Stéphane, je te remercie de ton message, et du lien vers le rapport ASPO aux Pays-Bas. Je ne passe plus beaucoup de temps sur le forum, par manque de temps d’abord, et aussi parce que cela part dans tous les sens, ce qui, pour quelqu’un de ma génération, est dur à suivre.
Le rapport ASPO aux Pays-Bas contient un graphique qui explicite parfaitement ce que j’exprimais plus maladroitement avec mes histoires de convexité et de concavité. Il s’agit du graphique de la figure 6, page 21, qui montre clairement un point d’inflexion situé vers 2007-2008. Désolé, je ne sais pas comment insérer l'image en question dans mon post, je vous renverrai donc vers le rapport en question.

La courbe qui limite l’aire en bleu métallisé commence par être convexe, reflétant l’évolution exponentielle de la demande. Le point d’inflexion dont je parlais (passage d’une courbe convexe à une courbe concave) est forcément proche. A une ou deux années près, les Hollandais ont une vue semblable à la mienne. Mieux, leur courbe suppose un monde idéal. Ils en ont une autre qui fait intervenir des perturbations diverses, grèves, accidents, ouragans, retards, etc., facteurs qui rapprochent de nous ce point d’inflexion.
L’explication est donnée dans les conclusions de la page 51 : « Supply and demand balance – Maximum possible average production growth in the period 2005-2010 lies around 1.5%, a far lower level then the years 2003 (3.51%) and 2004 (4.16%). This means that oil production growth levels like those in 2003 and 2004 will not be able to continue ».
Je maintiens mon pronostic que nous allons arriver prochainement (fin 2006 reste un pronostic valable) à cette rupture, qui va exiger une destruction de la demande de pétrole, par augmentation très significative du prix, du fait du peu d’élasticité de la demande aux prix.
Puisque je parle de la demande de pétrole, je voudrais ajouter le commentaire suivant, inspiré du graphique de SHELL (page 28 du même rapport) sur le gisement d’Urdaneta (Vénézuela, lac Maracaïbo).

Chaque technique nouvelle utilisée demande de plus en plus d’énergie pour sa mise en œuvre. On peut parler d’autoconsommation. L’énergie consommée sera le plus souvent comptabilisée dans la demande pétrolière mondiale, dans la mesure où il est généralement fait appel aux produits finis, le diesel principalement. Les travaux pour le maintien du niveau de la production sur le gisement d’Urdaneta, par exemple, augmentent la demande de pétrole. Le jour où il faudra détruire de la demande, ce ne sera pas sur Urdaneta ou ses semblables qu’on le fera. SHELL n’aura aucune difficulté pour payer plus cher son diesel puisqu’il vendra plus cher son pétrole. Bien évidemment, les extractions nécessitant encore plus d’énergie, comme les sables bitumineux de l’Athabasca et autres pétroles non conventionnels, auront un impact encore plus fort sur la demande… Au bout du compte, la destruction de demande sera supportée par le client final, occupant chauffé au fuel ou automobiliste.
Les Hollandais partagent visiblement cette opinion sur la nécessaire destruction de demande, si l’on en croit leur conclusion de la page 51 : « Sharp Prices increases – Because of little to zero spare capacity on the market, any oil disruption due to political, economical or natural events will have a profound effect on oil prices. A global oil shock owing to rising oil prices is likely in the period 2005-2010. At the very least, the current tightness in the international oil market will persevere. After 2010, continued price increases will become a structural problem if the current reliance on oil is maintained ».
Pour revenir sur l’offre de pétrole, je me permettrai deux commentaires.
Le premier commentaire concerne les NGL. Il s’agit des liquides associés au gaz naturel et extraits avec lui. C’est un terme mal défini (taper « define:Natural gas liquids » sur Google !). Mais les pétroliers savent que le rendement en liquides d’un gaz naturel diminue au cours de la vie d’un gisement. L’hypothèse de la stabilité des volumes de NGL dans la plupart des pays (pages 59 à 70) est donc optimiste.
Le second commentaire concerne le livre de Matthew SIMMONS, « Twilight in the desert ». Les Hollandais écrivent : « The only thorough analysis on Saudi Arabia’s oil production to date has been done by Matthew Simmons. In order to know whether his devastating conclusion, namely that Saudi Arabia is about to peak in oil production is correct, an independent oil field analysis in Saudi Arabia would be necessary ». Le livre n’est pas écrit par un professionnel du pétrole, mais par un banquier. Il est, relativement, accessible aux profanes. Il y a quelques erreurs, mais globalement la thèse se tient. Pour la démonter, il faut faire un travail de même ampleur que ce qu’a fait M. SIMMONS. Ses détracteurs, qui réfutent sa thèse d’un revers de main, n’ont pas fait ce travail. Leur position n’est pas crédible. La seule façon de mettre tout le monde d’accord serait de publier les données des différents gisements saoudiens, et notamment Ghawar. Je doute que les Saoudiens le fassent jamais.
Un tout dernier pour la route. Il s’agit de la démographie de la profession pétrolière. Les Hollandais écrivent : « The average age of the industry workforce in Europe and the U.S. is 49 and half the workforce will retire in “the next five to 10 years, according to most analysts and oil industry groups.”» C’est un fait avéré que la population vieillit, et qu’il n’y a pas eu renouvellement des effectifs. Comme le pétrole sera de plus en plus difficile à trouver et à extraire, satisfaire la demande va devenir un défi intéressant.