Re: Bio-raffineries / Bio-plastiques / Chimie verte
Publié : 07 mai 2018, 19:36
Violente charge de la revue Capital envers Fermentalg :
https://www.capital.fr/entreprises-marc ... on-1286710Fermentalg : comment une biotech a levé 110 millions avec des projets bidon
Publié le 07/05/2018 capital.fr
Elle promettait de faire des miracles avec les microalgues. Mais, après avoir récupéré des financements colossaux, cette start-up, basée près de Bordeaux, peine à concrétiser.
Au 4, rue Rivière, à Libourne, l’usine de Fermentalg a belle allure. Habillage bois, touches colorées bleues et vertes, un écrin parfait pour une jeune pousse de la greentech. Mais, quand on demande à la visiter, le P-DG, Philippe Lavielle, oppose un refus poli mais ferme. Cacherait-elle des procédés top secret ? Non. Le bâtiment, érigé en 2016 pour la bagatelle de 10 millions d’euros, est tout simplement vide. Fermentalg promettait d’industrialiser la fabrication de microalgues. Et, grâce à elles, de produire en masse des molécules magiques, DHA 350 contre le vieillissement ou oméga 6 pour la nutrition. Mais à ce jour, ses projets ont tourné court. Pourtant, ce ne sont pas les moyens qui lui ont manqué : depuis sa création, cette biotech a réussi à collecter 110 millions d’euros, dont pas mal d’argent public. Ses fondateurs ont-ils berné tout le monde ? Les documents secrets recueillis par Capital amènent à s’interroger.
Quand il a créé l'entreprise, en 2009, Pierre Calleja, docteur en biotechnologie de l’université de Compiègne, semblait cocher toutes les cases pour séduire les investisseurs : une technologie de rupture, la "mixotrophie à dominante hétérotrophe", qui consiste à faire pousser des algues dans des fermenteurs soumis à des flashs de lumière ; une équipe scientifique internationale ; enfin, des promesses de débouchés innombrables, dans l’alimentation animale, la cosmétique, les biocarburants. Sur la foi de cet avenir tout bio, Fermentalg a fait le plein de financements : auprès de la région Aquitaine, de la Banque publique d’investissement Bpifrance, des fonds de capital-risque et, pour finir, de la Bourse. Le 16 mai 2014, le P-DG annonçait ainsi une mise en production imminente, alors qu’il venait de lever 40 millions d’euros sur l’Euronext. Introduite à 9 euros l’action, la biotech est depuis tombée à 3 euros. Mais, fin 2015, Pierre Calleja, incapable de tenir ses promesses successives, était écarté. Un nouveau P-DG, Philippe Lavielle, lui succédait en novembre 2016, avec un objectif : sauver les meubles. Rencontré par Capital, il affirme que désormais tout est sur de bons rails.
Fermentalg : la grandeur et la décadence en un temps éclair
•Création en 2009 en vue de produire des huiles et des protéines à partir de microalgues.
•Cotation sur Eurnonext en 2014, lui permettant de lever 40 millions d'euros.
•Départ forcé fin 2015 du fondateur, non sans de confortables indemnités.
•Arrêt courant 2016 de projets industriels les plus emblématiques.
Doutes sur les brevets et les projets
Pour l’heure, Fermentalg collectionne les projets avortés. Son plan phare de production à bas coût de microalgues, démarré en 2011, s’est achevé en août 2016. Le programme Prolealg, lancé en 2011, pour produire le DHA 350, une huile riche en acides gras essentiels au développement du cerveau , monté avec le géant Sofiprotéol, a été abandonné en 2016. Ce partenaire a eu en effet des doutes sur "la capacité de Fermentalg à assurer la production et la logistique de ce produit de manière pérenne et à un niveau de coût compétitif ". Même punition pour Polaralg, visant à produire et à commercialiser des oméga 6 pour la nutrition humaine. Enfin, Trans’Alg, un projet classé investissement d’avenir, en chimie verte et biocarburants, n’a pas davantage abouti.
Cette succession d'échecs amène à s’interroger sur le sérieux des brevets de Fermentalg. La direction elle-même a été saisie d’un doute, en demandant un audit au directeur scientifique, Hywel Griffiths. Dans son mémorandum du 10 février 2016, celui-ci se dit "consterné". "La plupart, si ce n’est la totalité, des brevets déposés avant 2013 étaient moins solides que ce que l’on imaginait", écrit-il. Le scientifique procède alors "au retrait de six brevets qui risquaient de causer de graves préjudices à la réputation scientifique ou commerciale de la société (…)".
Un salarié chargé de la propriété intellectuelle chez Fermentalg témoigne par écrit de curieuses directives du management jusqu’en 2012 : "Même si les équipes techniques exprimaient des réserves sur les fondements ou la véracité des éléments scientifiques, cela n’a jamais remis en cause le dépôt d’un brevet." Autrement dit, ce n’était pas une question de science, mais de stratégie commerciale. Quant à la "mixotrophie à dominante hétérotrophe", elle semble tout simplement bidon. Le directeur scientifique lui-même le pense : "Elle n’a pas d’effet de stimulation de la croissance particulièrement pertinent sur le plan industriel», écrit-il. Au Japon et aux Etats-Unis, le brevet a été refusé. De là à penser que le fondateur Pierre Calleja et, à travers lui, la société ont menti, il y a un pas que certains ont déjà franchi.
Dysfonctionnements signalés
Arrivé comme directeur financier fin 2015, Andrew Echatti a estimé qu’il était de son devoir de donner l’alerte. En juin 2017, il a écrit au parquet national financier ainsi qu’à l’Autorité des marchés financiers (AMF), en dressant une liste de faits "susceptibles de constituer plusieurs manquements aux obligations du Code monétaire et financier". Chose surprenante, l’AMF a autorisé une nouvelle levée de fonds de 12,6 millions d’euros en octobre 2017. Contacté par Capital, le gendarme financier n’a pas répondu. Dans son signalement, Andrew Echatti (il a été licencié pour avoir dénoncé en interne ces dysfonctionnements) pointe en particulier les communiqués parfois trompeurs de Fermentalg. Ce que confirme le courrier du 23 mai 2016 d’Oleon, filiale de Sofiprotéol : "Les annonces dans la presse annonçant qu’Oleon allait commercialiser le DHA produit par Fermentalg, nous obligent à réitérer formellement notre demande pour que cesse toute communication de ce type."
Dans la même veine, Polaris, un spécialiste de la nutrition santé, s’est plaint par lettre d’avocat, le 11 février 2016, intimant l’ordre à Fermentalg "de retirer sans délai toute référence à un partenariat de sa documentation commerciale". Ce qui fut fait. Enfin, un audit pénal réalisé par le cabinet d’avocats Hogan Lovells, à la demande de Fermentalg, mentionne plusieurs gros risques concernant Pierre Calleja : délit d’initié (il a cédé beaucoup d’actions entre juillet 2015 et juin 2016, à une période où la société connaissait des difficultés inconnues du public) et abus de bien social (il a fait racheter sa maison par l’entreprise), notamment.
Relations et subventions
Alors comment tout le monde a-t-il pu être dupe ? Difficile de répondre. D’abord, Pierre Calleja a pu compter sur le soutien du président de la région, Alain Rousset. En avril 2016, l’élu a ainsi "sommé Bruno Heuclin, le directeur régional de Bpifrance, de réagir" pour sauver Fermentalg, selon un article du quotidien Sud Ouest. Interrogé par nos soins sur ses relations avec Pierre Calleja, Alain Rousset a déclaré ceci : "J’ai beaucoup d’amis chefs d’entreprise. Disons que je le connais un peu mieux que d’autres." Toutefois, la région a bloqué le versement de la seconde tranche de subventions pour l’usine. De son côté, Bpifrance, qui siège au conseil d’administration de la biotech, s’est-elle fait tordre le bras ? La banque jure que non et minimise la gravité de la situation.
Fermentalg peut-elle rebondir ? La biotech assure disposer de 26 familles de brevets et d’une riche souchothèque de microalgues. Elle promet pour bientôt la commercialisation de son DHA 350, avec un nouveau partenaire, ARD. Un projet de colorant alimentaire a fait l’objet d’un accord de co-développement de trois ans avec le japonais DIC Corporation. A plus longue échéance, elle travaille avec Suez sur la mise au point de puits de carbone grâce aux microalgues. Pour motiver les équipes, la société a décidé l’an dernier d’attribuer un maximum d’un million d’actions gratuites à ses salariés et aux mandataires sociaux. 250.000 ont déjà été offertes le 1er janvier 2018 au P-DG, Philippe Lavielle. Même à 3 euros l’action, cela fait une belle somme.
Par Jacques Duplessy et Guillaume de Morant