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inq questions sur la charpente calcinée de Notre-Dame de Paris
MYRTILLE DELAMARCHE Usine Nouvelle le 16/04/2019
La filière bois française se mobilise pour mettre à disposition les arbres nécessaires à une reconstruction à l’identique de la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris, surnommée "la forêt", qui a brûlé le 15 avril au soir. Mais ce n’est pas si simple…
Surnommée "la forêt", la charpente de Notre Dame de Paris était faite de quelque 1300 chênes.
Il a fallu aux bâtisseurs de cathédrales du 13e siècle quelque 1300 chênes pour construire l’exceptionnelle charpente de la cathédrale Notre-Dame à Paris, qui a brûlé presque entièrement le 15 avril à Paris. Il aura fallu attendre les années 1990 pour dater les bois de cette charpente exceptionnelle à bien des égards, et 2014 pour en dresser un plan relativement exhaustif, qui sera précieux si le choix est fait d'une reconstruction à l'identique.
1. A-t-on les ressources en bois pour reconstruire la charpente de Notre-Dame ?
Les donateurs se bousculent, ce 16 avril, pour fournir les chênes nécessaires à une reconstruction à l’identique de la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui a presque entièrement brûlé la veille au soir. L’assureur Groupama a proposé de fournir à lui seul seul 1300 chênes issus de ses forêts normandes. La Caisse des dépôts, elle aussi, propose des chênes issus de ses forêts. Mais c’est le groupe Charlois, un exploitant forestier de la Nièvre, qui avait ouvert le bal en proposant d’offrir et de stocker gracieusement des chênes de qualité. Michel Druilhe, président de l’interprofession France Bois Forêt, souligne que la filière est prête à se mobiliser, tant financièrement que techniquement, pour aider les reconstructeurs de la cathédrale. Le Syndicat filière bois (SFB), qui regroupe les exploitants forestiers, s’engage lui aussi à réserver ses plus beaux chênes pour ce chantier.
La filière s’était déjà impliquée en offrant du bois pour la reconstruction de la charpente du Parlement de Bretagne après l’incendie qui l’avait ravagé en 1994. Mais celle-ci n’a pas été reconstruite à l’identique. Des traverses métalliques de longue portée soutiennent la structure secondaire de charpente en bois lamellé-collé.
2. Peut-on reconstruire Notre-Dame à l’identique ?
"Nous ne pourrons pas refaire à l’identique la charpente qui était composé de pièces de charpente gigantesques à la fois en portée et en section et qui correspondent à des arbres qu’on ne peut même pas retrouver dans nos forêts aujourd’hui", a affirmé sur le plateau de BFMTV Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du patrimoine.
Michel Druilhe n’est pas du tout d’accord : "il n’y a aucun souci de ressource, au moyen-âge l’étendue de la forêt française était bien moindre qu’aujourd’hui. Et la structure des arbres est la même qu'à l'époque. Vous savez, la nature est constante." Et puis "chênes anciens, ça ne veut rien dire. Quand on a construit Notre-Dame, on a utilisé essentiellement des chênes qui avaient 100 à 150 ans. Les arbres que nous pouvons fournir aujourd’hui ont entre 100 et 150 ans aussi". En revanche, c’est un choix coûteux. Le bois de chêne vaut "entre 150 et 200 euros du mètre cube", reconnaît Michel Druilhe. Transformé en pièce de charpente, le mètre cube monte à 800 ou 1000 euros.
Yannick Le Digol, expert en dendrochronologie (datation des bois), nuance aussi cette exigence. "Au XIIIe siècle, et dans la construction de nombreuses cathédrales, on observe des utilisations de bois particuliers, flacheux, grossièrement équarris. Il ne s’agit pas forcément d’arbres âgés, homogènes mais aussi de rejets de souches, des repousses qu’on avait laissé grandir après la coupe pour obtenir des bois à croissance rapide." Les bois les plus âgés étaient réservés à certaines pièces, "comme les entrées de charpente" [traverses entre les murs porteurs, Ndlr].
L’expert en la matière, le chercheur honoraire au CNRS Georges Lambert, décrit à Notre-Dame une charpente réalisée entièrement en chêne, comportant "de nombreux troncs entiers, assez élancés, venant de forêts assez denses et assez jeunes". Les pièces majeures mesurant "sans doute entre 40 et 50 centimètres de diamètre" et des entrées (poutres transversales) "massives". "Les chevrons provenaient de 'tiges' (c’est le terme employé pour qualifier des troncs assez rectilignes généralement pas trop gros) de diamètres modérés. Il était inutile de surcharger l’édifice par des bois délibérément surdimensionnés." Concernant l'âge des arbres utilisés, il affirme que "l’âge moyen des échantillons du groupe du XIIIe siècle est de 80 ans, ce qui nous conduit à émettre un âge moyen des rares de l’ordre de 100, maximum 120 ans (il manque des cernes sur les carottes). Quelques pièces sont néanmoins manifestement plus vieilles : trois arbres pourraient avoisiner les 200 ans."
"Je m’avance un peu, mais il y aura probablement une partie de charpente métallique", croit Nicolas Travers, responsable communication des Ateliers Perrault, spécialisés dans la rénovation de monuments historiques et qui ont participé à la réfection des boiseries du Parlement de Bretagne. "Les deux procédés sont possibles, la restauration ou la restitution à l’identique comme nous l’avons faite pour le château des Ducs de Bretagne à Nantes. C’est possible, mais cela a un coût." Il faudra aussi attendre d’avoir un état des lieux complet de la structure en pierres, ce qui devrait prendre "au moins une à deux semaines", selon Nicolas Travers. Car les changements de température dus au feu puis à l’eau provoquent des risques d’éclatement des pierres. Il faudra sûrement, selon lui, protéger la structure, y compris avec des pièces métalliques qui pourront être démontées par la suite.
"Nous avons les savoir-faire, mais faut-il construire au XXIe siècle comme à l’époque médiévale ?", questionne l’architecte Cédric Trentesaux, spécialisé en monuments historiques. En termes de résistance de la structure, seuls les murs périphériques sont concernés. "La charpente ne repose pas du tout sur les voûtes, qui ont sans doute été construits après, une fois mises à l'abri", explique l’architecte, qui connaît bien le bâtiment pour avoir réalisé, avec Rémi Fromont, le plan le plus exhaustif connu de la charpente.
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