Pourquoi les prix de l’électricité ont explosé en Allemagne
Mercredi en fin d’après-midi, le prix allemand de l'électricité sur les marchés de gros a grimpé à plus de 800 euros le mégawattheure, un record depuis la crise. Des centrales au fioul très coûteuses ont dû être appelées à la rescousse pour répondre à la demande.
Marine Godelier 08 Nov 2024, latribune
C'est un mot sans équivalent français, qui a fait son apparition dans le vocabulaire allemand : le « dunkelflaute » - que l'on pourrait traduire par « sombre marasme » -, qualifie désormais ces périodes sans vent et sans soleil lors desquelles le système électrique est mis à rude épreuve outre-Rhin, tant le pays s'appuie sur l'éolien et le photovoltaïque pour produire son courant. Et pour cause : en l'absence de nucléaire, le problème devient récurrent, et cette semaine en a livré un nouvel aperçu.
Sur les marchés de gros, le prix de l'électricité a grimpé à 820 euros par mégawattheures (MWh) en Allemagne sur la bourse Epex, entre 17 et 19 heures le mercredi 6 novembre. Soit dix fois plus que d'habitude, puisqu'il s'élevait en moyenne, ces derniers mois, entre 60 et 80 euros/MWh. Certes, la flambée n'a pas duré : une heure plus tard, les cours étaient retombés à 450 euros/MWh, avant de flirter à nouveau autour des 100 euros/MWh depuis. Mais l'événement a suffi à alerter les médias nationaux : « Le prix de l'électricité est le plus élevé depuis la crise énergétique », titrait ce matin le quotidien économique Handelsblatt, relevant que le « sombre marasme » était « temporairement devenu réalité ».
« L'électricité est soudainement aussi chère le soir qu'elle l'était en pleine crise énergétique en 2022 », soulignait la veille l'hebdomadaire d'affaires Wirtschaftswoche.
Centrales « d'extrême-pointe »
Concrètement, au manque cruel de vent et à l'absence de soleil s'est ajoutée une reprise de la consommation, en raison de températures plus froides que prévu. Ce qui a obligé l'Allemagne à faire fonctionner des centrales au fioul dites « de pointe », c'est-à-dire appelées en dernier recours, pour répondre à la demande. Mais ces installations coûtent cher à faire tourner, non seulement en raison du prix du combustible brûlé - le fioul, donc -, mais aussi du coût du CO2 associé et, surtout, de frais de démarrage importants.
Or, ce sont les centrales allumées en dernier, dites « marginales », qui fixent le prix sur le marché de l'électricité à chaque instant. Et ce, pour une raison précise : s'il coûtait plus cher au propriétaire de l'une d'entre elles de la mettre en route plutôt que de ne pas produire, celui-ci privilégierait la deuxième option... ce qui conduirait à un déficit d'offre.
« Paradoxalement, c'est ce qui permet d'assurer un prix le plus bas en moyenne sur l'année. Sans des pics quelques heures par an, on ne rémunèrerait pas les actifs d'extrême-pointe qui assurent l'équilibre offre-demande lors des moments de tension », explique Emeric de Vigan, responsable des marchés de l'électricité chez Kpler.
Seulement voilà : ce type d'épisode pourrait bien se répéter davantage que « quelques heures par an ». L'Allemagne a fermé ses dernières centrales nucléaires, et se fixe désormais comme objectif d'atteindre un mix électrique 100% renouvelable d'ici à 2035 - sans charbon ni gaz, donc. Mais le pays ne peut pas compter sur beaucoup de barrages, et l'éolien et le solaire, qu'il développe massivement, resteront très sensibles à la météo. Mercredi après-midi, l'énergie éolienne n'a participé au mix qu'à hauteur de 58 mégawatts (MW), contre 11.700 MW pour le lignite et 13.464 MW pour le gaz.
Des « signaux locaux » pour baisser sa consommation
Face à ce problème, le ministère de l'Economie allemand avait proposé, courant juillet une mesure aussi novatrice que controversée : les « signaux locaux ». Le principe : s'il y a peu d'énergie éolienne et solaire injectée à un instant T dans une région donnée, quiconque réduira sa production sera récompensé, et sanctionné dans le cas contraire. Et ce, à travers des variations locales des prix, censés refléter « la rareté ou l'excédent d'électricité » à l'endroit en question, avait expliqué l'exécutif.
Autrement dit, si une telle mesure était appliquée, les entreprises devraient baser leur production sur la météo. De quoi « soulager le réseau », très bien servi lorsque le vent souffle et que le soleil brille mais sous-alimenté quand les conditions climatiques ne sont pas réunies. Un projet « complètement fou », s'était indigné dans la foulée Christoph Ahlhaus, président de l'association représentant des entreprises de taille moyenne BVMW, affirmant que « les machines ont besoin d'électricité fiable et abordable 24 heures sur 24, 365 jours par an ».