A condition qu'un décroissant peut être scientiste sur des niches sectoriels comme le nucléaire, alors Jancovici est un décroissant (non idéologue).Jean-Marc Jancovici, pessimiste mais pas désespéré
L'homme a la singularité d'agacer à peu près tout le monde. Les écologistes radicaux, qui ne l'aiment guère, le qualifient parfois de "VRP attitré de l'industrie nucléaire". Hélas, Jean-Marc Jancovici n'est pas plus en cour auprès des économistes libéraux : le fâcheux plaide en faveur d'une taxe et ose questionner le dogme de la croissance.
Scientiste et nucléariste pour les uns; dangereux décroissant néomalthusien pour les autres. Le conseiller énergie-climat de Nicolas Hulot, polytechnicien et père du bilan carbone, n'est rien de cela. L'homme n'entre dans aucune case et assure n'avoir qu'une idéologie : "Celle des chiffres."
C'est, sans doute, l'un des secrets de sa percée médiatique. Depuis près de six ans, il écume les plateaux de télévision. Pas pour la gloriole : "Pour la cause", dit-il. Pour prêcher, inlassablement, à contre-courant de l'opinion et du monde politique, les vertus de la "fiscalité croissante sur les combustibles fossiles". Unique manière, selon lui, d'affronter le double choc qui vient : raréfaction du pétrole et changement climatique.
Autant l'avouer, la parole portée par "Janco" – comme on le surnomme parfois dans les rédactions – est assez déprimante. Voire franchement noire. Dans un avenir tout proche –moins de trente ans–, la production mondiale de pétrole atteint son maximum, puis décroît inexorablement. Les prix de l'énergie s'envolent, toujours plus vite. Les économies entrent en récession. Partout, les classes moyennes s'appauvrissent. Le réchauffement climatique s'en mêle : il achève de fragiliser les régions les plus pauvres du globe.
Face à la pression migratoire qui s'accentue aux portes de l'Europe et de l'Amérique du Nord, les grandes démocraties sont tentées par la dérive autoritaire… etc. Voilà, résumé à gros traits, le scénario redouté par Jean-Marc Jancovici.
Mais, pour comprendre le fond de sa pensée, il faut lire ses deux livres de chevet : le rapport du Club de Rome publié en 1972 sur les limites de la croissance et le célèbre De la démocratie en Amérique, d'Alexis de Tocqueville. Qu'on ne se méprenne pas, Jean-Marc Jancovici est pessimiste, pas complètement désespéré; il a même deux enfants.
"UN PETIT INGÉNIEUR"
Disqualifié à force de catastrophisme ? Voire. Le conseiller de Nicolas Hulot n'est pas réductible à une Cassandre médiatique. Inventeur du bilan carbone – l'outil d'évaluation de la contribution à l'effet de serre et de la dépendance aux combustibles fossiles –, il vient aussi de cofonder Carbone4, le premier cabinet de conseil en stratégie carbone.
Né à Paris en 1962, il fait une partie de ses études à Grenoble où son père, physicien, est nommé à un poste de professeur. Il revient dans la capitale achever le cursus classique des matheux qui ont quelques facilités avec les chiffres : mathématiques spéciales au lycée Louis-le-Grand, puis admission à Polytechnique et un passage à Télécom Paris.
Avec un tel pedigree, son parcours professionnel aurait pu être plus clinquant, et certains de ses camarades de promotion ont aujourd'hui des titres ronflants. Lui, se définit toujours, avec un peu de coquetterie, comme "un petit ingénieur".
C'est par hasard qu'il tombe "dans ces histoires d'énergie et de climat", à la fin des années 1990, alors qu'il travaille pour France Télécom sur les modèles économiques de la télé-médecine, du télé-enseignement, du télétravail… "Or, s'intéresser, raconte-t-il, aux raisons pour lesquelles les gens seraient amenés à faire à distance ce qu'ils font d'habitude en se déplaçant, c'est aussi se poser des questions sur les transports, donc l'énergie." Et, par conséquence, sur le réchauffement. Pour le compte de l'association des anciens élèves de l'X, il organise un cycle de conférences avec les climatologues Hervé LeTreut et Jean Jouzel.
Par l'entremise du philosophe Dominique Bourg, il rencontre Nicolas Hulot. L'idée de défendre une cause fait son chemin. Mais donner l'alerte sur les périls climatique et énergétique devient, aussi, un métier. En 2000, il est allé voir l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) pour proposer de développer un outil de mesure des émissions.
"Cela n'existait pas, dit-il. Moi qui n'y connaissais alors pas grand-chose, j'ai eu la chance d'être le borgne au pays des aveugles et de développer ce qui allait devenir le bilan carbone." D'abord outil de gestion environnementale, le bilan carbone devient aussi, au fil du temps, "un instrument de réflexion stratégique" pour les entreprises qui peuvent ainsi mesurer "à quelle distance elles sont du problème". Et imaginer les moyens de réorganiser leur activité pour y faire face.
"SCHIZOPHRÉNIE"
Alors que l'Energy Watch Group (EWG) vient d'annoncer, lundi 22 octobre, que le pic de production pétrolière mondiale avait été atteint en 2006, l'activité de conseil en entreprise de Jean-Marc Jancovici se porte plutôt bien. Selon lui, "le niveau de prise de conscience est très élevé chez certains patrons".
Ce début de prise de conscience est-il partagé par le monde politique ? Le Grenelle de l'environnement est-il le début d'une victoire ? "La victoire, ce sera quand 51 % des Français seront favorables à une surtaxe progressive sur les combustibles fossiles", répond-il. D'autant que le message du Grenelle est, selon lui, brouillé par les travaux de la commission pour la libération de la croissance, dirigée par Jacques Attali."On atteint là un summum dans la schizophrénie", plaisante-t-il. Dans la lettre de mission de M. Attali, il n'y a ni le mot environnement, ni le mot climat, ni le mot ressources."
Jean-Marc Jancovici est-il écologiste ? "Ça ne veut rien dire." Le nucléaire ? "Pas le choix. On garde le nucléaire et on passe à autre chose." La croissance ? "Il faut faire décroître notre consommation de combustibles fossiles, nous n'avons pas le choix. C'est une question de contraintes physiques."
Oui, mais la croissance avec un grand "C" ? Dans la dernière livraison de la revue La Jaune et la Rouge, il argumente que la tertiarisation de l'économie est insuffisante pour déconnecter les flux matériels de la croissance. Qu'en conclusion la croissance économique n'est pas plus durable que tenable.
Décroissant,"Janco" ? Il s'en sort par un artifice comptable – une astuce de calcul qui sied bien au polytechnicien et qu'il détaille dans son dernier livre (Le plein s'il vous plaît, Seuil, 2006). Il suffirait, en somme, d'intégrer la hausse des prix à la notion de croissance. Hérésie économique ! Car la croissance ainsi calculée pourrait être positive, concède-t-il, "quand bien même la ménagère verrait son pouvoir d'achat diminuer". Rien, en somme, ne sépare Jean-Marc Jancovici de la décroissance : à peine la politesse des chiffres.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 716,0.html
Mais je boude pas mon plaisir de le voir gifler les terreplatistes des médias par le poids des chiffres qu'il manie si bien, tout en gardant son pull des années 80. Les ringards, c'est eux.
Un gars atypique, finalement très attachant, et quelques fois très énervant.