La mine de Tortkuduk au Kazakhstan produit, par in situ recovery, l'un des uraniums les moins chers du monde
En montant la tour Bayterek, l’emblème d’Astana – la capitale du Kazakhstan –, les dirigeants d’Areva ont-ils placé leur main dans l’empreinte de celle du président Nazarbaïev, un geste censé porter chance ? Toujours est-il que c’est de ce sol que New Areva, branche combustible et services post-scission, extrait l’uranium le plus compétitif au monde. Alors que le prix du combustible nucléaire a été divisé par cinq depuis 2008 – même s’il faut rappeler qu’il était au cours actuel avant ce pic –, les mines sont plus sombres au Canada, malgré la haute teneur des gisements, et plus encore au Niger, où un plan social frappe la mine d’Arlit et pourrait être étendu à celle d’Akouta. En Namibie, Trekkopje, l’un des vestiges de la mésaventure Uramin, ne sera vraisemblablement pas exploité. La prochaine pépite de New Areva se trouve sans doute à l’est de la Mongolie, où le groupe espère dupliquer le procédé d’extraction kazakhstanais.
De l’extraction de minerai au Kazakhstan…
L’ISR (in situ recovery), qui consiste à injecter une solution acide dans le gisement puis à la pomper une fois chargée d’uranium dissous, n’est applicable qu’à des réserves friables, piégées entre deux couches géologiques étanches. Dans le monde, 47 % de l’uranium est produit par ISR et Katco, la filiale kazakhe d’Areva, en est le premier exploitant. Au sud du Kazakhstan, premier producteur mondial, les mines de Muyunkum et Tortkuduk produisent chaque année 4 000 tonnes d’uranium sous forme d’U3O8.
La mine de Tortkuduk
Drôle de mine que Tortkuduk. D’abord, on ne voit que la steppe désertique ponctuée de saxaouls, des arbustes décharnés qui mettent un siècle à pousser. En s’approchant, on distingue des modules de conteneurs, les TUZ, qui abritent les vannes réglant le débit de la solution acide et des fluides chargés d’uranium. Dans le cadre du projet mine digitale, « les relèves manuelles pourraient être digitalisées pour disposer des données en continu et alimenter des outils de simulation », explique Jérôme Violet, responsable du département forage à Tortkuduk. Chaque TUZ est reliée à douze puits producteurs et à un puits injecteur par des tuyaux enterrés à 1,8 mètre pour ne pas geler, dans cette contrée où les températures passent de + 30 °C à - 30 °C en quelques semaines. Des puits, on ne voit que la tête, un tuyau dépassant un demi-mètre au-dessus du sable. Nichées dans la steppe, deux bases-vie hébergent 800 salariés, dont 18 % sont des femmes, un taux très élevé pour un site minier. Dans l’usine adjacente, la solution uranifère est transformée en oxyde d’uranium (U3O8). Le fluide est concentré au contact de billes de résine, puis purifié à l’eau ammoniacale dans un précipitateur-décanteur en forme d’obus avant de passer sous forme solide – le yellow cake – sur un filtre à bandes « développé par Areva », précise Philippe Dubois, le directeur de l’usine.
… à sa conversion…
Depuis 2014, ce yellow cake est converti en U3O8 dans un calcinateur unique au Kazakhstan. En cas de défaillance du générateur puis des batteries, une manivelle permet de faire tourner manuellement ce four pour empêcher sa dilatation, qui survient en un quart d’heure. La solution lixiviante est réinjectée dans les puits. « La méthode ne génère ni résidus, ni stériles », insiste Nicolas Dubecq, le directeur des opérations sur le site. Les débats sur le nucléaire agacent cet ingénieur X-Mines, qui affiche de solides convictions environnementales : « Cela fait rire les équipes, mais quand je rentre en France, c’est chauffage au bois et toilettes sèches. » L’ISR permet surtout d’exploiter à moindre coût des gisements à très faible teneur : seulement 0,07 % à Tortkuduk, contre 17 % au Canada. Katco ne communique pas son coût d’exploitation, mais « sur une échelle mondiale de 10 à 40 dollars la livre d’uranium, les gisements du Kazakhstan se situent tous dans le premier quartile », dévoile le directeur général de Katco, Gérard Fries. Dans un atelier où règne la méthode japonaise 5S, la poudre grise est mise en fûts, puis en conteneurs boisés selon une norme kazakhe plus exigeante qu’en Europe. Ces conteneurs sont acheminés par train jusqu’à Saint-Pétersbourg où ils prennent le bateau pour Le Havre, Hambourg ou Sète. Sauf quand la totalité de la production est vendue en Chine, comme en 2016. Car passées les portes de Tortkuduk, la matière n’appartient plus à New Areva mais à un électricien, qui fera fabriquer à façon son combustible nucléaire.