La concurrence à l'assaut des barrages d'EdF
Les grands énergéticiens européens sont sur les rangs. Le cinquième du potentiel hydroélectrique français, détenu à 80% par EdF, pourrait changer de mains dans les cinq ans à venir.
Usine Nouvelle 10 Fev 2010
L’exploitation des barrages hydroélectriques en France est à la veille d’un grand bouleversement. EdF, l’opérateur historique, et GdF Suez, le deuxième producteur hexagonal de « houille blanche », s’apprêtent à faire face à une rude concurrence. Celle des grands énergéticiens européens soucieux d’étendre leur territoire. Après des mois d’atermoiements, la bataille est imminente. La France va ouvrir à la concurrence 20% de son parc hydroélectrique. Au point de susciter l’inquiétude des élus locaux, comme Martin Malvy, le président (PS) du conseil régional de Midi- Pyrénées, qui vient d’adresser une lettre ouverte au ministre de l’Ecologie, Jean-Louis Borloo, pour en savoir plus sur les futurs concessionnaires.
Augmenter la production hydraulique de 10%
Concrètement, les concessions de certains barrages arrivent à leur terme. La loi impose que leur renouvellement ne soit pas automatique. Les droits d’exploitation doivent faire l’objet d’appels d’offres publics. Cette mise en concurrence répond à un double objectif: d’une part, mettre la France en accord avec l’ouverture du marché de l’énergie imposée par l’Union européenne et, d’autre part, augmenter la production hydraulique de 10%, afin d’atteindre 23% d’électricité produite à partir de sources renouvelables en 2020, comme l’a demandé le gouvernement. Comme tous les sites potentiels sont d’ores et déjà équipés, il s’agit d’améliorer le rendement des installations existantes.
Mieux exploiter la dynamique des rivières
Quelque 399 barrages sont concernés: 81% sont exploités par EdF et 12% par GdF Suez à travers la Shem (Société hydroélectrique du Midi) et la CNR (Compagnie nationale du Rhône). Ces grands barrages représentent 95% de la puissance hydroélectrique française (25000MW). D’ici à 2015, le cinquième (5300MW) sera mis en concurrence, à travers trois appels d’offres concernant la Truyère et la Dordogne en Auvergne et le Drac en Rhône-Alpes.
La mise en concession par vallée, plutôt que par barrage, permettra de mieux exploiter la dynamique des rivières sur lesquelles se succèdent les usines. Les conditions d’attribution des concessions seront connues dans les mois qui viennent. L’appel d’offres, qui devait être lancé fin 2009, le sera finalement en 2011. Henri Ducré, en charge de la branche énergie France de GdF Suez, espère que « le calendrier sera tenu pour une attribution en 2015 ». Si GdF Suez est le premier intéressé, c’est que le groupe est déjà le deuxième producteur français (3 700MW). Le concurrent d’EdF compte sur une harmonisation des traitements. Sa filiale CNR verse une redevance à l’Etat alors qu’EdF ne le fait pas.
Autre concurrence déclarée: le norvégien Statkraft, premier producteur européen d’énergies renouvelables (lire ci-dessous), qui exploite 225 centrales hydrauliques en Norvège, en Suède, en Allemagne, en Finlande et au Royaume-Uni. Egalement intéressé, l’autrichien Verbund, actionnaire à 48% du français Poweo, a récupéré, en 2008, treize barrages allemands d’une puissance de 312MW, propriétés d’E.ON.
Ce dernier, qui avait déjà cédé 934MW d’hydroélectricité en Suède à Statkraft, souhaite acquérir des actifs en France. Le groupe n’hésite pas à mettre en avant sa « rigueur toute allemande » en matière d’entretien et de respect de l’environnement. E.ON, qui a pour objectif de produire 36%d’électricité issue de sources renouvelables en 2030, compte sur les barrages français pour y parvenir. Autres concurrents, beaucoup plus discrets: l’italien Enel, l’espagnol Iberdrola et l’allemand Vattenfall... Le canadien Hydro- Québec est le seul opérateur à démentir son intérêt pour le marché français. Il va de soi que la mise en concurrence intéresse l’ensemble des sous-traitants d’EdF qui verront leur marché profondément modifié.
Un grand nombre d'acteurs intéressés
Jean-Pierre Rodriguez, le directeur de la stratégie du groupe Altawest, attributaire de contrats sur les barrages d’EdF, ne s’en émeut pas: « Si demain, des producteurs privés s’intéressent aux barrages français, ils deviendront autant de clients potentiels. En hydroélectricité, la compétence est locale. » Pierre Neveux, le directeur général de Maïa Power, est plus prudent: « L’arrivée de sous-traitants étrangers ne crée pas une situation nouvelle car nous évoluons déjà sur un marché globalisé. Mais, jusqu’à maintenant, l’opérateur historique qualifiait plutôt des acteurs nationaux. » Maïa s’intéresse directement aux concessions: « Nous participerons à notre niveau à cette mise en concurrence, même si ce sont les majors qui mèneront la partie. »
« Nous ne sommes pas surpris qu’un tel nombre d’acteurs soit intéressé. A mesure que la procédure avancera, il y en aura beaucoup plus », assure Jean-François Astolfi, le directeur de la division production et ingénierie hydraulique d’EdF. Le champion tricolore, qui a beaucoup à perdre, se dit prêt à se battre sur chaque concession. Depuis 2007, il a engagé le plan SuperHydro, doté de 560 millions d’euros jusqu’en 2011, pour rénover une partie de son parc hydraulique qui avait été délaissé pendant dix ans. Le groupe prépare également, dans la plus grande discrétion, un plan, baptisé RenouvEau, dans le but de mieux structurer l’exploitation de ses barrages, et pour s’appuyer, à l’avenir, sur ses plus gros fournisseurs.
Trois critères à respecter
EdF s’aligne, par avance, sur les critères que devront respecter les concessionnaires candidats. Il y en a trois: investir pour augmenter la production, réduire l’impact environnemental et accepter le principe d’une redevance. GdF Suez souhaite que cette dernière ne dépasse pas 30% du chiffre d’affaires. Elle se situerait, in fine, autour de 25%. Ces éléments étant fixés, restent encore deux points à régler. D’une part, quel sera le devenir des salariés attachés à chaque barrage, en cas d’attribution à un nouveau concessionnaire? D’autre part, les appels d’offres portent sur plusieurs ouvrages d’une même vallée. Comment seront indemnisés les exploitants des barrages non encore arrivés au terme de leur concession et qui seront réattribués ?
Un impératif: conserver une grande réactivité
Une fois lancée, la procédure de mise en concurrence sera encore longue avant que les premiers ouvrages ne changent éventuellement de propriétaires. Quoi qu’il en soit, la gestion du parc hydraulique français devra conserver une grande réactivité pour faire face aux variations brutales et aux pics de consommation. La production hydraulique est la forme d’énergie la plus flexible et l’une des moins polluantes. Un barrage peut en quelques minutes passer d’une production nulle à sa pleine puissance. L’hydroélectricité est un réel outil de pilotage du réseau électrique. Les pouvoirs publics veilleront, à n’en pas douter, à ce qu’elle ne tombe pas dans de mauvaises mains.