Climat : l'Agence internationale de l'énergie appelle à des actions radicales dans un rapport qui « fera date »
ALINE NIPPERT Publié le 19/05/2021 Industrie & Technologies
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a publié un rapport exceptionnel mardi 19 mai, intitulé « Zéro émission nette d'ici 2050. Une feuille de route pour le secteur mondial de l'énergie ». Le scénario, rythmé par plus de 400 jalons, plaide pour des changements radicaux, parmi lesquels l'arrêt immédiat de l'exploration de nouveaux sites gaziers et pétroliers.
« Ce rapport fera date. » Le ton est donné, par le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, mardi 18 mai, lors de la présentation du rapport « Zéro émission nette d'ici 2050. Une feuille de route pour le secteur mondial de l'énergie ».
« Les objectifs climatiques sont encore atteignables pour le secteur mondial de l’énergie – qui dépend à 80 % des énergies fossiles –, à condition que les gouvernements du monde entier passent immédiatement à l’action », résume Fatih Birol. « Pour aider à la prise de décision, plus de 400 jalons ponctuent notre feuille de route », précise-t-il.
L'AIE a tracé une route « étroite » pour permettre au secteur mondial de l’énergie d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ; une étape essentielle pour espérer limiter le réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C d’ici à la fin du siècle, comme le prévoit l’Accord de Paris sur le climat.
Hydrogène, électricité, renouvelables
Des objectifs intermédiaires, très ambitieux, sont détaillés tout au long du rapport, pour permetttre aux gouvernements de maintenir le gouvernail en direction de 2050. Parmi les étapes clefs, la feuille de route de l’AIE prévoit le déploiement de 850 GW d’électrolyseurs d’hydrogène en 2030, capables de produire 150 millions de tonnes d’hydrogène bas carbone par an. « Aujourd’hui, nous comptons seulement 250 MW d’électrolyseurs… C’est un objectif ambitieux, en dix ans : nous devons multiplier par 300 la capacité de production », a précisé Timur Gül, directeur de la division en matière de politiques des technologies énergétiques.
En 2035, c’est le secteur des transports qui sera fortement bousculé : d’après le calendrier proposé par l’AIE, plus aucun nouveau véhicule essence ou diesel ne devra alors être vendu dans le monde. L’année 2040 sera, quant à elle, une date charnière pour le secteur de l’électricité, qui devra avoir atteint la neutralité carbone. « C’est le premier secteur énergétique qui sera entièrement décarboné », a pointé M. Gül.
Pour l’AIE, les énergies renouvelables seront les championnes de la transition énergétique : en 2050, près de 90 % de la production électrique sera issue des énergies renouvelables, en particulier des énergies solaires et éoliennes (à hauteur de 70 %).
Des investissements massifs
Pour suivre la trajectoire de l’AIE, trois virages sont à amorcer dès à présent. Premièrement, accélérer le déploiement des technologies d’énergies « sobres en carbone » déjà disponibles sur le marché (comme les panneaux photovoltaïques et les éoliennes). « Bonne nouvelle : nous disposons de l'ensemble des technologies pour atteindre l’objectif de 2030, qui est de réduire de 13 gigatonnes la quantité de CO2 émise par rapport à aujourd’hui, a souligné Laura Cozzy, modélisatrice en cheffe des scénarios énergétiques. Mais nous devons accélérer : en dix ans, nous devrons avoir quadruplé la capacité de production des parcs éoliens et solaires ! »
Deuxièmement, l’AIE plaide pour une accélération majeure de l’innovation dans les technologies bas carbone – dont certaines sont jugées indispensables pour mener à bien la transition énergétique –, parmi lesquels les technologies de capture et de stockage de carbone. « Près de la moitié des réductions d’émissions nécessaires pour atteindre un niveau zéro d’ici 2050 proviennent de technologies qui ne sont pas encore disponible sur le marché », a pointé Timur Gül.
Ainsi, « une vague historique d’investissements doit déferler d’ici 2030 », a insisté le directeur exécutif Fatih Birol. Les investissements annuels mondiaux dans la décarbonation de l'énergie devraient dépasser les 4 000 milliards d’euros (5 000 milliards de dollars) d’ici 2030, alors qu’ils tournent actuellement autour de 1 800 milliards d’euros (2 300 milliards de dollars). Pour Fatih Birol, ces investissements généreraient 0,4 point de croissance annuelle moyenne supplémentaire.
Dernier virage, et non des moindres, l’Agence internationale de l’énergie appelle à cesser l'exploration de nouveaux sites gaziers ou pétroliers « au-delà de ceux déjà engagés en 2021 » ainsi que l'ouverture de nouvelles centrales électriques au charbon dès 2021.
Zones d’ombre
La route déjà « étroite » est soumise à des vents contraires. Eoliennes, panneaux solaires, véhicules électriques, batteries… toutes les technologies clefs de la transition énergétique sont très gourmandes en matériaux critiques. Ainsi, à l’incertitude liée à la montée en maturité rapide de certaines technologies bas carbone, indispensables dans le scénario établi par l'AIE, s’ajoute le risque lié à l’approvisionnement des matières premières critiques (lithium, graphite, nickel, cuivre, etc.)
« Les besoins vont être multipliés par sept à horizon 2050 par rapport à aujourd’hui », a souligné le directeur de la division en matière de politiques des technologies énergétiques. Or, l’Asie domine le marché mondial – autant dans la production que la transformation –, posant des problèmes de souveraineté au reste du monde. Maintenir le cap technologique ne sera peut-être pas suffisant.