maintenant. Cette affaire m’a tellement fait de tort. » Sa nouvelle société créée en juillet dernier ? « De temps en temps, je donne des conseils... J’ai eu des contacts mais rien ne s’est fait », toussote le prévenu.
Une start-up pour faux nez
L’ingénieur nie avoir dissout Isotopchim en 2000 pour rebondir sur le campus de Saint-Jérôme où sa fille, doctorante, bénéficiait d’un local à loyer modéré. Sa start-up, Innovation Chimie Fine, a servi de faux nez aux activités paternelles. « L’objectif poursuivi était manifestement de continuer l’activité d’Isotopchim », écrit le juge d’instruction Annaïck Le Goff qui relativise le rôle de la fille.
L’ancien technicien du CEA de Saclay était bien « le seul à avoir des contacts avec les fournisseurs russes de Carbone 14 ». Du temps de Ganagobie - pas loin du CEA de Cadarache, un client resté fidèle*- il employait deux salariés russes.
Colis chauds re-étiquetés
Les juges d’instruction confirment le recours de Frideling à des sociétés écran : Kalab’S System, à Marseille pour des fausses factures, Dislab’S dans l’Essonne avec un ancien salarié d’Isotopchim à sa tête. « Il avait également pour projet d’importer des produits fortement radioactifs », a révélé ce dernier. Dislab’S réceptionnait les « colis chauds » envoyés par les Russes. Pas de souci de douanes. On changeait les étiquettes pour livrer American Radiolabeled Chemicals (Missouri) et Moravek Biochemicals (Floride), Blychem et Selcia au Royaume-Uni.
Des laboratoires français ? Des chercheurs du CEA de Saclay ont reçu des offres. L’hôpital Saint-Louis a acheté pour 37 000 euros de C14. Le laboratoire Avogadro de Fontenilles (Haute-Garonne) a passé commande de Tritium (élément nucléaire classé « défense ») mais le colis est resté bloqué sur l’aéroport de Toulouse-Blagnac. « Ces éléments viennent confirmer le fait que la société ICF s’est bien livrée à une activité nucléaire sur le territoire national sans en avoir l’autorisation », conclut l’ordonnance taiseuse sur les profits dégagés.
DAVID COQUILLE
* Le chimiste pollueur était associé à un programme de recherches du CEA sur… « la réduction de la nocivité des déchets radioactifs de haute activité »!