Éolien flottant : la réalisation des fermes pilotes françaises sous tension
Covid, guerre en Ukraine, inflation, le développement des fermes pilotes d’éolien flottant en France n’a pas été épargné par ces événements. Qair, porteur de l’un des trois projets attribués par l’Ademe en 2016, ne cache pas qu’il pourrait jeter l’éponge.
Alors que les premiers éléments de la ferme pilote d’éolien flottant Eolmed sont entreposés sur les quais de Port-la-Nouvelle, le projet pourrait bien s’arrêter. | DR
Loïc FABRÈGUES 29 avril 2024 Le marin
Si nous commençons à recevoir les créances de nos sous-traitants, en juin, le projet s’arrêtera et nous sommes loin d’être à l’eau. Olivier Guiraud, le directeur du développement des énergies marines renouvelables (EMR) chez Qair, ne veut plus perdre de temps. Le coût du projet Eolmed de trois éoliennes flottantes de 10 MW chacune au large de Gruissan, en Occitanie, porté par Qair, dépasse les possibilités de financement. Les banques nous ont accordé 323 millions d’euros et elles n’iront pas au-delà , prévient-il, rappelant que le projet a été financé en 2022 sans recours.
Quand le projet a été attribué par l’Ademe en 2016, le montant prévisionnel était de 212 millions d’euros. Le covid, la guerre en Ukraine, l’inflation en ont fait depuis exploser la facture. Non seulement par la hausse des coûts sur chacun des postes à commencer par celui des matières premières mais aussi par les conséquences sur le délai de réalisation du projet. Le chantier a pris un an de retard et chaque mois qui passe cela coûte 1,5 million d’euros supplémentaires en frais fixes , relève Olivier Guiraud.
Une mesure d’urgence déjà consentie
Avec Ocean winds et EDF Renouvelables, attributaires, eux aussi, d’un projet de ferme pilote en Méditerranée, Qair a écrit, en février, au gouvernement pour faire part de la situation et demander une indexation du tarif de rachat de l’électricité pour leurs projets, fixé à 240 euros le MWh en 2016. L’État a pris des mesures d’urgence pour toutes les énergies renouvelables. Tous les projets ont bénéficié de cette indexation K qui vient rattraper les incidents de parcours durant la phase de développement. Je pense qu’ils nous ont oubliés , explique le directeur des EMR chez Qair.
L’oubli semble néanmoins difficile à rattraper puisque rien n’a bougé depuis février au niveau des services de l’État. On nous oppose des sujets juridiques et que cela coûterait cher. Je rappelle qu’à l’époque des 240 euros, le prix de gros de l’électricité était de 40 euros, il est aujourd’hui à 80 voire 90 euros le MWh , souligne Olivier Guiraud.
Un taux de retour sur investissement en chute
Ce tarif d’achat devait, par ailleurs, assurer un taux de retour sur investissement (TRI). Le TRI cible pour Eolmed était entre 6 et 9 %. Il est proche de zéro à la sortie du chantier et nous ne sommes pas à l’abri d’un problème durant les 20 ans d’exploitation de la ferme. Ce que nous demandons est de retrouver ce TRI, que la Commission européenne a jugé proportionné , indique Olivier Guiraud. Sans cet accord, les répercussions pourraient être importantes. L’arrêt du projet n’impactera pas seulement Qair mais aussi nos sous-traitants, Archimed (la coentreprise de Matière et Ponticelli), Bourbon, Vestas. Ces projets de ferme pilote étaient là aussi pour construire une filière française de l’éolien flottant , rappelle-t-il.
Cette filière devra se structurer dans la difficulté. La situation est compliquée pour nous et nos sous-traitants , indique Dominique Moniot chez Ocean winds, la coentreprise d’Engie et d’EDPR qui porte le projet Éoliennes flottantes du golfe du Lion au large de Leucate. Nous ne sommes pas à tout arrêter. Le travail d’assemblage des flotteurs se poursuit chez Eiffage métal à Fos où tous les éléments sont arrivés. Mais les surcoûts et les retards font que l’économie du projet est plus compliquée.
Un équilibre économique à retrouver pour tous les projets
Seule des trois fermes en cours de développement à être déjà installée, Provence grand large (PGL), portée par EDF Renouvelables, pourrait paraître mieux lotie. Pourtant, il ne faut pas croire que PGL sort indemne de cette situation de forte inflation que nous avons prise de plein fouet. Heureusement que nous avons un développeur qui a les reins solides, aujourd’hui l’équilibre financier du projet n’y est plus , indique Christine de Jouëtte, la directrice du projet chez EDF Renouvelables. De quoi s’inquiéter alors que s’ouvre pour une durée de 20 ans la phase d’exploitation de la ferme, qui n’est pas à l’abri d’un cas de maintenance lourde avec retour au port d’une éolienne , souligne-t-elle.