L’idée que le sionisme est un colonialisme de peuplement n’est pas nouvelle. Dans les années 1960, les universitaires palestiniens qui travaillaient à Beyrouth au centre de recherche de l’OLP [Organisation de la libération de la Palestine] avaient déjà compris que ce à quoi ils étaient confrontés en Palestine n’était pas un projet colonial classique. Ils ne considéraient pas Israël comme une simple colonie britannique ou américaine, mais comme un phénomène existant dans d’autres parties du monde, défini comme un colonialisme de peuplement. Il est intéressant de noter que pendant 20 à 30 ans, la notion de sionisme en tant que colonialisme de peuplement a disparu du discours politique et universitaire. Elle est réapparue lorsque des universitaires d’autres régions du monde, notamment d’Afrique du Sud, d’Australie et d’Amérique du Nord, ont reconnu que le sionisme était un phénomène similaire au mouvement des Européens qui ont créé les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud. Cette idée nous aide à mieux comprendre la nature du projet sioniste en Palestine depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, et nous donne une idée de ce à quoi il faut s’attendre à l’avenir
Les colons eux-mêmes, comme c’est le cas de nombreux Européens qui sont venus en Amérique du Nord, en Amérique centrale ou en Australie, étaient des réfugiés et des victimes de persécutions. Certains d’entre eux étaient moins malchanceux et cherchaient simplement une vie meilleure et de meilleures opportunités. Mais la plupart d’entre eux étaient des parias en Europe et cherchaient à créer une Europe ailleurs, une nouvelle Europe, au lieu de l’Europe qui ne voulait pas d’eux. Dans la plupart des cas, ils ont choisi un endroit où quelqu’un d’autre vivait déjà, les peuples indigènes. Ainsi, le noyau le plus important parmi eux était constitué par leurs dirigeants et idéologues, qui ont fourni des justifications religieuses et culturelles à la colonisation de la terre d’autrui. On peut ajouter à cela la nécessité de s’appuyer sur un empire pour commencer la colonisation et la maintenir, même si, à l’époque, les colons se sont rebellés contre l’empire qui les avait aidés et ont exigé l’indépendance, qu’ils ont souvent obtenue et ont ensuite renouvelé leur alliance avec l’empire. La relation anglo-sioniste qui s’est transformée en alliance anglo-israélienne en est un exemple.
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Si l’on exclut la nécessité de combattre et d’éliminer les Palestiniens, il reste deux camps juifs en guerre, que nous avons vus s’affronter dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem jusqu’au 6 octobre 2023. D’immenses manifestations ont opposé des juifs laïques, ceux qui se décrivent comme tels – pour la plupart d’origine européenne – et qui croient qu’il est possible de créer un État démocratique pluraliste tout en maintenant l’occupation et l’apartheid à l’égard des Palestiniens à l’intérieur d’Israël, étaient confrontés à un nouveau type de sionisme messianique qui s’est développé dans les colonies juives de Cisjordanie, ce que j’ai appelé ailleurs l’État de Judée, qui est soudainement apparu parmi nous, croyant qu’ils ont maintenant un moyen de créer une sorte de théocratie sioniste sans aucune considération pour la démocratie, et croyant que c’est la seule vision d’un futur État juif.
Il n’y a rien de commun entre ces deux visions à part une chose : les deux camps se moquent des Palestiniens, les deux camps croient que la survie d’Israël dépend de la poursuite des politiques d’élimination à l’égard des Palestiniens. Cela ne tiendra pas la route. Ceci va se désintégrer et imploser de l’intérieur parce qu’il est impossible, au XXIe siècle, de maintenir un État et une société sur la base du fait que leur sentiment d’appartenance commun fait partie d’un projet génocidaire d’élimination. Cela peut certainement fonctionner pour certains, mais pas pour tous.
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Mais même dans ce moment sombre, nous devrions comprendre que les projets coloniaux qui se désintègrent utilisent toujours les pires moyens pour tenter de sauver leur projet. C’est ce qui s’est passé en Afrique du Sud et au Sud-Vietnam. Je ne dis pas cela comme un vœu pieux, ni comme un activiste politique, je le dis en tant que spécialiste d’Israël et de la Palestine, avec toute la confiance que m’inspirent mes qualifications scientifiques. Sur la base d’un examen professionnel sérieux, j’affirme que nous assistons à la fin du projet sioniste, cela ne fait aucun doute.
Ce projet historique a pris fin et c’est une fin violente. De tels projets s’effondrent généralement de manière violente et c’est donc un moment très dangereux pour les victimes de ce projet, et les victimes sont toujours les Palestiniens ainsi que les Juifs, parce que les Juifs sont également victimes du sionisme. Ainsi, le processus d’effondrement n’est pas seulement un moment d’espoir, c’est aussi l’aube qui se lèvera après l’obscurité, et c’est la lumière au bout du tunnel.
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